Audi R15 TDI et Acura ARX-02a : de la subtile interprétation du règlement Imprimer Envoyer
Jeudi, 26 Mars 2009 12:05

Acura_AudiDeux voitures terriblement novatrices ont fait leur entrée cet hiver dans le monde de l'endurance. Deux prototypes qui ont chacun franchi un nouveau cran dans l'approche aérodynamique et dans l'exploitation du règlement ACO. L'Acura ARX-02a a été présentée ici-même à Sebring en détail lors des

Winter Tests. Son nez surélevé extrèmement fin, sa lame avant extrêmement longue, les deux flaps avant comportant un bord d'attaque arrondi, ses roues avant aussi larges que celles de l'arrière, son aileron arrière suspendu sont autant de points novateurs qui ont marqué les esprits.

L'Audi R15 apparue plus récemment semble être encore un peu plus "extra-terrestre" tant elle bouleverse nos habitudes visuelles. Jugée hideuse par certains, on admettra qu'elle n'a pas forcément un physique facile. Mais le haut degré de technicité qui s'en dégage finit par l'emporter et lui rendre grâce. Il faut dire que les ingénieurs d'Audi Sport ont véritablement semblé exploiter au maximum le règlement LM P1. Autant l'Audi R10 laissait transparaître dans sa conception un lien génétique évident avec son ainée, la R8. Autant la R15 semble avoir fait table rase du passé pour se donner les chances d'être l'arme ultime. En exploitant au maximum le règlement. Voire au delà ?

Flaps_Acura
Contrairement aux flaps de la LMP2 vus à gauche, consitutués de simples feuilles de carbone mises en forme, ceux de l'Acura LMP1 comporte désormais une épaisseur. Mais la face externe étant parallèle à l'interne, cela reste légal.

Un hiver riche en nouveautés ! l'Acura ARX-02a...

L'un des gros problèmes des prototypes modernes est le sous-virage qui les affecte. Cela signifie que la voiture peine à s'inscrire aussi bien dans la courbe que son pilote le souhaiterait. Autant les ingénieurs d'Acura que ceux de Audi ont tenté d'apporter leurs réponses à ce problème. Acura en augmentant la largeur de ces pneus avant au maximum autorisé (en utilisant tout simplement les pneus arrières à l'avant…) mais en assurant également beaucoup d'appui à l'avant. D'où le nez très fin qui optimise le fonctionnement du splitter en évitant de trop dégrader le flux d'air supérieur et les flaps avant très présents visuellement parlant.

L'une des questions qui se posaient à la simple vue des photos était de savoir si ces flaps étaient bel et bien d'épaisseur constante dans le sens de l'écoulement d'air. La présence d'un bord d'attaque sur ces pièces est en effet une première dans le petit monde de ces flaps. Cela signifie que ceux de l'ARX-02b sont plus épais que ceux des concurrents. La coutume veut que les flaps soient de simples feuilles de carbone mises en forme. Dans ce cas précis, il ne s'agit plus d'une simple feuille mais bien d'une pièce épaisse. Etant donné que leur fonction est purement aérodynamique, il faut donc pour répondre au règlement que la face externe reste parallèle à la face interne, sinon on aurait affaire à un aileron. Or le règlement précise bel et bien qu'un seul aileron sur les prototypes LMP est autorisé et qu'il doit être situé à l'arrière. Vue de près, l'Acura apporte confirmation que ces flaps avant sont bel et bien conformes au règlement. Les photos le prouvent. Il n'empêche qu'ils sont particulièrement travaillés et que, dans le sens transversal, ils comportent une diminution d'épaisseur en allant vers l'extérieur du véhicule mais cela ne parait pas contraire à l'esprit du règlement. Bien vu…

et l'Audi R15 TDI !

Pontons_Acura_Audi
L'Audi R15 TDI apparait plus "perméable" sous cet angle que l'Acura ARX-02a.

Après le choc éprouvé à la vue des premières photos officielles de l'Audi R15 est venu le temps de l'observation attentive de ses formes. Un nez épaté et percé, des triangles supérieurs de suspension avant implantés très haut contrairement à la mode actuelle, des radiateurs avancés au maximum (au niveau des bras du pilote) afin de rééquilibrer les masses étant donné le poids du groupe moto-propulseur, un flap derrière le splitter avant, un capot arrière au décrochement inédit à hauteur de la sortie des échappements, des pontons percés d'ouïes de requin superbes et à la forme très inspirée de ce que l'on voit en F1 ou que l'on a pu voir sur la nouvelle WR l'an passé et une partie supérieure du diffuseur arrière au traitement inédit.

