Envols, flips, que faut-il faire ? Imprimer Envoyer
Vendredi, 13 Juin 2008 09:57
th_Kruse_1On appelle ça la loi des séries. Le règlement LM P1 n’est pourtant pas nouveau. Il est entré en vigueur dès 2004 avec la Reynard Nasamax. Depuis, il a eu le temps de faire ses preuves et les envols par l’avant type Porsche GT1 et BMW V12 LMR au Petit Le Mans ou Mercedes CLR ici même au Mans
ne sont plus que de lointains souvenirs. Par la grâce d’une réglementation encadrant de manière beaucoup plus stricte, les dimensions principales de la voiture telles que l’empattement ou les porte-à-faux avant et arrière, les ingénieurs ne peuvent plus « dépasser » les lois aérodynamiques bien connues comme cela avait pu être le cas chez Mercedes. La CLR était en effet connue pour disposer d’un porte-à-faux avant bien long, rendant la voiture trop sensible au pompage aérodynamique. Comme nous le confirme David Floury, l’ingénieur Oreca, « le règlement actuel limite parfaitement les possibilités de décollage en longitudinal, que ce soit dans le sens de la marche ou dans le sens inverse. » C’est un bon point et personne ne songe à le remettre en cause. Et puis, soudainement, sur trois évènements distincts, 12H de Sebring (Mazda B-K n°8), 1000 km Monza (Creation AIM n°14, Audi n°1 et Courage-Oreca n°6), la Journée Test (Peugeot n°7) et enfin mercredi dernier (Lola Kruse n°44), voici que les voitures et leurs malheureux pilotes ont repris la fâcheuse habitude de planer quelques mètres au-dessus de la piste. Mais cette fois-ci, il faut bien le reconnaître, ce n’est plus dans des conditions normales de roulage que ces évènements se sont produits mais bien parce que les voitures se sont retrouvées soudainement en déplacement latéral à très haute vitesse. Problèmes mécaniques, erreurs de pilote, quelle que soit la raison originelle de la « mise en crabe », les conséquences ont immédiatement été un décollage de la voiture.

L'envol du crabe...

La raison en est simple. Une voiture est aérodynamiquement conçue pour fonctionner évidemment dans le sens de la marche, c’est logique. Les études aéros ne se font pas dans le sens transversal, l’intérêt en terme de performance étant nul. Conséquence, dès que la voiture part légèrement en travers, sa charge aéro décroît de manière importante et plus l’angle du travers augmente, plus la charge chute. Or c’est cette charge qui maintient la voiture au sol. Donc, plus elle est en travers et plus elle est vulnérable. Cela a toujours été vrai quel que soit le règlement et le restera à l’avenir. Un objet de 900 kg lancé à 270 km/h réunit des facteurs très favorables à son envol, c’est physique.

Mais la question principale qui se pose aujourd’hui est la suivante : la forme actuelle du fond des voitures ne favorise-t-elle pas encore plus qu’auparavant les envols « latéraux » ? Rappelons en effet que, depuis 2004 et l’apparition des règles LM P1, le fond des voitures n’est plus plat. Réglementairement, le fond des voitures est en V lorsque l’on regarde la voiture par l’avant. Une pente de 7° est en effet imposée sur les côtés afin de rendre le fond plus perméable et de limiter son efficacité aérodynamique. Mais cette pente n’est-elle pas un objet à double-tranchant ? Lorsque la voiture part en travers, n’a-t-elle pas tendance à offrir à l’air, une surface d’appui permettant de soulever encore plus facilement une voiture déjà devenue vulnérable de par sa perte de charge aéro ?

Plus sensibles qu'avant ?

Nous avons procédé à un petit tour de paddock afin de recueillir les avis sur ce sujet. Ce qui ressort de ces entretiens est que la majorité des ingénieurs pensent effectivement que ces envols peuvent être favorisés par le fond plat actuel. Mais « il faut être prudent dans les conclusions. Il est rassurant maintenant de savoir que, grâce aux nombreux échanges que nous avons eu depuis notre incident de Monza, il y a une réelle prise de conscience que ce soit au sein de l’ACO ou de la FIA. Ce qui est sûr en tout cas, c’est qu’il ne suffit pas d’une motte de terre un peu plus haute que les autres dans les à-côtés de la piste pour Stéphane s’envole. » nous confie David Floury. Bruno Famin offre une analyse du même ordre concernant l’accident de Marc Gene : « Il est clair que les pans inclinés ont dû aider à l’envol de Marc. Certes, il arrive trop vite dans la courbe et part en survirage mais une fois en travers, il s’envole rapidement. Je ne peux pas dire que le fond de la voiture soit la seule cause de l’envol, la vitesse étant le facteur majeur mais il l’a probablement favorisé. Cela semble être corroboré maintenant par l’échantillon d’accidents récents qui sont intervenus dans des conditions similaires impliquant des voitures de conception différentes mais également de niveau de performance différents. Il n’y a pas que les meilleures LM P1 qui s’envolent, il y a également des LM P2 de milieu de grille, preuve que le niveau de performance n’est pas seul en cause. »

