Inventer un nouvel avenir au LMP1... Imprimer
Mercredi, 02 Novembre 2016 20:03

th_Audi_005Tout d’abord, soyons clairs, le départ d’un constructeur du monde de l’endurance, surtout après 18 saisons d’implication continue, est un événement normal et prévisible. Il était même assez peu compréhensible, à l’époque du retour de Porsche au Mans, qu’Audi y maintienne malgré tout sa présence. L’affrontement entre deux marques du même groupe  dans la même compétition, ce n’était pas une première et ça n'avait pas été un franc succès. La firme Peugeot avait vu, au début de la décennie 2000, Citroën la rejoindre sur les routes du WRC. Et sans réelle surprise, l’une des deux marques avait rapidement fait de l’ombre à l’autre. D’où le retrait de Peugeot fin 2005. Il était assez surprenant de voir le groupe VW laisser deux marques s’entre-déchirer à partir de 2015. Autant, il était logique de laisser cohabiter les R18 avec les 919 en 2014 puisque la deuxième se faisait les dents pendant que la seconde engrangeait encore, autant on peut estimer que nous avons ensuite eu droit à « deux saisons de rab' » pour les R18. Le groupe VW n'avait d'ailleurs pas du tout géré de cette manière la première cohabitation de deux de ses marques de 2001 à 2003. Bentley avait tout d'abord été clairement désigné comme le faire-valoir d'Audi les deux premières années. Puis, pour une saison, c'était l'inverse qui s'était produit et Bentley était allé cueillir son succès. Tout était maîtrisé et tant pis pour le romantisme des fans de la « glorieuse incertitude du sport »… Depuis 2014, Porsche et Audi, les cousins ennemis s’affrontaient à force égale, libres de leur choix techniques. Des choix qui bien qu'extrêmement différents, ont donné lieu, surtout au Mans, à des performances très proches et à des bastons dantesques. Sachons aussi ne pas oublier cela et l'apprécier maintenant que la firme aux quatre anneaux a officialisé ce que l’on redoutait depuis quelques temps : son départ de la planète endurance dès la fin de cette saison.

 

Bye-bye donc la R18. R18 comme 18 saisons de succès et 13 victoires mancelles. R8R, R8C, R8, R10, R15, R15+ et R18 auront marqué cette double décennie de façon indélébile. Nous ne sommes pas prêts d’oublier la première triplette de victoires du même trio de pilotes Biela-Kristensen-Pirro, entre 2000 et 2002. Cela ne s’était jamais produit et n’est probablement pas prêt de se reproduire. On se souviendra longtemps aussi de la victoire de 2005, l’ultime pour une LMP900. L’Audi R8 même diminuée en performance pour ne pas avoir choisi le camp du tout nouveau LMP1 avait tout de même triomphé de la plus rapide Pescarolo C60 Judd. On se souviendra de manière moins émue de la première victoire de la R10. Que voulez-vous, les fans de sport auto aiment que les moteurs chantent. Or, les mazouts ont la voix cassé…

th_LM_2000_54Une empreinte indélébile !

On se souviendra longtemps de ces 5 saisons de duels avec Peugeot. Que de frissons… On se souviendra du record de 2010. Un mazout à la voix cassée effaçait des tablettes un Flat 12 légendaire en passant la barre des 5400 km… On n'oubliera jamais la baston inouïe de 2011. Un véritable sommet… ponctué de deux frayeurs colossales pour Alan et Rocky et d'un dépassement légendaire de Ben ! Et cette ultime victoire mancelle de 2014, acquise non sans quelques à-coups face à un Toyota dominateur mais non fiable et un Porsche déjà rapide pour une première.

On n'oubliera pas les autres succès internationaux d'Audi et notamment une incroyable série de 8 victoires consécutives aux 12 Heures de Sebring entre 2000 et 2007… On se souviendra des titres européens, américains et bien entendu mondiaux. On n'oubliera pas de sitôt la panoplie de personnages de haute stature qui composent, encore pour deux courses, cette équipe incroyable. Du sourire du Dr Ullrich au palmarès incroyable de Tom Kristensen en passant par la gouaille rigolarde de Emanuele ou le terrible souvenir de Michele, la page Audi Sport Team Joest qui se referme désormais pèse incontestablement très lourd dans l'histoire moderne de l'endurance. C'est un crève-cœur pour tous, que l'on ait été supporter ou non de la firme aux anneaux. En juin prochain, les stands 45 et 46 nous paraîtront bien différents…

