Bilan du WEC 2012, Tome 1 : Le duel ! Imprimer Envoyer
Jeudi, 03 Janvier 2013 09:57

Grille départ Le Mans 2012C'était à Magny-Cours le 18 octobre 1992 dans une certaine indifférence et au soir d'une bien triste saison. A l'issue d'une course de 500 km à laquelle seules 8 voitures avaient pris part, le Championnat du Monde des voitures de Sport vivait un enterrement de première classe, conclusion malheureuse d'une suite de décisions aberrantes par le pouvoir fédéral. Décisions qui avaient notamment eues pour conséquence de voir le plateau des 24 Heures du Mans passer de 55 voitures au départ en 1989 à 28 en 1992 : 50% de pertes en trois ans, une véritable gabegie...

Le 17 mars dernier, au beau milieu de la Floride, de ses lacs, alligators et orangeraies, devant 90.000 spectateurs et sur un tracé d'un autre âge mais tellement atypique et attachant, avait lieu la première course de la première édition du renaissant Championnat du Monde d'Endurance (WEC in english). Elle avait pour cadre les traditionnelles 12 Heures de Sebring, 60èmes du nom. Il avait donc fallu 20 années de reconstruction à la discipline endurance en passant par de multiples étapes, de nouveaux bas, de nouveaux hauts, pour pouvoir prétendre se voir attribuer le précieux label officiel délivré par la Fédération Internationale de l'Automobile. BPR, FIA-GT, International Sports Racing Series, SportsRacing World Cup, FIA Sportscar, American Le Mans Series & European Le Mans Series (1ère mouture, celle de Don Panoz dont la sauce ne prit pas), Le Mans Endurance Series devenue Le Mans Series, Asian Le Mans Series (1ère mouture là aussi, vite avortée), Intercontinental Le Mans Cup, tels furent les jalons, qui posés bout à bout par un grand nombre de promoteurs différents, permirent petit à petit de reconstituer un plateau intéressant (Et désolé si j'en ai oublié un ou deux !). Ils redonnèrent progressivement le goût de l'endurance à certains constructeurs. Suffisamment pour que sous la pression de ceux-ci et probablement un peu plus vite que prévu, l'ILMC, appellation qui ne disait rien à personne, soit remplacée par un véritable Championnat du Monde. Cette renaissance est probablement le point le plus fort de cette saison 2012 dorénavant vouée à l'histoire. Et sur laquelle, je vous propose de revenir.

Terrible coup dur avant même le lancement de la saison !

Cette renaissance aurait pu être plombée par le coup le plus dur mais aussi le plus inattendu de l'année passée. Il y a presque un an, le 18 janvier 2012 (date limite d'inscription au WEC) tombait sur les téléscripteurs modernes, l'info la plus invraisemblable : Peugeot Sport stoppait immédiatement toute implication en endurance. L'équipe de conception était démantelée, sans délai. Certes, les mois suivants ont prouvé à quel point le groupe PSA traverse une crise profonde. L'annonce d'un plan de licenciement de 8000 personnes n'est pas anodin, loin s’en faut. Mais lorsqu'un groupe perd 200 millions d'euros par mois, les 30 à 40 millions du budget annuel de l'entité sportive ne sont qu'une goutte d'eau dans l'océan. On peut difficilement comprendre les raisons qui poussent à prendre une telle décision. Malgré ce contexte très difficile, le groupe a-t-il cessé toute forme de publicité ? Non, bien sûr... L'année ou PSA lançait en série ses systèmes Hybrid4, il s'est privé de la promotion qu'aurait pu lui apporter d'éventuelles victoires de la 908 diesel-électrique. Incompréhensible... Certains bruits internes laissent à penser que les premiers essais avaient donné toute satisfaction. Le retrait ne pouvait donc pas avoir pour cause une éventuelle « peur » de l'adversaire comme cela a parfois été évoqué chez certains medias. Ce n'est qu'une décision de communication, histoire de mieux faire accepter le plan social à venir et qui n'était qu'un secret de polichinelle à l'époque. Ce qui est étonnant, c'est d'avoir laissé filé une telle équipe, qui tenait la dragée haute à Audi avec un budget pourtant très inférieur. Il y avait de la matière grise chez Peugeot Sport que personne n'a tenté de retenir en attendant des jours meilleurs, ne serait-ce qu'en tentant de monnayer ses services tout en maintenant une cellule de veille. Le pire dans tout cela, et ce n'est qu'un avis très personnel, c'est que au vu de la course du mois de juin dernier, la victoire au Mans paraissait très jouable, finalement. J'étaie cet avis un peu plus loin dans le paragraphe concernant Audi. Las, nous ne verrons jamais en piste cette évolution de la 908, le bébé a été jeté avec l'eau du bain...

