Lorsque les hybrides n'avaient rien d'hybride ! Imprimer Envoyer
Lundi, 06 Avril 2020 16:13

LM_2005_Pescarolo_C60H_17_002Dans la vidéo diffusée le 5 avril 2020 sur ma page Facebook, présentant le départ des 24 Heures 2005, certains n'ont pas compris à quoi je faisais allusion en parlant de ces P1 Hybrides qui n'en étaient pas. Pour les plus jeunes d'entre nous qui n'ont pas réellement connu cette période (déjà plus de 15 ans !) cela mérite une petite explication de texte ! En texte certes mais aussi en images !

Avant 2004, les prototypes répondaient à deux textes réglementaires : LMP900 pour les grosses, LMP675 pour les petites. Le suffixe 900 ou 675 correspondait au poids mini du prototype : 900 kg pour les plus puissantes, 675 pour celles destinées en principe aux artisans. Pour la saison 2004, une nouvelle réglementation fut introduite destinée à assurer plus de sécurité aux pilotes, notamment suite à l’accident mortel de Michele Alboreto dans son Audi R8 juste avant la Journée Test de 2001 ou suite à une crevaison, la voiture s’était envolée puis retournée sur son pauvre pilote.

Trop d'envols !

Déjà échaudés par les nombreux envols vus dans les année 1998 à 2000 (Porsche GT1 au Petit Le Mans 1998, Mercedes CLR au Mans 1999 et BMW V12 LMR au Petit Le Mans 2000), envols qui heureusement n’avaient fait aucune victime, la FIA diligenta une étude aérodynamique afin de définir des voitures plus sûres ne s’envolant plus à la moindre occasion. Non seulement la nouvelle définition technique devait éviter les envols par l’avant constatés alors en phase normale de roulage mais tous les autres types d’envols possibles furent également analysés. C’est pour cette raison qu’apparurent les affreux sabots arrières mais aussi et surtout, le fond de la voiture qui n’était plus plat mais comportant en vue de face, deux faces planes à 7° débouchant sur les pontons par des rayons de 5 cm. Cette forme du fond était destinée à empêcher les protos de s’envoler latéralement lors d’un tête-à-queue.

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La version 2004 de la Pescarolo C60 : La garde au sol du fond plat très réduite est bien visible entre les roues.

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La version 2005 semble bien plus haute sur pattes désormais afin de créer un effet diffuseur en cas de tête à queue.

En effet, l’aérodynamique des voitures fonctionne parfaitement dans les cas où la voiture reste dans une situation nominale. Mais dès qu’un pilote perd le contrôle de sa voiture et que celle-ci prend un peu trop d’angle, les diffuseurs ne fonctionnent plus, la charge aéro s’effondre donc littéralement ce qui amplifie une situation déjà devenue ingérable. Ces fonds à plans inclinés étaient donc sensés générer de nouveau de l’appui à la voiture, lorsqu’elle se déplaçait latéralement dans son tête à queue en fonctionnant comme un diffuseur. Le but n’était pas de redonner du contrôle au pilote vue la position de la voiture mais bien d’éviter que celle-ci ne décolle. Les années suivantes prouveront que la dynamique de la voiture mettait à mal les études statiques en soufflerie et des envols effrayants se produisirent à nouveau : Stéphane Ortelli et son Oreca à Monza ou Marc Gene et sa Peugeot au Mans en sont deux exemples mais il y en eut d’autres… Ce qui fit naître les ailerons de requins et les trous au-dessus des roues mais c’est une autre histoire. Cependant et à peu de choses près, cette définition technique du fond à plans inclinés est toujours en vigueur aujourd’hui !

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La version 2004 de la Pescarolo C60 : La lame avant racle le sol sur toute la largeur de l'auto...

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Sur la version 2005, le règlement oblige à la réhausser de 5 cm dans sa partie centrale

Cette nouvelle définition visait également une réduction de l’appui et donc, supposément, une réduction de la vitesse de passage en courbe. Pour cela, la lame avant ne pouvait plus racler le bitume autant qu’auparavant. En partie centrale et sur une largeur d’un mètre, elle devait être surélevée de 5 cm par rapport au niveau le plus bas du fond de la voiture. Cela rendait son action de création d’une dépression sous l’avant de la voiture, (celle qui plaque la voiture au sol) moins efficace. Toute la partie inférieure arrière, le diffuseur, était également réglementairement définie et donc imposée ce qui empêchait les équipes de passer trop de temps en soufflerie à retrouver les appuis perdus. L’aileron arrière quant à lui voyait sa dimension longitudinale réduite de 40 cm à 30 cm mais il pouvait, en contrepartie, conserver la valeur de 2 mètres dans le sens transversal lorsque les P900 devaient désormais se contenter de 1,8 m dès 2004.

Meilleure sécurité passive

Sur le plan sécurité passive, les LMP1 2004 voyaient les normes se renforcer encore. Les plus visibles concernaient les arceaux de sécurité. Depuis la BMW V12 LMR, la mode était à l’arceau unique placé juste derrière la tête du pilote comme en F1. La masse des P900 étant bien supérieure à celle des F1 de l’époque, ce n’était pas forcément très judicieux et il n’y a rien de pire que ces arceaux pointus qui peuvent s’enfoncer dans le gravier lorsque la voiture se retourne lors d’un accident. Ayrton Senna l’avait d’ailleurs échappé belle lors des qualifications à Mexico lorsque sa McLaren se retourna après avoir percuté les pneumatiques. L’arceau heureusement se planta au creux des vagues de graviers et non au sommet ce qui évita un terrible coup du lapin. Pour éviter un tel drame, les LMP1 2004 devaient être équipées d’un double arceau de sécurité, un pour le conducteur et un second, symétrique pour le « passager ». Ces deux arceaux devaient être soutenus par un second bossage épousant en quelque sorte la forme du casque ce qui offrait une seconde sécurité.

