Une Hypercar devrait être belle… Imprimer Envoyer
Dimanche, 17 Janvier 2021 11:40

GR010_01La présentation de la Toyota GR010 n’a pas fait l’unanimité concernant sa ligne. Les réactions enthousiastes quant à ses formes ne se sont pas faites légion. Mon ami Laurent Mercier a donc posé sur Endurance-Info, la question suivante : Un prototype performant doit-il être beau ? Je prends le parti de lui répondre : Oui, évidemment !!!

Mais pourquoi donc me direz-vous ? Eh bien, tout d’abord, pour ceux qui ne le savent pas encore, mon métier m’amène à modeler tous les jours les formes des voitures que vous utiliserez demain alors forcément, je me sens un tout petit peu concerné. Mais avant d’en faire mon métier, j’en avais surtout fait ma passion. Gamin, je dessinai des caisses, des dizaines de caisse. Sans talent particulier mais avec passion. Si j’ai toujours préféré les voitures de sport, je dessinai aussi des berlines ou des monospaces. Bref, j’aime le style des bagnoles. Cela situe mon point de vue. C’est d’ailleurs les belles lignes qui ont forgé ma passion pour Le Mans. Pour cette seule raison, je dirai que pour ma passion personnelle, oui, toute Hypercar devrait être dessinée avec, dans l’esprit de son auteur, l’envie de la faire belle. La beauté étant par nature subjective, ça plaira ou ça ne plaira pas. Et le temps fera le reste. Certaines resteront dans les mémoires. D’autres échoueront à y rester. C’est ainsi. Tous les peintres n’ont pas le destin de Pablo Picasso ou de Leonardo Da Vinci… L’essentiel est qu’il y ait l’envie. Dès lors, que ça me plaise ou non, je respecte la démarche.

Alors oui, je l’avoue, la Toyota GR010 m’a laissé assez froid. Trop proche visuellement de la TS050 pour me dire que je suis face à une belle Hypercar. Certes, tout est un peu plus lisse, un peu plus sympa que sur la LMP1. Mais le résultat global ne me semble pas harmonieux. Toyota a souhaité conserver les ouvertures au-dessus des roues. Elles sont pourtant très contraignantes en terme d’aéro mais c’est le parti pris des ingénieurs nippons. Certainement pour éviter d’éventuels envols latéraux à haute vitesse, ce qui était le but avoué de ces ouvertures lorsqu’elles ont été imposées en LMP1. Sauf que désormais, elles ne sont plus obligatoires. Or elles obligent les aérodynamiciens à créer des ailes disgracieuses pour éviter qu’elles ne se transforment en piège à air en fonctionnement normal. C’est donc un parti pris fort de l’ingénierie de Cologne. Choix fort qui se fait au détriment du style, c’est indéniable. Voilà ce qui me fait dire que cette GR010 est une voiture ou l’on n’a pas laissé leur place aux stylistes. Et qui à titre personnel me déçoit fortement. Le reste des traits prouve qu’il n’y a pas vraiment de démarche globale de style. Comme je le dis parfois à propos de zones fortement influencées par les diverses réglementations des autos de route : on a mis des pansements de style sur des contraintes… Mais ce n’est pas du style !

On peut me rétorquer que Toyota se doit avant tout de faire une voiture visant la gagne. C’est une vérité incontournable, bien évidemment. Mais ce serait oublier le contexte qui a présidé à l’établissement du règlement Hypercar : l’aérodynamique est très libre mais très contrainte… Cela vous parait contradictoire ? Cela signifie simplement que vous faites un peu ce que vous voulez avec vos formes tant que vous ne rendez pas votre carrosserie trop efficace. Pour être homologuée, toute Hypercar devra passer dans une des deux souffleries choisies par le législateur. Toutes ses données aéros seront enregistrées et elles ne devront pas être trop bonnes… Pascal Vasselon me l’avait confié il y a quelques temps : « La TS050 a une finesse aéro de 6,5/1. L’Hypercar ne pourra pas dépasser 4/1. » La finesse est le ratio SCz/SCx. Pour être plus prosaïque, c’est le rapport entre l’appui au sol généré par la voiture et sa résistance à l’avancement. David Floury me confirmait que « la définition de cette cible aéro dans le règlement est faite de sorte à ce qu’elle ne constitue pas un véritable défi pour l’atteindre. » Cette volonté de ne pas viser des sommets inutiles en terme d’aéro était au cœur de la volonté de rendre les Hypercars (et les LMDh par la suite) moins sensibles aux caprices du vent. Et plus ouvertes au crayons des stylistes… Toyota ne semble pas avoir fait ce choix et c’est dommage.