LM2012_Toyota_TS030_HYBRID_8Heureusement, Toyota a pris la relève au pied levé ! Initialement, 2012 ne devait être qu'une année d'apprentissage pour l'équipe nippo-germano-française avec quelques participations sporadiques aux épreuves du WEC dont Le Mans. Le départ précipité de Peugeot Sport a entrainé quelques tractations en coulisse de dernière minute. Les organisateurs avaient soudainement grand besoin du constructeur japonais pour sauver son affiche en LMP1. Finalement, un terrain d'entente était trouvé et Toyota faisait le saut dans le grand bain dès sa première année. Malheureusement, il était trop tard pour Sebring mais la toute nouvelle TS030 HYBRID serait à Spa. C'est un pépin au freinage sur le circuit du HTTT qui repoussa encore un peu plus les grands débuts en compétition de la voiture déjà très fortement revue par rapport à celle initialement présentée en janvier. Il nous fallut donc attendre la Journée Test du Mans pour être rassuré. Les 24 Heures allaient bel et bien offrir une affiche digne de son passé. Certes, nous savions tous que Toyota ne tiendrait sûrement pas le choc 86400 secondes durant mais on espérait bien voir les bleues et blanches taquiner les grises quelques heures. Malgré un freinage encore très perfectible, les deux TS030, roulant souvent en escadrille, ont sauvé le samedi de l'ennui. Et de quelle manière ! Le duel Lapierre-Tréluyer après 5 heures de course, restera longtemps dans les mémoires. Cela n'a guère duré qu'une minute mais tout y est passé. Roues dans l'herbe, prise d'aspiration « nose to tail » comme disent les britanniques, je te pique au freinage, je dépose à l'accel'. Ce fut splendide. Et soudain, Davidson s'envola ! Retombant aussi fortement au sol que nos espoirs de la poursuite de cette bataille splendide. Anthony s'est blessé au dos dans cette cabriole démesurée. Les protos s'envolent toujours en latéral malgré l'aileron de requin. L'affreux appendice dorsal n'a fait que repousser le seuil de décollage. Anthony était probablement à plus de 300 lorsque Giuseppe lui a donné l'impulsion fatale, sa TS030 est alors devenue plus légère que l'air... Juste après la course, Pascal Vasselon estimait que « à la lumière de ce qu'il s'est produit samedi, il est évident que nous allons devoir rediscuter de ce problème, d'y trouver de nouvelles solutions. » Les prémices du règlement 2014 ne donnent pourtant pas à penser que le concept global des protos aient été profondément revu... Dommage à tout point de vue.

Toyota TS030, redoutable challenger !

Toyota TS030 Victoire Sao PauloLa suite de la saison a prouvé que les promesses du Mans n'étaient pas vaines. L'unique Toyota TS030 affrontant les deux Audi R18 a remporté 3 des 5 manches restantes. A Silverstone, c'est l'appétit en essence du V8 atmosphérique qui priva l'équipe d'un premier succès. Mais il suffisait de patienter 15 jours de plus. Sur le circuit d'Ayrton, Alex Wurz et Nicolas Lapierre repoussait les Audi à plus d'une minute après 6 heures de course, remportant la première victoire Toyota en Sport Proto depuis celle de 1992 à Monza... Même la célèbre GT-One n'avait pas fait aussi bien. Et ce succès a été renouvelé au Japon devant un public ravi, puis en Chine, succès toujours très important pour un constructeur nippon, surtout à une époque où les relations entre les deux pays sont de nouveau assez tendues...

Très douce avec ses pneus, possédant une excellente aéro (avec notamment un kit apparu à Silverstone qui n'est pas sans prêter le flanc à la critique mais qui a toutefois été autorisé...), s'appuyant sur développement constant, le gros point fort de la voiture vient évidemment de son système hybride extrêmement performant. Il est clair que sur une voiture essence, l'hybridation est plus pertinente que sur une diesel car le couple généreux des moteurs électriques compense la faiblesse endémique de ce point de vue du moteur thermique. Mais sur la TS030, probablement bien aidée par la fameuse règle des 120 km/h, cela faisait plus que compenser. La facilité avec laquelle Nico Lapierre dépasse Benoit Tréluyer juste à la sortie de Mulsanne ou d'Arnage est proprement bluffante. En travaillant la consommation de carburant, cette auto sera encore plus redoutable au Mans cette année. Suffisant pour tenir la dragée haute à Audi ?

