Loïc Duval, tant de choses à faire tout en pilotant... Imprimer
Mercredi, 11 Juin 2014 06:32

Loic_DuvalLes vainqueurs des 24 Heures du Mans 2013 ne se présentent pas forcément en favoris pour cette 91ème édition. Une course à Silverstone bien difficile, des R18 dominées à Spa, autant de faits qui ont tendance à placer Toyota au rang de favori. La Journée Test a confirmé la domination nippone mais les Audi demeurent en embuscade. Revenons donc avec Loïc Duval sur les leçons de la Journée Test et découvrons la multitude de tâches que doit mener à bien un pilote lors de son relais. Car il est fini ou il fallait « simplement » piloter...

Loïc, quel bilan fais-tu de la Journée Test ?

« Un bilan satisfaisant. Aucune de nos trois voitures n'a connu de problème particulier. Nous avons pu rouler beaucoup. Nous souffrons d'un manque de puissance évident mais malgré cela, notre niveau de performance est satisfaisant. »

Vous n'êtes pas aussi loin que ce que vous aviez pu penser ? Croyez-vous à un coup de bluff de vos concurrents ?

« Pas certain, non. Je ne pense pas que qui que ce soit aie bluffé et à mon avis, la hiérarchie après 2 ou 3 heures de course sera sensiblement identique à ce que nous avons vu dimanche dernier. Pour ce qui nous concerne, nous ne disposons que de 2 MJ. C'est un choix qui a été orienté avant que le règlement ne donne un avantage aux dispositifs hybrides les plus puissants. Il nous faut maintenant faire avec... Mais souvenez-vous, on a toujours dit que la voiture était fabuleuse donc cela explique que nous ne soyons pas si loin de nos concurrents. Malgré notre manque de performance pure... Postez-vous à la sortie de la chicane Ford et vous constaterez la différence avec les Toyota ou Audi. Maintenant, les dés sont jetés. On verra bien ce qu'il adviendra. Si à 2 heures du matin, la concurrence subit de gros problèmes, on dira que nous avions eu raison dans notre choix... »

Aucun accroc n'est venu émailler votre journée sur le plan de la fiabilité. Vous êtes confiants sur ce point ?

« Autant qu'on peut l'être. Nous avons prouvé être forts dans ce domaine là les années précédentes. Nous avons procédé à des tests d'endurance au Paul Ricard et à Motorland-Aragon. Nous avons des raisons d'être confiants mais nous savons très bien qu'en ce domaine, le risque n'est jamais totalement éradiqué. Ca fait partie du jeu. En tout cas, nous nous sentons prêts et nous avons l'atout de pouvoir nous appuyer sur trois voitures contre deux à nos concurrents ce qui limite un peu plus les risques inhérents à une telle course. De plus, cette troisième auto peut servir à faire des tests pour les deux autres donc c'est une chance. »

Si on revient sur le plan de la performance pure, c'est principalement lors des remises en vitesse que l'écart se creuse avec les TS040 et 919 ?

« Oui clairement. »

Par contre, vos valeurs de Vmax sont loin d'être ridicules...

« Oui mais c'est plus lié à la puissance de notre moteur diesel et à notre très bonne aéro. Donc, nous perdons 40 à 50 mètres en sortie de chicane et nous en reprenons peut-être 20 en bout de ligne droite. Au global, nous sommes tout de même perdants. Nous essayons de le rattraper sur les freins ou dans les virages car notre auto est vraiment excellente mais ça ne suffit pas tout à fait pour compenser. »

As-tu l'impression que vous roulez avec un peu moins d'appuis que Toyota ? Car vous perdez un peu de temps dans le 3ème secteur...

« C'est difficile à dire car dans ce secteur, il y a tout de même 2 grosses relances ou l'hybride joue beaucoup, à la sortie du karting et du Ford. Or plus le virage est lent, plus nous sommes pénalisés. Aujourd'hui avec les boudins qui ont été ajoutés au Ford, le virage est vraiment très lent donc nous sommes vraiment en retrait. »

Sur le plan de la consommation de carburant, vous avez pu vous étalonner par rapport à vos concurrents dimanche 1er juin ?