GR010_02Certains ont dit que l’on s’attendait trop à voir des Hypercars de route et que la compétition impose ses nécessités, que l’on est donc resté sur des prototypes relativement proches des LMP1. Non, ce n’est pas ce à quoi je m’attendais même si le règlement a vainement tenté d’aller alpaguer les Valkyries d’Aston Martin. Voilà d’ailleurs une Hypercar dont on se demande bien si on finira par la voir réellement sur la route… Non, je m’attendais pas forcément à cela car un proto peut être beau. Il n’y a pas besoin de remonter trop loin pour s’en convaincre. La Toyota TS030 de 2012 était homogène, fine et jolie. La Peugeot 908 de 2011 avait une certaine élégance. Mais évidemment, remontons encore plus loin et on tombe sur des protos magnifiques. L’époque dorée de 1998-1999 nous a offert des voitures sublimes et il s’agissait bien avant tout de prototypes même si certaines étaient homologuées en GTP. Porsche GT1 1998, Toyota GT-one, Mercedes CLR, BMW V12 LMR étaient des voitures splendides devant lesquelles j’ai passé de longues minutes, subjugué, lors des Journées Test. Nul besoin de faire une GT de route pour « envoyer du rêve ». La Bentley Speed 8 de 2003 est dans la même mouvance, magnifique. En ne me dites pas que c’était une GT ou je vous fous une baffe ! (virtuelle la baffe, hein…) Et si l’on remonte encore un peu plus loin, Peugeot 905, Jaguar XJR-14 et Toyota TS010 étaient superbes…

Je me souviens d’ailleurs d’une expérience assez sympa. C’était vers 2001-2002 et je me trouvais dans le petit show-room Toyota des Champs Elysées à Paris. Trônaient là, la F1 de la marque qui disputait la saison en cours et la retraitée des circuits, miss TS020 alias GT-One. A votre avis, laquelle recevait le plus de suffrages et cris enthousiastes des enfants ? C’était bien la GT-One. Il n’y avait pas photo d’ailleurs. Et je parle là de « grand public », de personnes absolument pas connaisseuses de l’endurance. La GT-One marquait les esprits. Des grands et des petits. Et c’est bien cela qui, à mon avis, doit être la raison d’être d’une voiture du Mans : une faiseuse de rêve. Par son gabarit, la GR010 marquera aussi les esprits des enfants, je n’en doute guère. Mais elle ne restera pas marquante dans le temps, j’en prends le pari.

By_KollesOn me dit que les lois de l’aéro ont changé depuis ces belles époques. Non. L’air est peut-être encore un peu plus pollué qu’à l’époque mais globalement, il se comporte toujours comme un fluide… Que l’on ait plus de connaissances qu’à l’époque, plus de moyens d’investigations aérodynamiques, c’est une évidence. MAIS… Mais le règlement Hypercar vient justement là pour marquer un coup d’arrêt à la prédominance d’Eole sur Aphrodite. C’est l’élément principal dont il faut tenir compte. Puisque l’on vous empêche de faire une aéro trop efficace, pourquoi ne pas en profiter pour la faire belle ? Pour reprendre ce que dit Laurent dans son article : « Quelle est la feuille de route chez Toyota Gazoo Racing ? Faire une belle voiture ? Faire une voiture performante ? Faire une voiture belle et performante ? » Mais le règlement permet de faire les deux si tant est qu’on en ait la volonté… D’ailleurs pour s’en convaincre, il ne faut pas chercher loin. La ByKolles Hypercar dévoilée en septembre dernier est bien mignonne tout en ayant conservé un véritable look de proto ! La Glickenhaus n’est pas à mon goût, trop baroque, mais il y a tout de même une véritable envie de dessiner quelque chose de fort en style. Ce n’est pas le cas de la GR010. Certes attendons de voir les deux Hypercars privées en chair et en os et non plus en image de synthèse pour être certains de leur look final. Mais on peut être optimiste. Quant à la Peugeot qui devrait arriver en 2022, la marque au lion n’a pas fait mystère que le département style est déjà impliqué dans le dessin de la voiture…

