Ralf Jüttner : "la R18 e-tron quattro aura un avantage au Mans" Imprimer Envoyer
Mardi, 08 Mai 2012 17:44

Ralf_JuettnerAvec quatre voitures engagées lors de ces 6 Heures de Spa, Ralf Jüttner, le directeur technique d'Audi Sport Team Joest, était un homme bien occupé. A l'issue de qualifications archi-dominées par son quatuor majeur, il était pourtant disponible pour nous éclairer sur la nouvelle née : la R18 e-tron quattro. Tout comme Benoit Tréluyer, il a accepté de nous expliquer pourquoi la conventionnelle R18 ultra demeure compétitive face à la nouveauté hybride. « Tout le monde semble surpris que la R18 e-tron quattro ne domine pas plus la R18 ultra. Mais en fait, je ne le suis pas tant que ça. Depuis que nous roulons avec ces deux voitures, nous nous sommes aperçus que tout dépend du circuit sur lequel nous roulons. Une fois, cela tourne à l'avantage de l'ultra, la fois suivante, c'est l'e-tron quattro qui est devant. Il faut bien comprendre que pour rendre notre version hybride compétitive, nous avons du alléger tous les composants de la R18 afin d'enrayer le surplus de masse engendrée par ce système. R18 ultra et R18 e-tron quattro partageant un très grand nombre de pièces, la première en a profité. Pour rester au dessus du poids réglementaire, elle est donc lestée et cette masse est mieux placée que sur l'hybride. Son centre de gravité est plus bas donc sa dynamique en courbes est meilleure. De plus, c'est une voiture désormais très aboutie, évolution de celle qui a prouvé sa valeur au Mans l'an passé. La e-tron quattro n'en est qu'à ses débuts et ne peut se targuer d'une telle maturité. »

Audi_R18_e-tron_quattro_2Audi Sport a longuement clamé, que ce soit par la voix du Dr Ullrich ou de Ralf Jüttner que lancer une version hybride ne serait intéressant qu'à partir du moment ou l'on serait sûr de disposer d'un réel avantage sur une voiture thermique classique. « C'est bien pour cela que nous avons dévoilé notre R18 e-tron quattro dès cette année. D'après nos simulations, elle devrait être légèrement plus performante que l'ultra au Mans, un circuit assez favorable aux hybrides, avec de longues lignes droites et de gros freinages. Mais la R18 ultra aura encore toute sa place car si le système électrique venait à faillir sur la e-tron, ce ne serait qu'un poids mort à trainer, moins idéalement placé que sur l'ultra. » Aurait-on le moindre doute dans le clan Audi Sport quant à la fiabilité du système hybride ? « Nous avons d'ores et déjà fait une simulation de 30 heures (en deux fois car nous n'avions pas le droit de rouler de nuit) et le système a donné satisfaction. Nous en ferons une autre d'ici Le Mans sur un circuit que nous gardons secret. Je suis confiant. » Surpris que Audi Sport ne se livre qu'à deux simulations d'endurance (officielles) d'ici Le Mans, Ralf argumente « Nous pouvons nous permettre de faire un peu moins de tests que par le passé car nos simulations informatiques ainsi que nos essais sur banc dynamique sont de plus en plus pertinents et affinés. Ils nous apportent d'excellentes informations. Mais je vous rassure, nous procédons toujours à de nombreux essais même si il ne s'agit pas toujours forcément d'une simulation de 30 heures... »