Pour ce qui concerne l'avant de la voiture, la volonté des ingénieurs Audi Sport a visiblement été de dégager au maximum la sortie du diffuseur afin d'en maximiser l'efficacité et de générer le plus possible d'appui toujours pour combattre ce fameux survirage. Les "plaques de légalité" (ces éléments de carrosserie qui relient la coque aux ailes avant) sont donc placées très haut pour offrir le plus d'espace possible au flux. De même, alors que les ingénieurs avaient tendance ces temps derniers à surbaisser au maximum les triangles de suspension supérieurs pour y coller la carrosserie et diminuer ainsi la traînée, ils ont procédé à l'inverse sur la R15. Ils sont très sérieusement rehaussés afin probablement de perturber le moins possible le flux d'air en sortie de diffuseur. Ce qui est impressionnant avec cette Audi, c'est justement la taille de ces tunnels de sortie. Nous avons tenté de l'illustrer via deux photos comparatives entre la AXR-02a et la R15 et ceux de l'allemande sont clairement plus généreux que ceux de l'américaine… Les concepteurs ont cherché de toute façon à rendre la voiture la plus perméable possible à l'air afin de diminuer sa traînée. La place libérée dans le compartiment arrière pour laisser passer l'air de la manière la plus libre possible est également impressionnante…

Un flap qui pose question


R15_Flap_vue_AVLe flap et son ancrage sur l'aile avant. Vissé (flèches) sans possibilité de réglage.
th_R15_Flap_vue_ARLe flap vu depuis l'arrière à travers le ponton. On aperçoit le bord de fuite très fin au bout de la flèche.

Mais revenons sur le diffuseur avant , on aperçoit très clairement un flap en sortie de splitter. Son rôle parait être purement d'obtenir de l'appui supplémentaire en aidant au fonctionnement de ce dernier. Par la dépression qu'il crée sous sa face inférieure, il aide au débourrage, c'est-à-dire qu'il accélère le flux d'air générant ainsi plus de déportance. Cet élément qui court sur toute la largeur du diffuseur est vissé aux deux ailes avant sur les côtés. Contrairement à ce que l'on pouvait donc croire au vu des photos, il ne semble donc pas être réglable car les points d'ancrage n'offrent pas diverses possibilités d'incidence mais un simple changement de capot pourrait permettre de changer de réglages. Le profil de ce flap semble être symétrique par rapport à son plan médian donc il ne s'agit pas d'un profil d'aile. Mais l'incidence qui lui est donnée, ainsi que le fait qu'il soit muni d'un bord de fuite, lui confèrent, à coup quasi sûr, une fonction d'aileron même si il n'en porte pas le nom au sens du règlement ACO. Jusque là, on ne trouve rien à redire donc. (L'incidence est l'angle entre l'aile et la direction du flux d'air soit dans le cas d'une voiture, le sens de son déplacement) Toutefois, étant donné qu'il ne cache aucun élément mécanique, on peut penser qu'il est en contradiction avec le règlement ACO 2009 sur ce paragraphe précis (un paragraphe ajouté au cours de l'hiver 2008-2009) :

3.6.2 - Sont considérés comme éléments aérodynamiques, tout élément de carrosserie dont la seule fonction est de générer de l’appui et qui n’est pas autorisé par le règlement (à l’appréciation de l’ACO).

A Sebring, nous avons pu rencontrer les deux principaux responsables de l'application des règlements de l'ACO : Daniel Perdrix, le Responsable Technique Sport et Daniel Poissenot, le Directeur des Sports. et Directeur général adjoint de l'ACO Nous avons donc abordé ce point précis avec eux. "En écrivant cela, nous songions surtout à nous prémunir de l'apparition d'excroissances aérodynamiques telles que celles vues en F1. Nous souhaitions éviter de voir les voitures se transformer en dinosaures, de voir poindre de ci, de là, des flaps, dérives ou cheminées. Dans le cas dont nous parlons, cet élément constitue la partie inférieure de la carrosserie, il ne s'agit pas d'un ajout à la celle-ci. Dans le règlement, la partie avant de la carrosserie a été laissée très libre pour les ingénieurs contrairement à la partie inférieure à l'arrière qui est imposée et commune à tous. Nous pensons donc qu'aujourd'hui, cette Audi respecte parfaitement la lettre de notre règlement." Dont acte. Il n'empêche que l'Audi R15 se retrouve ainsi munie à l'avant d'un "double aileron" dont l'efficacité doit être importante étant donné sa largeur…

R15_Nez
Une vue du nez depuis le 3/4 arrière

Un nez à double aileron ?

