Le Mans 1978 : Renault Alpine veut sa revanche ! Imprimer Envoyer
Dimanche, 03 Mars 2013 18:33

1978_LM_Alpine_A442B_2_Pesage« Je l'ai vue, j'ai vu la fumée ! » Il est 11H45 en ce dimanche de juin 1977. A l'intérieur de la courbe Dunlop, la n°8 lâche de la fumée. Comme la n°9 deux heures plus tôt. La dernières des quatre Renault Alpine A442 vient de rendre l'âme. Jacky Ickx et ces diables de Porschistes ont eu la peau des jaunes et noirs. Le jeune gamin de 8 ans qui a vu la fumée est triste. Certes, une Mirage à moteur Renault est installée à la deuxième place mais elle n'a aucune chance de rejoindre la 936 Martini. Le gamin et son papa quittent le circuit. Au moment ou ils franchissent la passerelle Dunlop, le papa dit à son fils, pour tenter de le consoler : « Ils gagneront l'an prochain... ». « Promis Papa ? ». « Promis mon fils. » Ils ne verront pas la 936 finir la course à bout de souffle. Ils ne feront que l'entendre à la radio.

1978_LM_Alpine_A442_3_StandsEn ce samedi de juin 1978, dans les immenses bouchons qui mènent au circuit, le gamin de 9 ans, absorbé par la lecture du Maine Libre, ne pense qu'à cela. Cette année, ils gagnent, ils doivent gagner ! Et c'est aussi ce que ressent un certain Gérard Larousse, patron de Renault Sport. La victoire au Mans est impérative cette année. En fait, elle devait même survenir l'année passée afin que l'équipe puisse enfin concentrer toutes ses forces sur la F1 ou la Régie a fait ses débuts peu après la déroute du Mans. Au lieu de cela, il a fallu remettre l'ouvrage sur le métier. Et trouver comment éviter que ces satanés pistons ne se percent de nouveau dans la matinée du dimanche sur ces trop longues Hunaudières...

Simuler l'impossible !

1978_LM_Alpine_A442_4_PesageNul doute que la A442 est une excellente auto. Elle a véritablement dominé la Porsche 936 en terme de chronos sur un tour. Au moment de son abandon, la n°9 comptait 8 tours d'avance sur la Porsche. Mais les moteurs ont tous cassé les uns après les autres. Pour 1978, il faut donc reproduire fidèlement les contraintes de la ligne droite de 5,8 km pour ne plus « prendre les V6 dans la tronche ». Mais comment faire ? Aucun circuit n'offre de ligne droite aussi longue. La perle rare est trouvée à Colombus dans l'Ohio. On y trouve un anneau de 12 km de long. On l'entrecoupe de deux chicanes et le tour est joué ! On peut y tourner des heures durant au régime et à la vitesse maxi... L'équipe Renault-Alpine s'y rend donc au cœur de l'automne 1977. Et trouve des parades à ses soucis. Des parades validées sur le nouveau banc moteur de l'usine Renault-Gordini de Viry-Châtillon qui permet de placer le V6 turbo dans des conditions proches de celles des Hunaudières. L'hiver est mis à profit pour améliorer divers autres points de la voiture et effectuer de nouvelles simulations de 24 Heures au Paul Ricard, des essais souvent perturbés toutefois.

1978_LM_Alpine_A442B_2_BulleÉtant donnée la « chienlit » que traverse le monde de l'endurance en cette période avec un Championnat du Monde des marques réservé aux Groupe 5 et non aux Groupe 6, les A442 ne disputeront qu'une seule course cette année : Le Mans. Donc il faut soigner ces séances d'essais. Lors de la dernière d'entre elles sur la piste d'atterrissage de la base aérienne d'Istres en Avril, apparaît une bulle au-dessus du cockpit. Astuce réglementaire, cette bulle en plexiglas n'est pas considéré comme un pare-brise mais comme un saute-vent. Le pilote ne regarde pas à travers elle mais à travers la meurtrière qui y a été pratiquée. Cette bulle vient finalement refermer une auto conçue à l'origine comme un Coupé (A440) mais qui n'a finalement jamais été équipée de ce toit... Elle offre quelques précieux km/h supplémentaires (entre 6 et 8) à la déjà rapide création de Marcel Hubert, « l'aérodynamiteur » d'Alpine.