« Ce qui est sûr, c'est que Porsche fera un tour de plus que nous. Ce qui est assez frustrant puisque l'objectif de l'étalonnage réglementaire était de nous placer tous sur le même nombre de tours. Par contre, nous semblons être assez proche de Toyota. Cependant, peut-être qu'en diminuant un peu leur niveau de perfo, ils parviendront à faire un tour de plus mais en l'état actuel des choses, ce sont les constatations que nous avons pu faire. »

Sur un circuit tel que Le Mans, est-ce l'électronique de la voiture qui gère intégralement la consommation de carburant ou bien, est-ce que le pilote est amené à user de certains artifices connus tels que le léger lever de pied en fin de ligne droite pour gérer l'utilisation du carburant ?

« C'est nous qui gérons en grande partie et l'électronique n'est là que dans le cas où nous nous serions ratés. Nous avons tout un tas d'alertes qui nous sont données mais après, c'est à nous de gérer en tenant compte du trafic, de savoir si nous devons pousser plutôt sur la première moitié du tour ou sur la seconde par exemple. »

Ces alertes te parviennent sous forme visuelle. C'est facile à lire ?

« On a fait du mieux possible mais on dispose d'un écran qui mesure un tiers de celui d'un i-phone avec beaucoup d'informations dessus... »

Ca ne « bouffe » pas trop votre concentration ?

« C'est sûr que ce n'est pas naturel. Ca demande un effort supplémentaire. Je suis allé au musée récemment. Même les voitures d'il y a 4 ou 5 ans ne disposaient que de 5 ou 6 boutons au volant, c'était plus simple... »

Ton ingénieur te guide également ?

« Seulement en cas de véritable changement de stratégie à adopter. Il me guide en me donnant les informations et moi, je les entre manuellement. Mais en temps normal, c'est au pilote de gérer. »

Quelle est ton impression concernant les « slow zones » introduites cette année ?

« Il y a quelques difficultés encore dans la mise en place et nous en avons reparlé ce matin lors du briefing. Il faut que tout soit clair pour tout le monde. Pour l'instant, nous avons encore un peu peur que ça ne fonctionne pas correctement. Il ne faudrait pas que se reproduise ce qui nous est arrivé au Brésil l'an passé. Nous perdons la tête parce que nous sommes coincés, lors d'un Safety-car accompagné d'un full course yellow, derrière un concurrent qui roule à 60 km/h au lieu des 100 autorisés, parce qu'il ne connaît pas bien le règlement... Dans la zone qui précède la slow zone, nous déjà sous régime de drapeaux jaunes mais on peut encore rouler à un rythme soutenu. Là, nous dépendrons entièrement du rythme adopté par le pilote devant nous puisque nous ne pourrons pas le doubler... »

Audi_1Dans quel état d'esprit, l'équipe va-t-elle aborder les essais qualificatifs ?

« Nous sommes là avant tout pour définir un bon set-up de course pour la voiture. Mais nous essaierons tout de même de faire une bonne qualif même si nous savons qu'a priori, la pole n'est pas pour nous. Bien évidemment, nous n'utiliserons pas de set-up spécifique à la qualif. »

L'un des points clé en course, c'est la gestion des pneumatiques. Peux-tu nous rappeler de quels pneus vous disposez ici et quel est le processus, au sein de l'équipe, qui amène à tel ou tel choix de set de pneumatiques au cours de la course ?

« Nous avons le pneu pluie « full wet » puis le fameux pneu hybride de Michelin qui permet de rouler sur piste humide. Pour le sec, nous avons deux types de slicks, un pour le temps chaud, l'autre pour le temps froid. L'un est plutôt destiné aux relais de jour et l'autre aux relais nocturnes. Mais tout dépend évidemment des conditions de température, du fait que tu sois sous safety-car ou pas. Par exemple, le pneu « temps chaud » peut nous permettre de rouler de nuit si nous parvenons à le maintenir en température.