Autre point qui nous apparaissait quelque peu limite quant à sa conformité au règlement, le nez de la voiture. Contrairement à la mode actuelle, friande des nez très fins, les ingénieurs Audi Sport ont créé un nez utilisant quasiment toute la largeur de la monocoque ! Celui-ci est percé de deux trous caché par deux "ailerons". Nous mettons l'expression entre guillemets car comme dans le cas du flap, leur section longitudinale est conforme au règlement (car symétrique à leur plan median). Toutefois, comme dans le cas du flap, ils adoptent une forte incidence ce qui a pour conséquence de leur conférer une fonction d'aileron. De nouveau, ils nous semblent en contradiction avec ce même article du règlement cité plus haut. Etant donné que ces deux ailerons ne cachent aucun élément mécanique, l'unique fonction de ces éléments est bel et bien aérodynamique. La réponse de Daniel Perdrix est claire : "Ils cachent les trous en vue de dessus ce qui est rendu obligatoire par le règlement. La carrosserie doit tout recouvrir lorsque l'on regarde la voiture du dessus. Ils ont donc utilisé la même astuce que Porsche avec le RS Spyder derrière les passages de roues avant. Ce n'est pas forcément ce que nous souhaitons mais comme nous ne voulions pas tout remettre en cause sur l'avant mais plutôt, pour l'instant, travailler sur l'arrière, tous les gens qui font des carrosseries à hauteur variable peuvent cacher avec des éléments qui ne soient pas de profils d'aile. Je ne vois pas ce que l'on peut aller dire contre ça. Prenez la Peugeot 908, elle aussi comporte des éléments de carrosserie qui laissent passer entre eux des filets d'air. Pourquoi cela serait-il correct chez Peugeot et non pas chez Audi ?" Cela est incontestable et toutes les nouvelles voitures utilisent ce genre d'artifices désormais. Mais la plupart se contentent de "tôles de carbone" mises en forme et non pas de pièces "épaisses" dont le profil pour une même efficacité, génèrera moins de traînée ce qui améliore son rendement aérodynamique. La Porsche RS Spyder est la pionnière à avoir utilisé un tel artifice et déjà à l'époque, nous avions réagi sur ce sujet en exprimant notre étonnement. Ceci dit, cela ayant été accepté sur la Porsche RS Spyder, il est finalement assez logique de l'accepter sur l'Audi R15 même si cela n'est pas réellement dans l'esprit du règlement comme la phrase de Daniel Perdrix peut d'ailleurs, à mots couverts, le confirmer. Pour ces deux points précis, le flap et le nez percé, nous dirons donc simplement : Bien joué Audi mais vigilance à l'avenir pour l'ACO. Le règlement 2011 devra, de notre point de vue, être plus clair sur ces sujets.

Le cas du capot arrière...

th_R15_Echappement

Entre les deux échappements, on perçoit nettement une zone vide obturée par un grillage. Son rôle est d'importance...

Par contre, plus problématique nous semble être le cas du capot arrière. A hauteur des échappements, les ingénieurs ont créé une ouverture pour laisser sortir les tuyaux. Si cela n'est absolument pas critiquable sur le principe car cela est expressément autorisé par le règlement, la manière dont cela a été traité sur l'Audi ne respecte pas l'un des points (de nouveau ajouté cet hiver) du règlement LMP ACO.

3.4.1.c/

• Sur toute la zone située :

- Entre un plan vertical et transversal situé à 1200 mm en arrière de l’axe d’essieu avant et le bord arrière de la voiture,

- sur une largeur minimale égale à la largeur hors tout de la carrosserie moins 300 mm, répartie symétriquement par rapport à l’axe longitudinal de la voiture,

A l'exception de l'ouverture du cockpit (voitures ouvertes seulement), toutes les parties visible de la carrosserie doivent former une surface continue et sans découpes ou cassures. Les seules ouvertures permises sont :

- Les prises d’air moteur (cf. Art. 3.4.5.c.)

- Les prises d’air pour les freins.

- Les sorties des échappements.

Si d’autres ouvertures sont nécessaires, elles ne doivent pas dépasser de la surface de la carrosserie. Seules des prises d’air « naca » ou des sorties d’air recouvertes de persiennes ou d’un grillage sont permises.

Ralf Jüttner : "C'est autorisé."