La botte secrète...

1978_LM_Alpine_A443_1_PesageS'il reste toutefois un talon d'Achille à la A442, en dehors de la boite de vitesses que l'on sait fragile, c'est le fait que le V6, initialement conçu pour la Formule 2 litres (1996 cm3 exactement), n'exploite pas le maximum de la cylindrée autorisée pour un turbo en Groupe 6. Aussi, deux semaines avant la course, est présentée l'ultime évolution de la A440 : la A443. Cette voiture est pensée pour jouer le lièvre de Billancourt et contrer ainsi l'usine Porsche qui n'est pas restée les deux pieds dans le même sabot. Le V6 est ainsi porté à 2138 cm3 ce qui en fait un 3 litres avec le facteur multiplicateur de 1,4 adopté par la CSI. Sa puissance est augmentée de 20 chevaux (entre 520 et 540 ch en fonction des configurations). Le couple grimpe également et malgré tout, le moteur est moins sollicité... L'empattement de la A443 est augmenté de 15 cm, sa longueur hors-tout de 16 ce qui améliore encore sa trainée (4,96 m de long !). Elle est donc plus rapide en ligne droite que la A442, l'écart se chiffrant à environ 10 km/h. Mais insuffisamment validée, l'aréopage Renault ne croit pas en sa fiabilité.

th_1978_LM_Armada_Alpine_PesageFinalement, ce sont quatre Renault-Alpine différentes qui se présentent au Pesage (ou les pilotes Renault arrivent à vélo, tiens, tiens...). La A443 n°1 et la A442 n°2 se présentent avec la bulle et des brosses à l'avant et sur les côtés faisant office de jupe copiant ainsi ce qui fait le succès de la Lotus 79 en Formule 1. La A422 ainsi gréée devient donc une A442B. Les deux autres A442 sont privées de ces éléments et diffèrent entre elles par les dimensions des pneus arrières, plus petits sur la n°4, splendide avec ses couleurs rouges aux couleurs de Calberson. Enfin, pour compléter le dispositif de la Régie, deux ensembles moteur-boite ont été confié à l'équipe Mirage comme en 1977. L'aérodynamique des Mirage a été affinée, notamment à Columbus ou elles étaient également présentes, copiant un peu celle des Alpine mais sans atteindre, loin de là, la même efficacité. Elles rendaient 20 à 30 km/h sur les Hunaudières...


La Mirage n°10 vue sous un angle original dans les stands...

Patrick Depailler, interviewé lors du Pesage.

La Mirage n°11 au Pesage. Admirez les balances de l'époque !

De l'eau dans le Flat 6 ?!?!

1978_LM_Porsche-936-78_5_StandsDe leur côté, les hommes de Zuffenhausen ont également beaucoup travaillé. Et le résultat est nettement plus perceptible visuellement, que sur les « protos d'en face ». Comparée à la 936/77, la nouvelle Porsche 936/78 est nettement plus fine que ce soit à l'avant ou à l'arrière mais c'est son aileron en U inversé, étudié par Dornier, qui la distingue, au premier coup d'œil. Sous la robe, c'est d'une révolution culturelle qu'il s'agit pour la maison. En effet, le Flat 6 n'est plus intégralement refroidi par air ! Afin de répondre au défi Renault-Alpine, on a compris qu'il fallait hausser le niveau de jeu. Il faut donc augmenter la puissance sans toutefois augmenter la température des pièces mobiles. 1978_LM_Armada_Porsche_StandsLe bloc est donc équipé de 4 soupapes par cylindre mais la place manquant pour un refroidissement par air efficace de cette solution, le refroidissement liquide de la culasse a donc fait son apparition ce qui explique la présence de prises d'air dans les flancs, rouges pour la n°5, bleues pour la n°6. Pour les cylindres, on en reste à un refroidissement par air. C'est donc d'une solution mixte qu'il s'agit. La course est réduite afin de favoriser le régime de rotation porté à 9000 tr/min. Le turbo souffle à 1,5 bars (contre 0,95 à la A443 et 0,85 aux A442) mais cette valeur sera ramenée à 1,4 en course. La puissance annoncée est désormais très nettement supérieure à celle de Renault : 580 chevaux. Mais les 936/78 ont également pris de l'embonpoint et en passant la barre des 800 kg, elles pèsent environ 40 kg de plus que la 936/77, voire 50 de plus que les Alpine... Il faut dire qu'en plus des radiateurs, on leur a également greffé une système de levage automatique à trois vérins. En appui des deux 936/78, une 936/77 n°7 est engagée à titre de renfort mais sans réel espoir pour la victoire. Elle conserve le moteur à refroidissement par air donné pour 540 ch.

