Bruno Famin : la 90X en ligne de mire... Imprimer Envoyer
Mardi, 05 Octobre 2010 22:25

th_Bruno_Famin_1Petit Le Mans était l'occasion de rencontrer les représentants de Audi et Peugeot. Mais si le Dr Ullrich s'est contenté de nous confirmer que la R18 roulerait bien avant la fin de l'année sans dire un mot de plus sur les choix techniques, Bruno Famin a été bien plus prolixe quant à celle qui est toujours connue sous le nom de 90X. Sans rien dévoiler, il en a pourtant beaucoup dit. Anthony vous a déjà rapporté une bonne partie de ses dires sur Endurance-Info. Apportons quelques informations complémentaires...

Bruno, revenons tout d'abord sur ce qu'il s'est passé au Mans. Vous avez parlé d'un problème indétectable concernant l'arrachement de l'ancrage de suspension sur la coque de la n°3. Aviez-vous déjà connu ce genre de problème avec d'autres coques auparavant ?

« Non. Du moins, cela nous était arrivé suite à des accidents, des chocs. Là, ce n'est pas le cas. C'est la coque qui avait gagné Le Mans l'an passé... »

Y a-t-il des leçons à retenir de cette mésaventure pour la 90X en terme de conception ?

« Non, pas au niveau conception. Là n'était pas le problème. C'est au niveau de la fabrication que nous devons être encore plus exigeant vis-à-vis de notre fournisseur. Avec un contrôle qualité encore plus poussée notamment lors des étapes critiques de fabrication de la coque : lors de la cuisson ou de l'implantation des inserts. Nous devons être particulièrement vigilant. »

Venons-en à ce problème au niveau des bielles en titane. Un changement de matériau qui s'est avéré néfaste...

« Oui, nous avons pris un petit risque. Après les 1000 km de Spa, nous pensions que la 908 serait environ une seconde au tour moins rapide que l'Audi R15. Nous avons donc monté ces bielles en titane. Mais attention, lorsque je parle de risque, c'était tout de même un risque calculé. Ces bielles avaient été validées via notre processus habituel. Nous pensions vraiment qu'elles étaient validées en fonction des conditions que nous avions déjà rencontrées au Mans. Mais les lois de la physique sont telles qu'une toute petite augmentation des contraintes extérieures peut rendre fragile une pièce réputée incassable. (Et Bruno de dessiner la courbe de Wöhler qui donne la contrainte de rupture à la fatigue d'une pièce) C'est ce qu'il nous est arrivé. La température ambiante était assez faible, la pression atmosphérique assez forte et les moteurs se sont retrouvés à fonctionner du feu de Dieu. De plus, le resurfaçage de la Nouvelle portion offrant un meilleur grip, cela a également fait grimper le taux d'utilisation du moteur à pleine charge. Autant de petits facteurs qui nous ont fait passer de l'autre côté de la courbe. Sans que nous ne le sachions. Ce n'est absolument pas là, une excuse, mais simplement une explication. Nous aurions dû valider nos pièces avec un niveau de contraintes plus élevé. »

Mais si petit qu'il soit, puisqu'il y avait risque et puisque l'on connait les incertitudes du Mans, pourquoi n'avez vous pas choisi de panacher vos chances en montant les bielles classiques dans certaines des voitures ?

« C'est une bonne question. C'était prévu en fait mais nous avons connu une série d'incidents lors de la préparation des moteurs qui ne nous a pas permis de faire ce que nous souhaitions. Nous avons connu deux casses moteur au banc dans le cadre de la préparation du Mans suite à un problème sur un lot d'axes de piston. Ces casses nous ont privé de deux blocs mais aussi d'autres éléments tels que des bielles. Le panachage prévu devenait impossible. »

Si vous aviez été en mesure d'assurer un peu plus, ces bielles auraient-elles tenu la distance ?

« Non. Celle de la n°2 casse à 9 heures de l'arrivée... Non, elles auraient cassé. »

th_PLM_2010_Peugeot_08Le fait que la course 2009 n'ait duré « que 12 heures », en quelque sorte du fait du manque de compétitivité des Audi a-t-il faussé vos modèles de calcul et de validation des pièces ? (Olivier Quesnel avait figé les positions après 12 heures de course)

« Non, vraiment pas. Ce sont les conditions de course qui nous ont piégé. »

Parlons maintenant de l'avenir et de la 90X. En 2011, le groupe PSA lance l'hybride-diesel pour la voiture de série. Donc cette 90X sera-t-elle hybride ou pas ?