Un LM P1 trop onéreux !

th_Audi_001Maintenant que le WEC et les 24 Heures du Mans se retrouvent avec seulement 2 grands constructeurs en LMP1, que Rebellion vient également de délaisser la catégorie, que tant d'autres teams privés engagés auparavant en LMP1 ont déserté la catégorie de longue date, on peut se demander si la catégorie reine de l’endurance est réellement engagée sur la bonne voie en allant aussi loin dans l'hybridation des prototypes. L'acceptation des hybrides remonte à 2012 et incontestablement, elle a permis le retour de Toyota puis de Porsche. Mais elle a eu aussi son côté sombre, celui de ne faire que de creuser l'écart avec des privés, incapables de suivre le rythme des évolutions vus sur les voitures usines. Le LMP1 de 2014 avec ses 4 classes d’hybridation a encore augmenté le tempo, l’arrivée de Porsche ne faisant qu’emballer la machine. Les budgets ont atteint des chiffres totalement déraisonnables, proche ou supérieur à ceux des équipes de F1 de milieu de tableau mais pour des retombées médiatiques, hors Le Mans, tellement éloignées de celle de la « discipline reine ». Pourquoi un constructeur irait-il en endurance si ça coute le même prix pour faire de la F1 et être visible 21 week-ends par an ? Comment peut-il justifier un tel budget lorsqu'une classique campagne publicitaire moins onéreuse peut lui apporter la même visibilité médiatique ? Bien entendu, la compétition amène probablement un petit plus en terme d'image de marque que n'offre pas la publicité classique mais cela ne doit pas engendrer de telles dérives budgétaires. Dans un tel contexte, on se prive aussi de manière irrémédiable des privés. Ils ne peuvent même plus espérer pouvoir louer une voiture usine. Oreca a gagné Sebring en 2011 avec une Peugeot 908. C’était il y a seulement 5 ans mais cela parait tellement lointain et désormais inenvisageable. Sans même parler des budgets démesurés que cela représenterait pour un privé, il est impensable qu'un constructeur prête de nos jours sa voiture pleine de matière grise jalousement gardée pour soi...

Que penser alors de ce règlement promis en juin dernier pour 2018 laissant la possibilité d'installer trois systèmes hybrides à bord afin d'atteindre les 10 MJ restituées ? Il est évident que cela ne va pas aller dans le sens d’une réduction des coûts. Dès lors, comment peut-on espérer de manière réaliste, qu’un ou plusieurs nouveaux constructeurs, viennent se joindre au concert, en devant investir des sommes énormes, afin de rattraper le retard technique en matière d’hybride face à Porsche et Toyota. L’on peut aussi se poser la question suivante : Combien de temps Toyota et Porsche accepteront de jouer le rôle de seules locomotives du Championnat du Monde ? Voir leurs quatre voitures s’échapper irrémédiablement dès la sortie du premier virage n’est pas très vendeur. Même si la compétition entre eux reste serrée et attractive, la qualité ne devrait pas à ce point prendre le pas sur la quantité de voitures de pointe. Et surtout, le LMP1 est dorénavant terriblement à la merci du moindre retrait supplémentaire de l’un des deux constructeurs restants. Le FIA WEC est clairement en équilibre précaire et il ne faut plus grand-chose pour le faire basculer du mauvais côté. Alors qu’il semblait si fort il y a quelques mois et qu’il ne s’attirait que des commentaires élogieux. Le LMP1 privé est mort, sans vouloir faire injure à la CLM, le constat est évident et le relancer comme le souhaite l'ACO semble très difficile dans les conditions actuelles.

Une histoire déjà vue...

On ne peut pourtant pas dire que l'on n'était pas prévenu. L'histoire est riche d'enseignements. La fin des Groupe C puis du Championnat du Monde des Voitures de Sport en 1992 aurait dû nous servir. Là aussi, une situation stable et pérenne s'est dégradée en très peu de temps suite à la fuite en avant des budgets nécessaires pour faire courir les fameuses Sport 3,5 litres. La formule était voulue par les instances fédérales de l'époque pour servir avant tout les desseins de la sacro-sainte Formule 1, utilisant elle aussi des moteurs de 3,5 litres. Les privés sont partis en cascade et en très peu de temps laissant les usines en découdre. Celles-ci ont alors montré toute la fragilité de leurs engagements en se désengageant les unes après les autres laissant en 1992, Peugeot, Toyota et à un degré moindre Mazda assumer le Championnat. Celui-ci fut lancé bon gré, mal gré avec seulement 7 voitures à Monza. Et définitivement enterré quelques mois plus tard avec 8 protos seulement à Magny-Cours. Certes, l'endurance d'aujourd'hui se veut moins élitiste car elle s'appuie aussi sur une solide catégorie LMP2 et de bien belles GT, tant snobées à l'époque du Groupe C… Le retrait d'Audi ne met donc pas en péril la discipline dans son ensemble. Mais il n'en est pas moins vrai que la catégorie de pointe se trouve dans un nouveau creux de vague dont il paraît bien difficile de sortir. Et pendant ce temps là, le GTE Pro est pléthorique et plébiscité. Il doit bien y avoir une raison...