Pas si impressionnantes ces R18...

th_LM2012_Audi_R18_e-tron_quattro_1L'équipe Audi, c'est à mon goût, le petit bémol de cette saison... Quoi ? Avec une nouvelle victoire à Sebring, une douzième victoire mancelle au cours de laquelle Audi Sport a imposé pour la première fois une voiture hybride, un double titre de champion du Monde constructeur et pilotes, comment peut-il écrire cela ? Et bien oui, Audi Sport m'a déçu. La R18 est une voiture très typée Le Mans qu'elle remporte pour la deuxième année consécutive. Mais sur les autres circuits, elle est bien moins à l'aise. En 2011 déjà, Peugeot Sport avait mis à mal les voitures allemandes, remportant toutes les manches hors de la Sarthe. Cette année, c'est une débutante et esseulée Toyota TS030 qui a brisé la domination pourtant attendue d'Audi. Même au Mans, pour leur première course, les deux voitures japonaises étaient largement dans le coup en performance pure. Voilà qui donne à réfléchir concernant la R18 e-tron quattro. Dès le début de saison à Spa, Ralf Jüttner semblait méfiant quant à l'utilisation des pneus sur sa voiture. Le Mans lui a donné raison. Là où le modèle 2011 fut proprement hallucinant, celui de 2012 le fut bien moins : pas plus de trois relais avec le même set de gommes pour les R18, quel que soit le moment de la course, tandis que Toyota tentait dès le samedi et sans perte de performance, le quadruple relais. Audi Sport n'a jamais été en mesure de tenter d'en faire de même. Inutile de parler d'un quintuple comme le fit Benoit Tréluyer en 2011 au matin. Les courses de fin de saison ont confirmé cette tendance. La R18 « bouffe » de la gomme...

Audi_BahrainMais son système hybride manque aussi de « pêche » ! Autant les super-condensateurs de Toyota ont fait la preuve de leur performance mais également de leur constance (au Mans, c'est le moteur thermique qui a péché, pas l'électrique), autant la roue d'inertie d'Audi a semblé plus limité en performance mais également en fiabilité. Il n'est un secret pour personne qu'au Mans, la n°1 a rapidement été partiellement (totalement ?) privée de l'aide de son moteur électrique, le système ayant été mis en mode de sauvegarde. Plus étonnant encore est la très faible différence de performance entre l’Ultra et l’e-tron quattro. Loïc Duval était tout prêt de signer la pole au Mans. Pourtant, avec ses longues lignes droites et ses gros freinages, il n’y a guère de circuit qui soit plus favorable que Le Mans à une voiture hybride. Bref, tout prête à croire que la R18 e-tron quattro était encore loin d’être aboutie en juin dernier. Pourtant, il semble qu'Audi poursuive sur cette route pour la saison à venir. Non seulement, sur les R18 évo 2013, le principe d’accumulation d’énergie par roue d'inertie magnétique est reconduit grâce à un développement plus poussé (il est déjà annoncé plus puissant pour le même poids) mais il continuera à propulser les roues avant. Et ce malgré la règle qui veut que celui-ci ne soit pas mis en action avant que la voiture n'ait atteint les 120 km/h et par laquelle, Audi dit avoir été très pénalisé en 2012. Etrange… Cela signifie-t-il que l’on doit s’attendre à une évolution du texte dès cette année ? A suivre de près.

Audi Sport doit gérer en parallèle deux programmes très gourmands en ressources. Le DTM et l'endurance. La saison DTM a été difficile pour le constructeur allemand donc il faut bosser dur pour remettre l'A5 DTM au niveau de la concurrence. Il faut également travailler sur les évolutions de la R18 pour contrer Toyota mais dans le même temps, il faut aussi concevoir la future LMP1 de 2014 (qui conservera l'appellation R18). Il y a du pain sur la planche... Alors certes, on pourra arguer du fait que Mercedes n'a sûrement pas la tâche plus simple en gérant en parallèle à la fois la Formule 1 et le DTM. Toutefois, on peut se poser la question de savoir si une telle « dispersion » des forces n'aura pas d'impact sur la saison 2013 d'Audi... A suivre !

A suivre également, la suite de cet article à paraître demain, vendredi ;)

Laurent Chauveau