La phrase bateau que l’on nous sert régulièrement est : « la voiture qui gagne devient belle. » Ah bon ? Le fait de gagner modifie ses lignes ? Je ne pense pas. La TWR Joest de 1996 et 1997 était vilaine, à mes yeux, une fois amputée du toit de la Jaguar XJR-14 dont elle est la fille directe. Elle le reste encore aujourd’hui. Prenons cette phrase au pied de la lettre. Elle pourrait signifier également qu’une voiture magnifique devient un laideron en perdant. Or la Ferrari 330 P4 est-elle devenue vilaine après sa cuisante défaite face à Ford en 1967 ? Il me semble pourtant qu’elle est encore considérée comme un modèle de beauté intemporelle. OK, elle a gagné Daytona quelques mois plus tôt. Alors prenons un autre exemple : l’extraordinaire Ford P68 n’a rien gagné du tout. Pourtant, quel top model !!! Non, la voiture qui gagne ne devient pas belle. Elle passe dans une autre dimension, ça c’est certain. Mais ça s’arrête là.

L’Hypercar se doit d’être un outil de communication, le style est l’un des éléments forts de cette comm’. Pour s’en convaincre, il suffit de voir à quel point les marques automobiles mettent désormais leurs stylistes en avant dans les médias. Il suffit de voir à quel point on s’arrache les meilleurs d’entre eux. Quelle est la première chose dont parlent les blogueurs, les forumeurs, les lecteurs lorsque sort une nouvelle voiture ? Son style ! L’aspect technique arrive immédiatement derrière mais c’est bien sur ce que l’on voit que l’on s’extasie en premier. En cette époque où l’on manque sérieusement de rêve, le style est tout ce qu’il reste aux bagnoles pour créer du sex appeal. Les normes anti-pollution imposent des moteurs qui n’envoient plus du gros son. D’ailleurs dans certaines d’entre elles, ce sont des enceintes qui envoient un bruit rageur que le moteur lui-même ne génère pas ! Et ce n’est pas la folle mode électrique qui va changer quoi que ce soit. La compétition suit malheureusement la même mode par esprit de mimétisme avec la série. La GR010 n’est pas équipée d’un V12 atmo qui nous vrillera les tympans. Pour qu’elle puisse apporter sa part de rêve, il aurait fallu l’équiper d’une carrosserie chatoyante. Ce n’est pas le cas. Je trouve qu’à l’heure actuelle, les constructeurs n’offrent plus le rêve que l’on attend d’eux. Le fait de bouder les grands salons est d’ailleurs un phénomène bien malheureux et qui me parait dangereux. Réserver les grandes premières à quelques happy few présents sur place tandis que la plèbe se contente de vivre l’évènement de manière virtuelle sur son écran 15 pouces me parait presque dédaigneux vis-à-vis des fans. Offrez-nous du rêve quoi ! Et ces grands salons prouvaient par leur affluence, que les gens aiment encore voir les voitures de près !

J’aimerai balayer un des derniers arguments de ceux qui n’ont pas été contents que la GR010 soit critiquée pour ses formes : « Allez-y, prenez vos crayons et faites mieux ! » Je rétorque à ceux qui disent cela : n’avez-vous jamais critiqué un film, un tableau, une chanson ? Pourtant, tout le monde n’est pas cinéaste, peintre ou chanteur, non ? La grosse blague qui tourne dans le métier du style lorsque l’on n’apprécie pas les formes créées par un designer est : « tu ne peux pas comprendre, t’es pas styliste. » Il se peut effectivement que je ne comprenne pas mais rien ne m’empêche pour autant d’avoir un avis. La critique est un exercice indispensable. Elle seule, lorsqu’elle est bien argumentée, permet d’avancer. Rares sont les créatifs à avoir le talent immense de tout faire bon du premier coup, sans remises en cause. Le processus créatif passe le plus souvent par la critique interne. Donc en quoi serait-ce choquant, une fois le produit présenté, d’accepter la critique externe ?

Ce billet d’humeur peut sembler être à charge contre Toyota et sa GR010 manquant de sex appeal. Il l’est en partie bien évidemment. Le règlement Hypercar laisse la possibilité de « faire du style » et cela n’est pas le cas de la GR010. Mais cela ne doit pas faire oublier un fait primordial : Toyota est encore et toujours là. Fidèle sans discontinuer malgré les errements récents de l’endurance et le fait de se retrouver dans le rôle d’unique tête de proue de la discipline durant ces trois dernières années. Soumis à la critique facile de ceux qui estiment sa domination trop aisée. Alors bienvenue à la GR010, il n’y a rien de plus important que le fait qu’elle soit là, devant nos yeux, même si elle ne caresse pas suffisamment nos rétines. On ne peut pas plaire à tout le monde de toute façon…

Laurent Chauveau