Ne plus s'éloigner des plaisirs... Imprimer Envoyer
Mercredi, 19 Mars 2014 21:39

1991_LM_Mazda_55C'est un article de l'hebdo qui avait éveillé mes sens. Il s'intitulait Vroarrrr. Nous étions au cœur des années 1980 et par sa simple plume, le journaliste avait su me remettre dans l'ambiance sonore du Mans. Un défi... Dès l'année suivante, je décidais que cet article ne me suffisait pas. Il me fallait les sons. Les vrais sons du circuit pour tuer l'année d'attente qui me séparait des prochaines 24 Heures. J'étais encore ado, un brin romantique mais carrément passionné. Dinguement passionné. J'ai donc débarqué au bord du circuit, à la nuit tombante, cette heure ou les sons passent mieux, avec ma grosse chaine Hi-Fi à l'épaule, la K7 vierge de 90 minutes prête à l'emploi. Je me suis posté au virage de Mulsanne, j'ai posé ma Panasonic au sol et appuyé sur « Rec ». 45 minutes plus tard, je retournai la cassette et repartai pour 45 minutes supplémentaires... Ainsi, durant 364 jours, je pouvais revivre cela.

Revivre les passages de ces trois Jaguar roues dans roues. Entendre leur décélération et leur long freinage avant le virage. Puis entendre les trois V12 remonter dans les tours à mesure que les XJR-9 fonçaient vers Indy. Ecouter les commentaires d'Olivier de la Garoullaye, le prédécesseur d'un Bruno Vandestick qui intervenait déjà depuis les stands. Savourer le cri fabuleux d'un quadrirotor Mazda encore débutant mais déjà charmeur. Supporter cette pub qui nous incitait à aller faire contrôler notre vue au stand Asnave. Survenait alors le son rauque d'un gros V8 anglais atmosphérique. L'une des Aston venait de passer. Les paroles de mon père, de ma sœur ou de mon frère, s'ajoutaient à l'ambiance qu'une Sauber Mercedes venait subitement matraquer du son puissant de son V8 turbo. Les Spice faisaient rugir leur V8 Cosworth tandis que les Porsche 962C passaient, bien plus discrètes, comparées aux autres Groupe C. Le journaliste de l'hebdo avait ainsi décrit le bruit des Porsche : l'art d'aller vite en silence... Ma précieuse petite K7 me permettait de garder trace de tout cela et de m'endormir certains soirs de décembre en ayant l'impression d'être assis au bord de la piste, le cul dans l'herbe sarthoise... L'hiver semblait ainsi moins long.

Les photos permettaient de garder trace d'une autre partie du spectacle : le visuel. Les turbos portés au rouge des Sauber. Les freins portés au rouge des Nissan. Les petites lampes de toit des Jaguar qui me permettaient de les reconnaître chacune la nuit car elles avaient toutes des couleurs différentes. Les numéros n'étaient que très rarement éclairés en ce temps là... Elles me permettaient surtout d'admirer ces voitures que je trouvais pour la plupart magnifiques. Et je n'ai pourtant pas connu l'époque bénie des galbes généreux des Ferrari P4, des hanches rebondies des Ford GT40, ou des formes effilées de la 917 LH... Les enregistrements VHS permettaient de revivre tout cela d'encore plus près, notamment cette demie-heure savoureuse du petit matin de 1989. TV24, une chaine locale mise en place spécialement pour les 24 Heures par les Mutuelles du Mans avec Jean-Jacques Bourdin et Patrice Laffont aux commentaires prend l'antenne à 8H30. Mais avec l'amateurisme ambiant qui règne dans une organisation très temporaire (et les innombrables difficultés que cela devait supposer), les journalistes ne débarquent qu'à 9H00. Pendant 30 minutes, c'est les images et les sons de la course sous leur forme la plus pure. Un bonheur parfait sous le beau soleil de cette édition...

Il ne manquait plus que les odeurs de la course pour s'y croire vraiment. L'odeur de l'essence, de l'huile, des plaquettes, des pneus surchauffés. Et ces odeurs annexes, indissociables de l'évènement. Celle de l'herbe coupée de frais à Arnage et allègrement piétinée par la foule. Celle des échoppes des vendeurs de merguez. Celle de nos croque-monsieur dans le sac à dos... De la bière qui coule allègrement dans les gosiers...

Les 24 Heures du Mans constituent un spectacle total qui flatte tous les sens. Abrité sous l'ombre des pins des Esses du Tertre-Rouge, on peut le savourer à loisir... Mais n'est-on pas en train de perdre quelques pans de ces plaisirs multiples ?

On veut du son !