Ralf_JuettnerLa questions des pneumatiques était l'une de celles qui se posaient avec le choix fait par Audi Sport de placer son système de propulsion électrique à l'avant. « Effectivement, la durabilité des pneus avant peut devenir un problème car ils doivent no seulement faire tourner et freiner la voiture mais ils doivent également la propulser. Et la propulser alors que les roues sont parfois encore braquées d'où des sollicitations supérieures. » Pourrait-on dès lors imaginer que l'e-tron quattro soit plus économe en carburant grâce à son système hybride mais plus vorace en pneumatiques avant ? « Il ne le faudrait pas car changer de pneus trop souvent est un handicap insurmontable. Nous l'avons bien vu au Mans l'an passé. Nous faisions un tour de moins que les Peugeot du fait de notre consommation en gazole mais nous tenions au moins un relais de plus avec les pneus. Et au final, cela nous donnait un avantage... » Pour des raisons logistiques, Audi Sport a tenu à ce que ses deux LMP1 disposent du maximum de pièces en commun. Cela est également valable pour les pneus. « Pour l'instant, nous utilisons les mêmes gommes sur l'ultra et l'e-tron quattro. Or du fait de la récupération d'énergie sur l'hybride, les stratégies de freinage sont différentes, les contraintes également. Il pourrait donc être judicieux de développer des pneumatiques spécifiques à l'avenir. »

Après la récupération de cette énergie, il y a la restitution de celle-ci. A ce propos, Ralf précise que « notre gestion de la stratégie énergétique sera définie d'ici Le Mans. D'ores et déjà, nos pilotes disposent de plusieurs positions pour gérer l'arrivée de la propulsion électrique. (8 positions au volant aux dires de Benoit Tréluyer) Mais il nous reste des sujets à approfondir. Par exemple, est-ce intéressant, si l'on sait que l'on ne va pouvoir faire que 10,9 tours avec le plein sur tel relais, de tirer un peu moins de puissance thermique pour passer le cap d'un tour supplémentaire en piste sans ravitailler ? Le déficit de temps au tour ne sera-t-il dès lors pas trop pénalisant pour que le jeu en vaille la chandelle ? » Il est à noter que contrairement à ce que déclare Benoit Tréluyer, Ralf Jüttner nous a dit qu'à Spa, les Audi R18 e-tron quattro ne rechargeaient leur roue d'inertie qu'en trois points du circuit, points préalablement définis par l'ACO. Étrange contradiction dans la communication du constructeur allemand, pourtant si rodée, tant il est vrai que le règlement stipule simplement que le système ne peut être rechargé que lors d'un freinage excédant les 2G de décélération sur plus d'une seconde... Cela correspond peut-être à trois points spécifiques du circuit de Spa mais apparemment, le règlement ne stipule pas en quels points précis du circuit, on peut recharger le système. Enfin, Benoit nous précisait bien que le système poussait presque partout hormis au bas du raidillon, puisque les pilotes n'y freinent pas... Interrogé sur la question de savoir combien de temps fonctionnent les moteurs électriques sur le circuit de Spa, Ralf reste vague. « Tout dépend de la stratégie de relance adoptée et franchement, je n'ai pas les chiffres en tête. Il faudrait que je me penche sur nos datas pour cela. »

Audi_R18_e-tron_quattro_detailToujours concernant le système hybride, sachez qu'à proximité du cockpit, côté pilote, on trouve une petite diode (voir image ci-contre à droite dans l'ovale vert). Elle est à l'intention du personnel devant manipuler l'auto, tant les mécaniciens que les commissaires de piste. « Lorsqu'elle clignote au vert, le système est déchargé et vous pouvez approcher de la voiture. Lorsqu'elle est au rouge, il faut être prudent, le système est encore en charge. »

La course a prouvé que le système e-tron quattro pouvait constituer un avantage non négligeable en certaines circonstances, notamment lorsque le revêtement était encore imprégné des pluies matinales. Elle a également démontré qu'il n'était pas encore abouti, la R18 ultra l'ayant finalement emporté. Nul doute que l'avenir est pourtant radieux pour les hybrides qui ouvrent de toutes nouvelles perspectives aux ingénieurs et aux constructeurs. Il est d'ailleurs à peu près certain qu'en 2014, le règlement autorisera une recharge de 1MJ (1 Méga Joule) au lieu de 0,5 à l'heure actuelle, tout en étant plus libéral sur les contraintes liées à la recharge...

Laurent Chauveau