2011 et le GT "AM" : bonne idée ? Imprimer Envoyer
Samedi, 23 Octobre 2010 16:01

LM_2010_Depart_GTEn juin dernier, lors de sa traditionnelle conférence de presse des 24 Heures du Mans, l'ACO a introduit deux nouveautés majeures pour 2011 pour ce qui concerne les Grand Tourisme. Tout d'abord, le GT1 a définitivement disparu de l'horizon. Si l'on peut le regretter pour certaines voitures que cette catégorie nous permettait de voir, la situation actuelle du GT1 sur le plan mondial l'imposait et la décision semble logique.Ces autos ne disputent désormais plus que des sprints d'une heure puisqu'elles ont également été boutées hors des 24 Heures de Spa. Et des voitures conçues pour le sprint n'ont que peu à faire au Mans.

L'avis de Romain Dumas

« Oui, la présence des pilotes amateurs non aguerris est un problème car ça devient de plus en plus dangereux. J'en avais déjà parlé lors des dernières 24 Heures du Mans. Il y a une grande différence de niveau entre les pilotes pros et les amateurs, bien plus marquée aujourd'hui que lorsque j'ai débuté au Mans (en 2001, victoire en LMGT). Globalement, avec la présence de nombreuses usines dans toutes les catégories, il y a plus de pilotes pros ce qui fait que l'on remarque plus les pilotes amateurs. Et lorsque l'on arrive dans les virages Porsche avec 60 à 70 km/h de différence de vitesse, c'est énorme. Et dangereux. Lors des essais, j'ai même vu un pilote reprendre la piste en sens inverse au Tertre-Rouge...

Aux USA aussi, il y a beaucoup de pilotes amateurs, en Grand-Am notamment. Mais les Daytona Prototypes sont bien moins performantes que les LMP1 et la différence de vitesse avec les GT est donc bien moins importante. La disparition de la Journée Test n'aidait pas non plus. Elle permettait aux pilotes néophytes de s'aguerrir. Son retour au calendrier en 2011 est donc une bonne chose.

Il faudrait tout de même qu'il y ait un moyen de s'assurer du niveau des pilotes admis à la course : que l'on vérifie qu'ils aient participé au minimum à deux ou trois courses des Le Mans Series sur leur voiture avant de venir au Mans notamment. Je pense que l'on doit se poser la question de savoir si les pilotes amateurs qui débarquent la fleur au fusil au Mans, un circuit très rapide, y ont vraiment leur place. »

Seul le GT2 perdure donc et il sera désormais renommé GT Endurance. Soit. Cependant, cette classe unique a été subdivisée en deux sous-catégories : le GT Endurance « PRO » et le GT Endurance « AM ». Le but du GT PRO est de s'adresser aux teams et pilotes professionnels, voire aux usines telles Corvette ou BMW, engagée en GT. Pour cela, les teams ont libre choix au niveau des pilotes et ils peuvent utiliser la toute dernière évolution de la voiture qu'ils engagent. Le but du GT AM est de permettre aux pilotes amateurs d'avoir quelque chose à gagner dans un environnement concurrentiel aussi élevé que l'est le GT2 actuel. Les teams doivent donc engager une auto datant d'au moins un an et aligner au minimum, deux pilotes classés argent ou bronze donc, a priori, plutôt des pilotes amateurs. Sur le fond, l'idée est louable. Nul ne remet en cause la présence des amateurs aux 24 Heures du Mans et là n'est pas mon intention au travers de cet article. Mais il y a tout de même de nombreux points qui nuancent ce qui peut finalement paraître comme une « fausse bonne idée »...

Tout d'abord, cette volonté d'imposer la présence de pilotes de moindre niveau dans la plus grande course d'endurance au monde, la plus rapide et l'une des plus dangereuses aussi de par la vitesse moyenne que l'on y enregistre, me paraît déplacée. Si l'on veut maintenir le rang des 24 Heures du Mans, il me semblerait plus adéquat d'exiger un niveau minimum de licence internationale Platine ou Or plutôt que d'imposer la présence de pilotes Argent ou Bronze. Le Mans doit constituer la cerise sur le gâteau, non pas devenir une course accessible à un plus grand nombre ou l'on nivelle par le bas. Encore une fois, cela ne remet pas en cause la présence de pilotes non-professionnels mais qui ont fait montre d'un niveau indiscutable, tels des Raymond Narac, Miguel Amaral ou Mike Newton (liste non limitative bien sûr). Ces gens là savent ce qu'ils font lorsqu'ils prennent le volant de leur auto. Même si il y a quelques années, tous n'étaient pas forcément de bons pilotes, ils ont appris le métier. Tous ne sont pas forcément hyper-rapides mais ils ne constituent pas un danger pour les autres et c'est bien là l'essentiel.