Nous avons interrogé le directeur technique d'Audi Sport sur l'apport de cette sortie pour les échappements. Voici ses explications :

"Tout d'abord, cela permet de faire des échappements courts ce qui satisfait les ingénieurs moteurs. Mais des échappements courts, cela signifie aussi des échappements légers ce qui est bon pour la répartition des masses de la voiture. Le fait de faire sortir le flux de chaleur au dessus des suspensions facilite aussi le travail des ingénieurs du train arrière. Et puis, la sortie des échappements nous a permis de créer ce trou dans le capot, ce que sans eux, nous ne serions pas autorisés à faire. Les aérodynamiciens aiment cela. Car ça permet d'améliorer le flux d'air autour de l'aileron arrière en débourrant le compartiment moteur. Ce sont autant de petits avantages qui, mis bout à bout, rende la solution avantageuse tout en la légalisant."

 

De notre point de vue, le capot arrière de l'Audi ne constitue absolument pas une surface continue percée pour laisser passer les sorties d'échappements. Il s'agit au contraire de deux surfaces de hauteur différente en amont et en aval de cette sortie d'échappement. Voici la réponse que nous a apportée Daniel Perdrix : "Le règlement stipule bien que la surface doit être continue sauf pour laisser passer les échappements. Lorsque nous avons ajouté ce point, nous pensions surtout à éviter de voir renaître des ailerons, appelons les ainsi, du genre de ceux apparus à Spa en mai dernier sur l'Audi R10. Et n'oubliez pas que Aston Martin a testé une solution qui s'approche de celle de l'Audi R15 lors des tests du HTTT. " Ce à quoi nous rétorquerons que la solution envisagée chez Aston (les deux voitures n'étaient pas dans la même configuration) ne laisse passer que les échappements. Sur l'Audi R15, les aérodynamiciens ont profité de cette ouverture pour ouvrir largement le capot moteur et permettre ainsi son débourrage optimal. On va là au-delà de la simple fonction "sortie des échappements". Ce qui renforce notre sentiment. "Il est vrai que le texte n'a pas prévu de quelle grandeur doit être cette ouverture. Doit-elle entourer au plus juste la forme des échappements ou pas ? Toujours est-il qu'il y a une ouverture et qu'elle sert pour les échappements. Ce qui est conforme." C'est une interprétation possible mais à notre avis, le capot arrière de l'Audi est bel et bien formé de deux surfaces discontinues et à ce titre n'est pas en adéquation avec le règlement. Nous persistons donc à penser qu'il y a là un problème. Ceci dit, ce n'est pas à nous de signer la feuille d'homologation… Notre avis n'est donc qu'anecdotique !

R15_Diffuseur
Le petit becquet situé au dessus de la sortie du diffuseur arrière.

Terminons par un point qui avait également attiré notre attention en l'occurrence, l'extrémité supérieure du diffuseur arrière. Il nous semblait, au vu des photos, y percevoir un gurney. Or le règlement n'en autorise qu'un seul sur l'arrière de la carrosserie, en dehors de celui, obligatoire, sur l'aileron arrière. Mais en fait, en ayant eu l'occasion de voir la voiture de près lors de la présentation de la voiture à la presse, le vendredi 20 mars, il ne s'agit pas d'un gurney mais plutôt d'une sorte de becquet à la forme douce. Cela n'est donc pas critiquable et doit permettre, en profitant d'un flux d'air interne assez propre grâce aux tunnels généreux, de récupérer un peu de l'appui perdu via la réduction des dimensions de l'aileron arrière… Bravo là encore !

Notre prose un peu longue, et probablement un peu fastidieuse, ne change rien au fait que l'Audi R15 TDI a été homologuée par l'Automobile Club de l'Ouest. Elle a d'ailleurs prouvé d'emblée la qualité de sa conception en remportant l'une des courses les plus difficiles au Monde, la toute première qu'elle ait disputée, comme toute Audi en Sport-prototypes ces neuf dernières années ! L'équipe d'ingénieurs peut être fière de ce résultat surtout avec la très forte concurrence présente à Sebring. Mais une nouvelle fois dans l'histoire de la course automobile, il y eu un petit jeu entre les ingénieurs et les législateurs. Les premiers ont su exploiter au mieux les "failles" du règlement. Peut-être juste un tout petit peu trop à notre goût… Nous pensons que les seconds devront rester très attentifs à maintenir l'esprit de leur réglementation à l'avenir, probablement en retouchant un peu la lettre. Sans tomber toutefois dans des textes particulièrement restrictifs. Car s'il est bien une qualité que l'on peut reconnaître aux catégories LMP1 ou LMP2, c'est la superbe variété de voitures qu'elle nous offre. Placez côte à côte une Peugeot 908, une Audi R15, une Courage-Oreca LC70, une Acura ARX-02B ou une Lola B08/60, peignez les toutes en noir et vous pourrez toujours les identifier au premier coup d'œil. Cette diversité plait aux dirigeants de l'ACO. Ils ne sont pas les seuls…

Laurent Chauveau