Nissan GT-R LM NISMO : un pari très osé... |
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Lundi, 02 Février 2015 23:20 |
Tout à l'avant ! Mais autant les deux précédentes créations de Ben Bowlby évoluaient en marge de toute réglementation sportive, autant la nouvelle se doit de se conformer aux spécifications du LMP1. Le prodigue ingénieur anglais a donc imaginé une voiture dont le moteur thermique est placé devant le pilote et dont la puissance est transmise aux roues avant ! Pour mesurer la prise de risques de Nissan dans ce choix, il suffit de se rappeler que la dernière victoire d'une voiture à moteur avant au Mans remonte à un peu plus d'un demi-siècle ! Et encore, la Ferrari 330 TestaRossa de Gendebien-Grère, victorieuse en cette année 1962, transmettait-elle sa puissance à l'arrière, non à l'avant ! Sauf erreur de la part de votre serviteur, aucune traction avant n'a jamais remporté Le Mans. Elles n'ont d'ailleurs pas été légions, ces voitures ayant suivi la voie tracée par les Tracta dès 1927. La différence tout de même, en ce qui concerne la Nissan, vient du fait que les roues arrières transmettront elles aussi de la puissance, celle en provenance du moteur hybride... Reste que le choix technique est audacieux. Les dernières voitures à moteur avant compétitives étaient les Panoz Roadsters des années 1999 à 2003 mais cela se faisait via des brides d'air à l'admission très généreuses envers le bloc V8 culbuté qui propulsait les batmobiles de l'oncle Don. Même Mr Paul Frère en convenait. En plaçant le pilote et donc le cockpit, tout à l'arrière, on dégrade le fonctionnement aérodynamique de l'aileron puisque la bulle se retrouve très proche de celui-ci et que le flux est donc encore assez turbulent lorsqu'il rencontre l'aile censée procurer de l'appui à la voiture. Si les ingénieurs Nissan ont fait ce choix, c'est semble-t-il, pour contrecarrer l'un des problèmes récurrents des LMP1 modernes : un sous-virage chronique. En mettant le poids à l'avant du moteur, de la transmission, des turbos et du système de récupération d'énergie à l'avant, on charge naturellement le train avant, lui donnant le grip mécanique dont il est habituellement privé. La contre-partie de ce choix technique est une partie avant d'une incroyable complexité. Les photos diffusées par Marshall Pruett, l'un des rares journalistes qui a eu l'occasion d'assister aux premiers tours de roues de la Nissan, montre en effet un compartiment moteur terriblement encombré. Saluons au passage l'initiative de Nissan qui est loin de se complaire dans la classique parano des équipes européennes, cachant tout ce qu'elles le peuvent aux yeux des caméras. Jusqu'à ce qu'un capot s'envole en pleine piste, juste devant un 500 mm bien affûté. Et bien placé...
A l'arrière, tout pour la finesse ! Comparativement à l'avant, complexe et alambiqué à l’extrême, l'arrière de la Nissan apparaît d'une exceptionnelle simplicité et d'une grande pureté. Normal, tel était le vœu de Ben Bowlby. Dégager au maximum le passage pour l'air capté à l'avant du véhicule pour refroidir radiateurs et échangeurs, afin de réduire au maximum la traînée du véhicule. Pour cela, trois solutions radicales ont été adoptées. Tout d'abord, la « moins » novatrice vient de l'adoption de deux conduits rectangulaires capturant l'air juste derrière le compartiment moteur et l'emmenant sans plus rencontrer le moindre obstacle, jusqu'à l'arrière de la voiture. Moins novatrice car cette idée de canal à air était déjà adopté sur les WR des années 90 par exemple. Mais l'idée est ici poussée à l'extrême car ce canal est véritablement vierge d'éléments intrusifs tels que les triangles de suspensions, les poussants ou même l'arbre de transmission. Mais on peut tout de même se poser une question (sans oser aucunement avoir la moindre idée de la réponse) : est-il utile de dégager au mieux la sortie du flux lorsque l'entrée est aussi compliquée ? Car avant d'atteindre les tunnels, l'air devra se frayer le passage dans le compartiment moteur dont a déjà vu qu'il était bien rempli... Pour y parvenir, la suspension arrière a été compactée à l'extrême, se réfugiant dans le peu de place que lui laissait cet exigeant conduit aérodynamique. Par conséquent, les triangles de suspension se retrouvent réduits à leur plus simple expression. Cela implique que leur débattement en Z (verticale du véhicule), doit donc s'accompagner également de mouvements en Y (transversale du véhicule). Est-ce là un gage d'un contact optimum et permanent du pneu arrière avec le sol ? Pas certain.