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La version 2004 de la Pescarolo C60 : pas de sabot derrière la roue arrière, un seul arceau de sécurité.

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Sur la version 2005 on distingue bien ici le double bossage derrière le pilote ainsi que les "somptueux" sabots arrière...

Cependant, afin de permettre aux équipes privées d’amortir leur LMP900 récemment acquises, celles-ci furent encore autorisées à concourir en 2004 et 2005. Mais si en 2004, cela se faisait sur la base de la même définition technique qu’en 2003 à la largeur de l’aileron arrière près, dès 2005 les P900 étaient fortement bridées afin d’inciter les équipes à utiliser une autre possibilité offerte par le législateur : transformer les P900 en P1. Pour cela, il fallait profondément transformer la carrosserie mais on pouvait encore, jusqu’à fin 2006 conserver une coque P900. Afin de privilégier les équipes faisant ce choix (offrant plus de sécurité, rappelons-le) les LMP900 voyaient leur poids grimper de 900 à 950 kg. Les brides d’air à l’admission étaient revues à la baisse ramenant par exemple la puissance des Audi R8 à environ 520 chevaux pour 580 l’année précédente tandis que le Judd V10 5 litres lui, gagnait 60 chevaux d’une année sur l’autre grâce à des brides plus généreuses pour les LMP900 transformées en LMP1 (570 chevaux en 2004, 630 en 2005). Ces LMP900 gréées en LMP1 ne pouvaient toutefois pas adopter toutes les spécifications techniques des réelles LMP1. On pense notamment au second arceau de sécurité puisque les coques des P900 n’avaient pas été prévues pour implanter un tel élément. Elles se contentaient donc d’un double bossage sur la carrosserie, surmontés d’un arceau toujours unique. Cette définition intermédiaire fut nommée LMP1 Hybride pour les différencier des véritables LMP1 à venir, lesquelles apparurent dès 2006 avec notamment l’Audi R10, la Courage LC70 et la Lola B06/10.

Plus de puissance pour compenser la perte aéro...

Au départ des 24 Heures du Mans 2005, on comptait donc 5 LMP1 Hybrides. Pescarolo Sport, Courage Compétition et Dome firent cet effort, comptant sur le surplus de puissance accordé pour venir à bout des P900 castrées. Sans conteste, c’est l’équipe d’Henri, emmenée par André de Cortanze et Claude Galopin qui fit le meilleur travail. Les C60 dominèrent la Journée Test et s’arrogèrent la première ligne en signant un meilleur chrono quasi identique à celui de 2004 : 3’34"715 pour la 16 de 2005 contre 3’34"252 pour la 17 de 2004. Malgré 60 chevaux de plus, ces chronos prouvaient qu’il y avait bel et bien eu une nette réduction de l’efficacité aérodynamique des LMP1. Courage n’ayant pas aligné de P1 en 2004, toute comparaison était impossible. Chez Dome, on pouvait comparer directement sur la piste les deux versions puisque Racing for Holland alignait encore une S101 alors que Jim Gainer alias Dome alignait une S101HB transformée. C’est bien l’hybride qui se qualifia mieux que la P900, l’écart montant à près de 4 secondes…

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La version 2004 de la Pescarolo C60 : certainement plus élégante.

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La version 2005 est moins racée...

Audi, DBA et Rollcentre firent le pari de rester en P900. Chez Audi, on développait dans la coulisse la R10 diesel de 2006 et l’on pensait que la R8 pouvait encore s’en sortir avec sa fiabilité légendaire. Pour DBA et Rollcentre, c’était avant tout une question de budget, Henri Pescarolo ayant en effet (de mémoire) annoncé que la transformation en hybride avait couté à son équipe 1,5 millions d’euros. Les Audi R8 fournissaient donc une excellente base de comparaison puisque restées totalement inchagées par rapport à 2004 hormis le poids et la puissance. Elles perdirent plus de 4 secondes au tour durant la course : 3’35"4 en 2004, 3’39"7 en 2005. Mais l’une des trois ne connut aucun problème, contrairement aux deux Pescarolo C60 Hybrides. Et Letho-Werner-Kristensen offrirent aux 4 anneaux leur 5ème victoire en 6 éditions. Tom K quant à lui détrônait Jacky Ickx en s’offrant son 7ème succès, le 6ème consécutif ce qui reste inouï !

Voilà pourquoi en 2005 et même dès 2004, nous avions sur la piste, des LMP1 hybrides qui n’avaient rien d’hybride ! L’appellation était donc quelque peu malheureuse puisque de vraies voitures hybrides roulaient déjà sur nos routes et depuis déjà quelques années (1997 pour la première Prius) ! Dès 1998, une Panoz véritablement hybride tenta sans succès de se préqualifier au Mans. La technologie et l’appellation étaient donc connues… Pour compliquer le tout, les P900 avaient été renommées P1 en 2004 sans avoir été aucunement modifiées ! Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué…

Laurent Chauveau