« Nous devons être très prudent avec l'hybridation. Nous devons nous souvenir du mal que les équipes de F1 ont eu, il y a deux ans, à développer et fiabiliser un KERS de 60 kW, de l'argent qu'ils y ont mis et des moyens humains dont ils disposaient. Nous devons nous souvenir aussi que l'on doit rouler 24 heures, pas une heure et demie. Nous devons donc être sûr que le système va nous être profitable sur l'ensemble de la course et qu'il va nous apporter un surcroît de performance. Nous devons vraiment faire très attention et c'est pour cette raison qu'à ce jour, je ne peux pas dire si nous utiliserons un tel système ou pas sur la 90X. Notre priorité numéro 1 en 2011 est de gagner Le Mans. Or pour gagner, il faut déjà arriver. Donc la fiabilité est un point très important et l'on se doit de bétonner nos acquis. »

Sur un système hybride, les éventuels problèmes de fiabilité ne doivent pas venir des moteurs électriques eux-mêmes, ils ont fait leurs preuves ?

« C'est justement l'un de nos problèmes. On ne sait pas ce qui risque de nous poser problème en termes de fiabilité. La seule chose dont on soit sûr, c'est que l'on va découvrir des problèmes que l'on n'imagine même pas pour l'instant. Que ce soit la résistance des batteries avec les nombreux cycles de charge-décharge, que ce soit la connectique, que ce soit l'électronique de puissance qui va piloter le système, que ce soit le refroidissement de cette électronique ou des batteries, nous faisons face à de nombreuses inconnues. Nous allons donc découvrir des problèmes pour la mise au point du système, puis nous allons en découvrir d'autres pour le rendre fiable. C'est un beau challenge. Voilà pourquoi nous ne savons pas encore si nous l'utiliserons sur la 90X ou pas. On peut même imaginer qu'une auto en dispose et l'autre pas. »

La 908 HY stockait l'énergie de freinage sous forme électrique. La Porsche GT3 RSR Hybrid le fait sous une forme électro-inertielle . Quelle solution avez-vous privilégié dans le cadre de l'étude de 90X ?

« Dans cette période ou ces technologies d'hybridation sont balbutiantes, l'erreur à ne surtout pas commettre serait de ne pas être curieux. Il nous faut être ouvert d'esprit. Nous devons regarder tout ce qui peut se faire par ailleurs et être prêt, à tout moment, à changer notre fusil d'épaule. La solution retenue par Porsche est très bonne. Surtout dans le cas d'une GT. C'est bien plus compliqué à mettre en place dans un proto mais au niveau du système de stockage, il s'agit vraiment d'un très bonne solution. Il est clair, dans notre cas, que le stockage électrique tel que nous l'avions mis en place dans la 908 HY est une solution aujourd'hui privilégiée chez nous mais on ne s'arrête pas là. »

La 908 HY n'a plus roulé depuis sa présentation à Silverstone ?

« Non, la voiture n'a plus roulé en hybride mais nous avons tout de même continué à étudier et développer l'hybride. »

Il y a plusieurs niveaux d'hybridation possibles. Celui retenu pour la 908 HY était de nature parallèle : le système électrique est simplement ajouté à un système thermique existant. Mais on peut aller plus loin comme pour la Toyota Prius par exemple ou les deux systèmes thermiques et électriques sont tellement imbriqués que cela ne fonctionnerait plus si l'un des deux était supprimé. Puisque tu parles de la possibilité de voir la 90X rouler sans l'hybride, c'est donc que les systèmes demeurent parallèles ?