1978_LM_Porsche-936-78_6_StandsComme dans le clan Renault-Alpine, les nouveautés ont été intensivement testées. Notamment lors d'un test de 50 heures (!!!) menés lui aussi au Paul Ricard sur une durée de 4 jours. Au total, le châssis n°001 a bouclé 12.000 km d'essais.

Un Monstre vorace !

1978_LM_Porsche-935-78_43Mais l'équipe Martini-Porsche dispose d'un autre atout dans sa manche, un atout qui reste dans toutes les mémoires 35 ans plus tard. Moby Dick is born ! En fait, rien ne pourrait faire plus plaisir à Porsche que de triompher au Mans avec une auto dérivée de la 911 de série. Le groupe 5 est là pour ça. On pensait déjà avoir tout vu concernant les « déviances » qu'autorisent ce règlement « Silhouette » dans l'extrapolation que l'on peut faire d'une voiture de route. La 935/77 était déjà assez extrême. Mais avec 935/78, on entre dans une autre dimension ! Mis à part le pare-brise et les vitres latérale, il n'y a plus grand-chose sur ce monstre, qui puisse rappeler la 911. Elle est tout simplement gigantesque. Gigantesque et magnifique à la fois. Mais son extrémisme fait jaser, notamment lorsqu'il s'agit de l'homologuer. Après une polémique autour de ses portières, finalement à demi carénées, Moby Dick est acceptée. Deux ans plus tard, ses portières seront entièrement carénées et pourtant, cela ne gênera plus personne...

1978_LM_Porsche-936-77_7_PesageIl faut dire que le monstre peut inquiéter la concurrence. Reposant sur un châssis de tubes d'aluminium (comme les 936) et non sur une coque de 911, le moteur est le même que celui de la 936/78 à un tout petit détail près. Il est une fois et demie plus gros ! 3,2 litres contre 2,1... Avec un tel coffre, il est donné pour 750 CV ! Avec une telle puissance et son carénage intégral qui lui confère un look de proto plutôt que de silhouette, elle va affoler les radars. Mais il est également certain qu'avec son appétit gargantuesque (près de 80 litres aux 100 km !) et son réservoir plus petit de 40 litres, Moby Dick sera très handicapé par de nombreux arrêts aux stands...

Porsche domine les essais !

1978_LM_Porsche-936-78_5_EssaisLors des essais, on pousse la mollette de turbo chez Porsche. Et Jacky Ickx claque un 3'27"6 qui donne la Pole Position à la n°5. Depailler réplique pour Renault en plaçant la n°1 sur la première ligne. L'équipe de Gérard Larousse prétend que le moteur est resté en configuration course et Patrick signe 3'28"4. Derrière, on trouve Moby Dick ! Rolf Stommelen, chronométré à 366 km/h, a toutefois échoué à franchir la barre des 3'30" pour 9 dixièmes... Bob Wollek s'est contenté d'un 3'35"7 bien plus sage pour la 936/78 n°6. Trois Porsche contre une seule Renault-Alpine dans les quatre premiers, c'est une inversion de tendance complète par rapport à 1977... Finalement, en vue de la course, Larrousse-Depailler décident de se passer de la bulle pour plus de confort. Mais Pironi-Jaussaud, handicapés par leur puissance moindre et leur aéro légèrement moins bonne, la conserve malgré ses inconvénients. Les deux voitures sont par contre débarrassées des jupes avant, trop perturbantes pour l'aéro, ne conservant que les latérales. Tout est en place pour la course que vous pourrez revivre un peu plus tard ;)

Laurent Chauveau

Pour les photos qui illustrent cet article, le gamin de 9 ans était un peu trop jeune. Ce sont donc Christian Vignon et Philippe Hubert qui sont venus à ma rescousse avec d'excellentes photos qui restituent bien l'ambiance de l'époque. Qu'ils en soient immensément remerciés ;)