Porsche_919_HybridDepuis quelques années sont arrivées des moteurs qui ne sentent plus l'essence. Audi, puis Peugeot ont choisi la voie du diesel. Inutile d'espérer entendre arriver au loin ces moteurs là. Ils arrivent vite. Très vite même, certes. Ils en surprennent même souvent les photographes car ils arrivent encore plus silencieusement qu'une 962C... Et dans leur silence, ils n'en restent pas moins disgracieux. C'est un paradoxe dans l'énoncé mais cela n'en demeure pas moins vrai. Un diesel n'a pas les caractéristiques habituelles que l'on attend d'un moteur de course. Il ne chante pas. Il se contente de 5000 petits tours. Ca va encore lorsque c'est un V12 ou un V10. Mais le V8 de la seconde 908 n'offrait qu'un bruit de tracteur. Le V6 de la R18 est quant à lui réellement inaudible. J'avoue que le spectacle et le suspense offerts par Audi et Peugeot au cours d'un quinquennat fantastique m'aidaient à oublier ce manque de plaisir sonore. Mais le manque est là.

Ce qui est inquiétant, c'est que le manque pourrait venir à s'aggraver. Oh certes, sur le plan comptable, nous ajoutons désormais un troisième constructeur officiel en LMP1. Certes, sur le plan sportif, nous pouvons espérer vivre de nouveau de superbes batailles en piste, même dans la catégorie reine. Mais sur le plan auditif, nous pourrions bien y perdre. Le règlement 2014 nous entraine vers les économies de carburant à tout crin. C'est parfaitement louable. Mais pour y parvenir, les constructeurs ne vont pas pousser leurs moteurs vers des régimes inavouables. Cette époque des moteurs hurlants semble révolue. C'est une partie du spectacle qui s'enfuit. Les premiers « sons » qui nous soient parvenus de la Porsche 919 Hybride ne sont guère enthousiasmants. A tel point que certains se sont même demandés si Porsche n'était pas passé à son tour, crime de lèse-majesté, au diesel... Il n'en est finalement rien. Le V4 tourne à l'essence. Mais pas vite apparemment. Et pas fort en décibels. Si ça continue, le législateur pourra même retirer du règlement l'alinéas qui définit la limite sonore du moteur. Et ce n'est pas le premier Grand Prix de F1 de la saison 2014 qui va nous rassurer. Les spectateurs ne semblent pas avoir apprécié. L'organisateur australien non plus pas plus que Bernie. Et le paddock ne semble être guère plus enthousiaste...

Que l'on me comprenne bien. Je ne suis pas un adorateur des bruits de moteurs tellement forts qu'ils vous détruisent les oreilles. Le Mazda birotor du début des années 80 était un tel supplice après de longues heures de course qu'on en obturait ses oreilles lorsqu'il survenait. Je ne suis pas un adorateur des 135 db que l'on enregistrait sur la ligne droite des stands à l'époque de groupe C. Le seuil de la douleur... Mais je suis un adorateur des sons de moteurs. Et de leur diversité. En ajoutant deux rotors supplémentaires à leur premier moteur, les ingénieurs Mazda nous avaient fait passer du supplice au délice. Ce délice que l'on n'apprécie plus guère que sur les GT désormais. Jusqu'à quand ? Que l'on limite la puissance sonore des moteurs à une certaine valeur pour ne pas se mettre plus à dos des riverains, passe encore. (des riverains qui viennent s'implanter à côté d'un circuit pour finalement se plaindre de la présence de celui-ci...) Mais que l'on limite la qualité de la symphonie, non.

Audi_R18_2014C'est la voie du progrès me dira-t-on. Mais le progrès doit-il être synonyme d'absence de plaisir ? Y a-t-il des solutions techniques pour imposer aux constructeurs d'étudier des moteurs envoyant du son, du vrai. Ca ne paraît pas évident. Mais on peut tout au moins interdire certaines architectures. La F1 a refusé les 4 cylindres pour leur préférer les V6. Il y a probablement là une voie à suivre. De même qu'il serait temps de se poser la question de la pertinence du moteur diesel en course. Les constructeurs, Audi en tête, ont eu largement le temps de prouver qu'un « mazout » peut « envoyer grave ». Tournons donc la page, non ? Cela résoudra le sempiternel problème de l'équivalence et l'on entendra peut-être à nouveau respirer le moteur des Audi... A mon sens (et visiblement nombre de fans sont du même avis) une voiture de course doit faire rêver. Le moteur en fait partie et charge ne doit pas être laissée à la seule technologie d'engendrer ce rêve.

On veut des canons de beauté !