th_Audi_002N’est-il donc pas temps de changer de paradigme sur le plan du règlement ? L’endurance se dirige de toute façon vers une période de vaches maigres dans la catégorie de pointe. On entend dire que certains constructeurs pourraient revenir. Soit. Des rumeurs qui paraissent plus alambiquées que celles qui annonçaient le départ d'Audi ! N’est-ce pas le bon moment pour tout remettre à plat ? On laisse deux saisons aux TS050 et 919 afin que les deux constructeurs amortissent leurs couteux investissements puis on reconstruit tout en s'appuyant sur un règlement bien moins onéreux.

Rendre chaque million dépensé moins rentable...

Il est évident que l'on n'empêchera que très difficilement un constructeur de dépenser l'argent qu'il souhaite mettre. On peut toujours contrôler les journées d'essais voire celles de soufflerie mais comment surveiller tout ce qu'il se passe à l'intérieur des ateliers ou du bureau d'études. Comment vérifier les heures de CFD comme cela avait été envisagé un temps ? Comment empêcher d'utiliser les bans de torture mécanique toujours plus sophistiqués. Cela paraît bien compliqué voire tout simplement impossible. Ce qui est possible en revanche, c'est de mettre en place un règlement cadrant suffisamment les ingénieurs pour que l'argent investi ne permette plus de gagner des gros paquets de seconde mais seulement des petits paquets de dixièmes. Certains puristes de la technologie à outrance seront certainement outrés par une telle reculade. Le règlement actuel est loué pour la liberté qu'il accorde aux ingénieurs, la conséquence néfaste étant la fuite en avant des coûts. Il est évident qu'un règlement restrictif sera moins glamour mais il sera aussi probablement plus réaliste. Et puis, il n'est pas forcément question d'être aussi serré que le DPi américain par exemple.

th_Audi_003Sur le plan du moteur tout d'abord, le système de contrôle de la consommation sur un tour mis en place depuis 2014 est vraiment intéressant car il permet, pour le législateur, de contrôler assez finement la puissance tout en laissant une architecture moteur libre et variée aux constructeurs. Il serait donc envisageable de le conserver. Mais cantonnons-nous désormais aux moteurs essence, les diesels n'ayant toujours pas rallié le public à leur cause et leur avenir dans le domaine de la voiture de série semblant désormais sérieusement remis en cause par la mauvaise presse qui leur est faite. La présence de l'hybride n'est pas à remettre en cause non plus mais à la condition expresse qu'elle ne constitue plus, la condition indispensable à la victoire. Une voiture de conception classique à simple moteur thermique doit pouvoir également s'imposer. Autorisons donc un seul système hybride à bord de la voiture permettant de récupérer 3MJ par exemple et de restituer la puissance, suivant le souhait du constructeur, sur l'essieu de son choix. Le surcoût lié à la présence d'un système hybride, pourra toujours être justifié en sachant qu'en cas de pluie, les quatre roues motrices donneront un avantage certain. Bien entendu, de nouvelles technologies frappent à la porte et il faudra savoir les accepter afin que le sport auto reste dans son temps mais sans toutefois qu'elles occultent irrémédiablement sur le plan des performances, des motorisations plus classiques. Cela passera forcément par un système d'équivalence qui n'a rien de satisfaisant sur le plan intellectuel. Mais les deux dernières années ont prouvé qu'un bon équilibre pouvait être trouvé. Sur le plan de la puissance totale à bord de l'auto, visons les 800 chevaux, ça suffit pour avaler dignement les Hunaudières...