Des avantages. Et des inconvénients... Mais si pour ne pas passer trop de temps aux stands, on ne souhaite pas augmenter la fréquence des changements de pneus alors il faudra opter pour des gommes plus durables mais également plus dures. Et peut-être moins performantes. Il faut donc pour compenser cela que l'augmentation de la Vmax soit significativement importante. Or face aux puissance dont vont disposer des opposants déjà aguerris aux systèmes hybrides, il va vraiment falloir fendre l'air sur les Hunaudières pour espérer les contrer efficacement... D'autant que la dimension réduite des jantes, impose également une réduction du diamètre des disques de freins. Seront-ils aussi efficaces que ceux des R18, TS040 ou 919 ? Peut-être compte-t-on chez Nissan sur un freinage rendu plus puissant par une récupération d'énergie très efficace. Or, au travers de l'interview de Ben Bowlby par Marshall, on comprend à demi-mot que la valeur de récupération d'énergie n'est pas encore décidée. Il semble même que l'on puisse déjà exclure des valeurs de 8 MJ, trop lourdes pour la Nissan. Et vu l'hommage de Bowlby aux performances mancelles des R18 avec seulement 2MJ cette année, on peut se demander si... Dès lors, c'est le classique moteur thermique, un V6 3 litres à double turbo, développé d'une feuille blanche par Cosworth pour le compte de Nissan dans le seul but de motoriser la GT-R LM, qui recevra la lourde tache de motoriser le prototype rouge. Or Bowlby le reconnaît lui-même. Ce moteur est moderne mais ne développera guère plus de 500 chevaux. Il était espéré au moins 750 chevaux du système hybride : un système mécanique du type Flybrid. Est-ce bien réaliste ? Du moins pour 2015 ? Sur une voiture si neuve et si hardie, qui offre déjà tant de défis d'ingénierie et d'exploitation à relever ? Et qui n'a encore que peu roulé.
Mais si la raison de ce pari est toute autre. S'il procède de calculs stratégiques, non sur le pur plan technique mais sur le plan du marketing, s'il procède de l'analyse des retombées qu'ont amené les projets DeltaWing et ZEOD RC, s'il ne procède que de la volonté de se distinguer de la concurrence. Si il découle de l'envie de ne pas affronter la concurrence une nouvelle fois de manière frontale aussi bien sur le plan des budgets engagés que sur le plan technique, tout en tirant les marrons médiatiques du feu alors ce défi n'aura plus la même saveur. Or Nissan a déjà grillé un joker dans notre estime de fans de l'endurance, avec le fiasco de la ZEOD RC... Voilà qui explique le ton de relatif scepticisme qui teinte cet article. Chat échaudé craint l'eau froide... La pari technique colossal que représente cette GT-R LM impose de laisser un second joker aux dirigeants de Nissan. Il semble clair qu'une telle nouveauté ne pourra être jugée de manière définitive aussi bien à l'issue des prochaines 24 Heures du Mans, qu'à l'issue du WEC 2015. Mais après une saison de rodage, il faudra que ce concept prouve sa valeur au cours de sa seconde saison. Là est le véritable défi des hommes de Ben Bowlby. Et il n'est pas mince... Laurent Chauveau |