L'avis de Stéphane Sarrazin

« On a besoin de pilotes amateurs pour garnir le plateau, c'est clair. Mais certains pilotes sont assez imprévisibles en piste. On a beaucoup de mal à anticiper sur leurs réactions. On devrait garantir un niveau minimum pour les pilotes que l'on ne connait pas notamment. J'ai l'impression que le niveau est un peu meilleur ici à Road Atlanta que ce que j'ai pu connaître en Le Mans Series. J'ai eu un peu moins de problème dans le trafic. Mais on a besoin d'eux, c'est la règle du jeu et c'est ça l'endurance. C'est à nous de nous adapter à leur présence. »

Le risque de cette nouvelle sous-catégorie est de faire un « appel d'air » et d'amener un certain nombre de pilotes aventureux disposant un budget à se dire : « Je vais faire Le Mans, ça doit être fun. » Mais seront-ils réellement des pilotes aguerris n'amenant pas le danger sur la piste ? Là, c'est moins sûr. Vous verrez d'ailleurs que les réactions des pilotes professionnels sur ce sujet, reccueillies lors du Petit Le Mans, sont plutôt circonspectes, voire négatives. Sachez toutefois qu'aucun de ceux à qui j'en ai parlé n'était au courant de cette mesure avant notre entretien...

Il n'y pas que des raisons sécuritaires qui me font regretter l'arrivée du GT « Am ». Une autre raison est la crainte que cela ne prive encore plus de baquets, des pilotes professionnels déjà parfois à la peine à ce niveau là. Il est évident que pour certaines équipes, en ces temps difficiles, un pilote à budget a la primeur du choix. Cela ne fera que renforcer cet état de fait. De plus, on sait que ce système de classement des pilotes montre parfois ses limites, certains pros tentant de se faire déclasser pour éviter certains handicaps. S'appuyer sur un système décrié semble étonnant. Et puis, les règlements sont déjà d'une complexité incroyable notamment en prototypes. On aurait pu s'épargner ce surplus de tiroirs dans l'armoire réglementaire des GT. On parle souvent de faciliter la compréhension de la course pour les spectateurs néophytes. Le dernier point concerne la voiture elle-même. Comment peut-on s'assurer à 100% que l'auto est bien du millésime précédent et qu'aucune évolution de l'année en cours n'est embarquée à bord ? Les ingénieurs ayant souvent un coup d'avance sur les législateurs, cela ne me paraît pas gagné d'avance et risque de nous amener de nouvelles polémiques.

L'avis de Benoit Tréluyer

« Je trouve que c'est une mauvaise idée. Non, ce n'est pas bien. C'est une course dangereuse ou l'on roule très vite. Je pense qu'il faudrait avoir un certain niveau pour être admissible, pour rouler dans ces voitures. Il faut faire ses gammes avant. Au Mans cette année, on devait faire face à certains pilotes dont on devinait difficilement les trajectoires, c'est limite. En Super GT, il n'y a pas de telles différences de niveau. Les voitures du GT300 sont certes moins rapides que les GT500 mais leurs pilotes sont aguerris. Nombreux sont ceux qui roulent depuis une dizaine d'années, ils sont rodés. Et les débutants sont signalés à tous par un fanion placé à l'arrière de la voiture. Ainsi, en arrivant sur eux, on se méfie, on apprend à les connaître. »

Je ne suis pas partisan de la législation à outrance. Je préfère la liberté. Imposer la présence des amateurs en GT ne me paraît pas judicieux. Le Mans se doit d'être le top des courses d'endurance. Pour cela, on se doit de s'appuyer sur les meilleurs pilotes disponibles, non sur des aventuriers souhaitant se faire un petit (et couteux) plaisir. Les dirigeants de Roland Garros imposent-ils la présence de joueurs de club dans le tableau final ? Les wild-cards sont distribuées à des joueurs pros... La Ligue 1 de football exige-t-elle la présence d'amateurs au sein du onze de départ ? Les sportifs qui exercent au haut-niveau y parviennent principalement grâce à leurs qualités intrinsèques, pas grâce à des artifices réglementaires. Il me semble qu'il devrait en être de même au Mans ou dans les séries affiliées, notamment l'Intercontinental. Surtout lorsque cela influe assez directement sur la sécurité des hommes...

Laurent Chauveau