Ralf Jüttner, l’ingénieur Audi Sport, est un peu plus nuancé : « Oui, les voitures se sont envolées. Dindo lui aussi à Monza a survolé la piste, suite à la touchette qu‘il a subie. Mais attention, ces envols n’ont jamais pris les proportions que nous avons vues à l’époque des GTP ou des P900. Je crois que cette réglementation 2004 est loin d’être mauvaise. En cas de pépin, nos voitures offriront toujours 10 m2 de surface de prise au vent et elles s’envoleront. C’est une certitude. » George Howard-Chappell, l’ingénieur anglais d’Aston Martin Racing apporte un éclairage intéressant. « Tout d’abord, je crois qu’il ne faut pas oublier que ce règlement a été solidement étudié en soufflerie et qu’il faudrait avant tout parler aux gens qui ont fait ces études pour connaître le fin mot. Quant aux pans inclinés, on peut imaginer que le côté opposé à l’avancement peut effectivement faire effet de levier. Mais l’autre côté, lui, joue un rôle de diffuseur ce qui contre-balance. Voilà pourquoi, je suis extrêmement méfiant. D’un autre côté, nous n’avons pas planché sur ce sujet réellement chez Aston Martin Racing, nous n’avons pas fait de simulation sur ce problème donc je reste mesuré dans mes propos. » Bruno Famin trouve pourtant une faille au fonctionnement du diffuseur : « Cela est vrai en théorie, en soufflerie dans un régime stabilisé. En dynamique, c’est beaucoup moins vrai. Il suffit que la voiture prenne une très faible incidence pour détruire cet équilibre. Et dès qu’il est rompu, le phénomène s’inverse. Le « diffuseur » devient à son tour surface porteuse et la voiture s’envole. »

Remaniement prudent

Là où tous les ingénieurs se rejoignent, c’est sur la prudence dont il faut faire preuve pour remanier le règlement et le sérieux des études à mener. « Il faut prendre le temps de faire des études sérieuses, ne rien précipiter sous le coup de l’urgence. A mon avis, il ne faut même rien faire concernant le fond plat pour 2009, ça me parait déjà trop court. A la fois pour mener une étude correcte et pour modifier les voitures en conséquence. » déclare David Floury. George Howard-Chappell et Ralf Jüttner sont également d’accord sur le fait qu’il y a toujours moyen d’améliorer un règlement et qu’il doit y avoir quelque chose à faire mais qu‘il faut le faire très sérieusement. Bruno Famin quant à lui pousse « avec Peugeot Sport auprès de nos concurrents, de l’ACO et de la FIA pour qu’un petit groupe d’experts commence à plancher sur le sujet. Mais parallèlement, de notre côté, nous anticipons et allons lancer des études pour bien comprendre le phénomène. »

Côté ACO, Daniel Poissenot a clairement annoncé que la première des choses pour 2009 afin de diminuer la gravité de ce genre d’accidents serait « de réduire le niveau de performance des autos via les brides. Cela cadre aussi avec notre volonté de maintenir la barre des 3’30" au tour en course. Mais pour l'avenir, nous souhaitons également réduire le niveau des appuis afin de diminuer les vitesses de passage en courbe et étant donné l'urgence de la situation, nous envisageons d'agir dès 2009. Pour ce qui concerne la forme du fond des voitures, nous sommes effectivement ouverts à de nouvelles études et cela doit se faire en collaboration avec les concurrents et la FIA. »

Le faisceau d’incidents survenus cette année a eu cette conséquence bénéfique de provoquer une prise de conscience. Deux pilotes vont manquer Le Mans à cause de leur cabriole de Monza. Fort heureusement, leurs blessures n’ont pas de conséquences sur le long terme et, si l’on ose dire, pour Jamie et Stéphane, ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Les autres victimes de flips ou décollages, Ben, Dindo, Marc et Hideki sont indemnes, tant mieux, c‘est une preuve que la sécurité passive de nos protos actuels est excellente. Mais il est probablement bon de retenir les leçons de ses envols et, sans céder à une précipitation qui pourrait être mauvaise conseillère, de se pencher sur les formes de ces « fonds à pans inclinés ». Et d’améliorer ce qui peut l’être sans dégrader ce qui est déjà très bon. En souhaitant que d’ici à la mise en vigueur de nouvelles normes, la loi des séries veuille bien nous laisser un peu tranquille. Pour le bien des pilotes, des commissaires et de tous autour des circuits. Car les grillages ont une hauteur limitée…

Laurent Chauveau