« Oui, relativement. Le système électrique est optionnel, dirons-nous. »

Mais tu parles des problèmes de refroidissement de l'électronique de puissance. Le choix de partir ou pas sur une voiture hybride ne modifie-t-il pas en profondeur le concept aéro à partir du moment ou l'on a besoin de plus de refroidissement qu'avec une voiture classique ?

th_Bruno_Famin_2« Non, la base du concept aérodynamique reste la même. Il faut juste quelques aménagements pour amener l'air frais ou on en a besoin. Nous ne faisons pas une Lexus qui dispose de 400 kW. Nous aurons un moteur électrique d'une puissance raisonnable, maitrisable. Donc même si cela a une influence sur l'aéro, ça n'est pas d'ampleur à remettre en cause le concept lui-même. »

Ce ne sont pas des choix dimensionnant pour les pièces principales de l'auto qui rendraient la cohabitation d'une version hybride avec une version conventionnelle impossible ? Car si la 90X doit rouler avant la fin de l'année, on doit être maintenant extrêmement proche de la date butée pour lancer les outillages de fabrication de la voiture ?

« Oui, ça, c'est clair. On en est très proche. Il faut donc que nos décisions soient prises très rapidement. »

Le règlement qui vous a été fourni en juin dernier stipule que l'apport du système hybride « ne doit pas avoir pour objectif d’obtenir un surcroît de puissance mais de réduire la consommation de carburant. » Comment peut-on s'assurer de cela ?

« Ca me paraît extrêmement difficile et c'est tout le débat que l'on a régulièrement avec l'ACO. Parler de réduction de consommation me paraît déplacé. Surtout sur un circuit comme celui du Mans qui mesure plus de 13 km ou gagner un tour sur douze de consommation est un pas énorme. C'est d'autant plus difficile lorsque les hybrides disposent de 2 litres de carburant en moins que les conventionnelles. Et cela suppose que les gens sachent effectivement contrôler que les voitures vont bien être en mesure de faire un tour de plus. Même si c'est écrit ainsi dans le règlement, je pense qu'il vaudrait mieux parler d'amélioration du rendement global de l'auto plutôt que d'économies de carburant. »

Mais à ce jour, rien ne permet de s'assurer que la voiture sera bien en mode « économie de carburant » et non pas en mode « puissance maxi » ?

« L'ACO veut mettre en place des acquisitions de données mais ça me paraît difficile de tout contrôler et il sera toujours tentant d'utiliser le système au maximum de sa puissance plutôt que de moins solliciter le moteur thermique. Ce sera à chaque équipe de juger. »

Si vous retenez la solution de l'hybridation, choisirez-vous de placer les moteurs électriques sur le train avant comme c'est désormais autorisé ? Car cela doit entraîner un travail de développement spécifique pour les pneus avant du fait des sollicitations supplémentaires que cela entraîne ?

« Ce sont des pneus avant spécifiques mais c'est aussi et surtout une quatre roues motrices malheureusement. »

Malheureusement ?

« Oui malheureusement. On cherche les ennuis au niveau de la législation. Regardez déjà les problèmes qu'entraînent l'équivalence essence-diesel qui, par définition, ne satisfera jamais personne tant qu'il n'y aura que des usines en diesel. Alors ça va peut-être changer l'année prochaine, va savoir ? Peut-être que toutes les usines seront en essence ! (mais on peut en douter...) Alors ajoutons à cela les LMP1 2010 admises en 2011 via une autre équivalence et les hybrides, on n'a vraiment pas fini de discuter de ces problèmes d'équivalence ! »

Donc, cette possibilité de rendre les roues avant motrices via les moteurs électriques, ça ne s'est pas fait à votre demande ? Car initialement, l'ACO ne voulait pas en entendre parler or il y a une évolution, donc on imaginait que cela s'était fait sous pression.

« Peugeot Sport n'était pas demandeur en tout cas. Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, quatre roues motrices en terme de rendement, c'est une hérésie. Ensuite, à mon avis, si l'on veut démontrer son savoir-faire en terme de quatre roues motrices, on va au Paris-Dakar ou en WRC. Mais pas au Mans. De plus, quoi qu'on en dise et jusqu'à preuve du contraire, c'est la porte ouverte au contrôle de stabilité, à l'ABS et tutti quanti. L'ACO réfute ces arguments en nous disant qu'ils vont tout contrôler. Mais j'ai des doutes... »

On le voit, la situation est encore loin d'être parfaitement claire pour 2011. Sur de nombreux points. Bruno Famin doute des chances d'une hybride à remporter Le Mans en 2011. On peut le comprendre. Pour ma part, je parierai tout de même sur une 90X diesel-hybride. La réponse ne tardera plus de toute façon...

Laurent Chauveau