Pas besoin d'une armée !

th_Audi_006Sur le plan structurel, on pourrait imaginer de mutualiser les coûts en s'appuyant sur une coque unique, identique pour tous les constructeurs à condition qu'elle soit intégralement habillée, contrairement à aujourd'hui, avec de la carrosserie spécifique. Bien entendu, la coque n'est pas le poste de coûts le plus important sur un proto P1 mais cela limiterait le champ d'investigation des ingénieurs en figeant la zone de la bulle. Et surtout, le crash test serait fait une bonne fois pour toutes... La carrosserie resterait libre mais l'aéro pourrait demeurer sous un contrôle assez serré en cadrant bien plus la partie avant, un peu comme ce qui est fait avec la partie arrière aujourd'hui. Imposer la forme du diffuseur avant n'aurait guère de conséquence visuelle perceptible quand à la forme des voitures ce qui ne nuirait pas trop à la diversité. Mais cela limiterait l'apport des longues et coûteuses heures de soufflerie. Et si l'on pouvait profiter de cette remise à plat pour virer les appendices toujours aussi disgracieux qui dégradent le visuel de nos chères LMP1 actuelles, cela ne serait que tout bénéfice !

Il est probablement également temps de limiter les surcoûts structurels inhérents aux LMP1 modernes. A-t-on réellement besoin de 30 assistants par voiture ou de 4 ingénieurs par moteur ? Doit-on absolument paramétrer un moteur pendant une heure avant de pouvoir le démarrer ? Est-ce que cela apporte quoi que ce soit au sport ? Et si l'on parle du sacro-saint lien entre la piste et la route tant vanté, imagine-t-on de devoir faire appel à toute l'équipe Norauto du coin pour démarrer sa Yaris ou Cayman le matin ? Un moteur, qu'il soit de LMP1 ou d'une citadine, se doit de démarrer au quart de tour et ce sans l'assistance d'une armée. Est-on ainsi certain que dans 30 ans, l'on pourra voir des TS050 ou 919 aux mains de privés lors du plateau 8 du Mans Classic ? On peut en douter tant il faudra être immensément riche pour se payer l'armée d'ingénieurs indispensables. Ce n'est peut-être pas le problème du jour mais c'est tout de même un peu dommage, non ? Bref, il faut limiter ces coûts là également. Même si cela peut paraître une faible économie en comparaison de la charge salariale imposante que représente une équipe complète d'ingénieurs, techniciens et mécaniciens à l'année, cela restreindra une nouvelle fois les libertés des ingénieurs dans le domaine de la conception puisqu'il faudra tenir compte de plus faibles possibilité de maintenance avec une équipe réduite…

th_Audi_004Audi nous a quitté, c'est un fait et il est probable que le règlement LMP1 actuel n'y est pour rien. Mais là ou le règlement peut être coupable, c'est sur le fait qu'une fois Audi parti, il ne reste plus que quatre voitures de pointe pour assurer la saison 2017 du FIA WEC. Et c'est bien cela qui est le plus problématique. Les constructeurs engagent 6 voitures chacun en DTM. Il doit y avoir une raison. Des coûts plus faibles probablement, surtout dans l'exploitation des voitures. C'est cela qu'il faut viser pour l'endurance. Afin d'éviter une nouvelle période de disette que Le Mans et l'endurance ont bien trop souvent traversé. Il ne faut pas oublier que le sport automobile est avant tout un sport. L'argument du retour d'expérience de la compétition sur la voiture de série est souvent fallacieux et n'est là que pour satisfaire les services de communication, pour justifier des investissement pharaoniques. L'hybride n'a pas attendu, loin s'en faut, les développements de la compétition pour être monté sur des voitures de série. Pas plus que la direction assistée, l'ABS, l'anti-patinage ou même la climatisation ! Les développements aérodynamiques à outrance n'apportent rien à la voiture de monsieur tout le monde qui se fout de disposer de 2 tonnes d'appuis ou non sur sa Clio dans les bouchons du périphérique. Même le possesseur de 308 GTi qui se fait plaisir dans les lacets d'un grand col serait bien en peine d'utiliser un tel potentiel d'adhérence. Il n'est pas question pour autant de proposer un retour en arrière. On aime voir les protos enquiller les courbes à très haute vitesse et cela attire de très bons pilotes qui trouvent les voitures plaisantes à conduire. Il est juste question de calmer le jeu technologique, de maintenir les budgets indispensables à des niveaux bien plus raisonnables. Appuyons-nous sur les acquis et verrouillons beaucoup plus les possibilités de développement. Histoire de tenter de susciter des vocations et d'étoffer à nouveau la catégorie reine. Car désormais, une quinte de toux d'un dirigeant de Porsche ou Toyota et le chapiteau s'effondre...

Laurent Chauveau