Ferrari_312PAllez, on est lancé alors allons au bout du débat (ou de mon monologue, j'en conviens...). Car il n'y a pas que l'aspect sonore. Le visuel en a pris un coup également ces dernières années. Tout d'abord, il y a l'aspect réglementaire. Excusez-moi mais je ne digère toujours pas le fameux aileron de requin. Cet élément porte d'ailleurs fort mal son nom puisqu'un aileron de requin, c'est assez gracile et élégant... Lorsqu'on ajoute à cela les ouvertures au-dessus des roues ou les sabots arrières, le règlement ne nous gate vraiment pas. D'autant que tous ces éléments ont un cadre très rigoureux qui ne laisse aucune fantaisie créatrice aux ingénieurs. L'aileron de requin doit notamment comporter une arête supérieure parfaitement rectiligne, la forme des sabots arrières est totalement dessinée par le règlement. Là encore, nul ne peut la revisiter à sa sauce... Pour des éléments aussi présents visuellement, c'est assez dramatique. Certes, tous ces éléments ont une réelle justification technique. Ils sont là pour faire reculer le seuil d'envol d'une voiture placée en position anormale de roulage. Mais dieu, qu'ils sont disgracieux ! N'y avait-il vraiment aucune autre façon de faire ? Je pense que si et j'y reviendrai probablement un peu plus tard. Mais le règlement actuel est fait par des ingénieurs pour des ingénieurs. Lorsque l'on ajoute à cela des études aérodynamiques de plus en plus omniprésentes et aux résultats esthétiques plus que discutables, on aboutit à des voitures qui, à mon goût, ne risquent pas de faire oublier les reines de beauté du passé. Elles sont impressionnantes, indiscutablement, mais n'ont pas la grâce de la Type D ou de la 312P. Et si l'on peut comprendre que l'on cherche à augmenter sans cesse les rendements des moteurs, peut-on accepter que l'on consacre tant d'argent à des recherches aéros qui n'auront que des retombées extrêmement marginales sur la voiture de monsieur Toutlemonde ? Qui a déjà eu l'occasion, sur route ouverte, de prendre un virage à 4G latéraux tant sa voiture est collée à la route ? Je ne signifie pas qu'il faille revenir à des voitures se « trainant » en virage. Je n'ai jamais rien tant kiffé que de voir les 908 et R15 changer d'appui avec une violence phénoménale dans les Esses du Tertre-Rouge. Je dis juste que l'aéro a maintenant atteint une sophistication « suffisante » dans le cadre de la recherche d'appuis. Qu'il n'est nul besoin d'aller plus loin. D'autant que régulièrement, le législateur est obligé de ralentir les voitures pour contrecarrer les idées des ingénieurs.

1990_LM_Nissan_24La proposition ? Imposer un « comité esthétique » chargé d'accepter ou pas les propositions des ingénieurs. Pas question d'imposer la pensée unique. Il faut des formes diverses et variées, c'est le fondement même du Mans. Mais il faut que le crayon des aérodynamiciens soit contrôlé par des esthètes. Idée loufoque, délirante ? Dans le cadre actuel du sport automobile, j'accepte cette critique bien volontiers et je vois déjà les afficionados de l'aéro faire des bonds dans tous les sens en lisant ces lignes. Mais puisque l'on cherche toujours à justifier le sport auto par le bienfait qu'il apporte à la voiture de grande série, est-il si illogique de voir les bureaux d'étude du premier fonctionner avec les mêmes contraintes que celles que subit la seconde ? Or une voiture de série est un véritable compromis entre style et technique. Je suis persuadé que l'on peut conserver aux protos modernes, un look d'avion de chasse hyper technologique tout en leur gardant une vraie esthétique. Dome semble d'ailleurs être le constructeur actuel qui aboutit aux meilleurs compromis style/aéro à l'heure actuelle. Et puisque je fais un parallèle avec le monde de l'aviation, qui niera que le Rafale est un avion éminemment technologique ? N'est-il pourtant pas l'un des avions les plus magiques qui soit de par ses formes ? Preuve que l'aéro et l'esthétisme peuvent parfois faire cause commune. Mais j'ai bien conscience que l'on n'est probablement pas prêt de voir un tel « comité esthétique » se mettre en place. Pas grave, j'aurai au moins poussé mon idée jusqu'au bout ! Et si l'on pouvait laisser les disques de freins apparents, ça n'en serait que mieux. Quoi de plus sympa que de voir le carbone porté au rouge ? Laissez nous ce plaisir visuel, les voitures modernes freinent déjà bien assez fort !

On veut de la verdure...

1990_LM_Porsche_JoestUne ultime requête ? Que le circuit manceau retrouve un peu de son cadre bucolique. Lui aussi est entré dans l'ère moderne mais au vu des photos d'époque, cela n'a pas que des avantages. L'endurance n'a pas les mêmes exigences que les courses de sprint. On dispose de plus de temps pour profiter de tout. Une pelouse ombragée est l'un de ces plaisirs. Le Mans manque d'arbre de nos jours. Souhaitons donc que les aménagements prévus du côté d'Arnage ne dénaturent pas trop l'un des ultimes endroits authentiques et historiques de ce tracé de légende...

Suis-je un romantique ? Indiscutablement... Suis-je un nostalgique ? Peut-être un peu même si j'ai horreur des ré-interprétations modernes des voitures du passé. Je souhaite avant tout que le futur nous offre des émotions à tout point de vue. Je ne suis pas impatient de voir la Nissan ZEOD RC effectuer son tour silencieux sous la seule action de ses moteurs électriques. Le plaisir des sens est l'essence de la vie. Je suis de ceux qui pensent qu'il doit prendre le pas sur le réalisme technologique.

Laurent Chauveau

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