Pour ce qui est du processus de choix, nous travaillons le sujet tout au long des essais hivernaux avec les ingénieurs Michelin. Puis nous affinons ici durant les essais. Ce qui fait que durant la course, tout est pré-défini. Par exemple, nous savons à quelle vitesse la température devrait décroître la nuit et donc quel choix de pneumatiques nous devons faire. A ce stade là, l'ingénieur Michelin n'a plus à intervenir dans notre choix. Cela se passe entre l'ingénieur de la voiture et le pilote. »

Quelles sont les types de conversation que tu peux avoir avec ton ingénieur-voiture lorsque tu es au volant justement ?

« Il y a tout ce qui est classique : l'état des pneumatiques, la balance de freinage, la consommation d'essence, etc... Il y a également toutes les informations qui nous sont transmises afin de modifier les paramètres de l'auto et que nous nous chargeons de modifier afin d'adapter son comportement aux conditions. C'est à nous de le faire car il leur est interdit de le faire depuis les stands. Donc régulièrement, il revienne vers nous afin d'optimiser les réglages. »

C'est encore un point de plus à gérer tout en conservant sa concentration sur le pilotage...

« C'est peut-être un peu plus facile au Mans avec les longues lignes droites mais il est clair que sur des circuits classiques, c'est plus compliqué. Surtout qu'après le message, il faut encore entrer les infos et les valider ce qui suppose la manipulation de plusieurs boutons... C'est prenant pour le pilote. »

L'ingénieur veille à te contacter au moment ou tu te trouves en des points précis du circuit, justement, sollicitant moins ta concentration ?

« Oui, il essaye de nous parler au bon moment. Par exemple, lorsque nous passons devant les stands s'il faut changer des infos dès la première moitié du tour. Ou alors, il attend que nous soyons dans les Hunaudières. »

C'est très court tout de même devant les stands pour avoir le temps d'entendre l'information et de la rentrer sur ton ordinateur de bord !

« Non, en fait, je reçois l'info ici et j'attends d'être sorti du Tertre-Rouge pour la saisir. Ou alors, si c'est vraiment important, on acceptera de perdre un peu de temps et de la rentrer immédiatement. »

Y a-t-il encore des « trous noirs » sur le circuit au niveau de la radio, des endroits ou ça ne passe pas ?

« C'est toujours un peu difficile entre Mulsanne et Indianapolis mais globalement, nous avons des grues avec des antennes relais tout au long du circuit et ça passe assez bien. »

Concernant la sécurité des autos, vous avez cette année une nouvelle position de conduite, plus haute et plus avancée. Le champ de vision est meilleur ?

« Il y a un mieux, c'est indéniable mais ça reste moins confortable que dans une voiture ouverte. Maintenant, nous devons avoir une coque fermée et nous ne pouvons pas la faire en plexiglas. Nous essayons donc de recourir à d'autres solutions pour réduire encore nos risques tels que le recours à des spotters comme aux USA. Nous y réfléchissons. »

La solution de la caméra vers l'avant vue rapidement l'an passé, est définitivement abandonnée ?

« C'est compliqué car ça perturbe notre champ de vision. C'est très bien en visibilité mais l'angle de vision est un peu particulier et notre cerveau ne l'assimile pas très bien. Donc on a préféré la remiser tout en poursuivant son amélioration. Par contre, celle vers l'arrière est vraiment très bien car elle nous offre une vue à 180°. C'est facile à analyser et cela nous aide à savoir que l'arrière est bien devant la voiture que l'on vient de doubler avant de te rabattre. »

Avec toutes ces taches à gérer, heureusement que tu n'as pas de GPS à régler !

« Ca va, nous sommes bien occupés ! Je n'ai pas le temps de twitter... »

Laurent Chauveau