Nicolas Perrin : "Je rêve d'un moteur de F1 dans ma LMP1" Imprimer
Jeudi, 27 Juin 2013 12:00

Perrinn_01Avant Dome et sa S103, avant Rebellion et sa R-One, Nicolas Perrin et sa société Perrinn Limited ont présenté leur propre vision de la LMP1 2014. La Journée Test fut pour nous l'occasion de rencontrer à nouveau Nicolas et de parler longuement de sa dernière création et de commencer à mieux comprendre les contours de cette future catégorie...

Nicolas, ce week-end de Journée Test a été profitable du point de vue des contacts dans le paddock pour Perrinn Ltd ?

« C'est toujours profitable d'être présent même si l'on s'aperçoit que le marché est très restreint. Mais nous le savions à l'avance... Certaines autos commencent à être proposées par d'autres constructeurs ce qui rend la concurrence féroce. Cela fait partie du jeu ! »

Le fait d'être le « petit nouveau » du cercle des constructeurs de LMP1 constitue-t-il un handicap pour la société dans l'approche des clients ?

« Le seul handicap est lié au fait que le nom est nouveau. Techniquement, nous n'en avons aucun car nous avons débuté le travail très tôt. Je travaille sur cette auto depuis un peu plus de deux ans. Ce n'est donc pas un hasard si notre étude a été la première LMP1 2014 publiquement dévoilée... Nous avons donc pris le temps afin de nous assurer que le produit ait la qualité requise. Nous voulons réellement un produit de très haut niveau. »

De combien de personnes se compose l'équipe de conception ?

« J'ai longtemps travaillé seul sur le projet et lorsqu'il l'a fallu passer à la phase des plans de détail, je me suis entouré de personnes d'expérience ayant déjà travaillé avec moi, aussi bien chez Courage que sur la Pescarolo 03. Au total, lors de cette période de la conception, nous étions 6 personnes. »

Quelle était ton approche pour la conception de cette auto ?

« L'idée directrice de ce projet était de dessiner une voiture un peu comme cela se faisait il y a quelques années, sous la conduite d'un ingénieur-concepteur donnant une direction unique au niveau de la conception.. Je suis totalement passionné par la conception et l'aérodynamique donc je veux être celui qui décide. Par conséquent, j'ai créé autour de moi, la structure adaptée à cette situation. Mais je fais intégralement partie de l'équipe et j'aime mettre « les mains dans le cambouis ». Je ne me suis pas contenté de tracer les grandes lignes, j'ai également dessiné nombre de pièces dans leur détail, au sein de cette équipe. »

Entrons un peu plus dans le détail de l'auto justement. Les voitures de 2014 seront 10 cm moins larges que celles d'aujourd'hui. Cela a-t-il changé quelque chose dans le design de la voiture ?

« Non, pas vraiment puisque du fait de la diminution de la largeur des roues, on se retrouve avec une interface similaire à l'intérieur des roues. Là ou cela change beaucoup les choses, c'est sur le plan aérodynamique avec une perte d'appuis. »

Peux-tu nous en expliquer le pourquoi ?

« La dépression créée par le diffuseur s'applique sur un fond plat de taille moindre donc son effet est également amoindri. »

Par contre, les épures de suspension ne changent pas forcément fondamentalement du fait que la réduction de largeur des pneus accompagne celle de la carrosserie ?

« Là, il nous faudra surtout attendre de rouler afin de connaître les caractéristiques des pneumatiques 2014 et d'y adapter les cinématiques de suspension. On s'arrange donc pour être sûr que les suspensions offre plusieurs possibilités de réglages afin de trouver ceux qui s'avèrent les meilleurs. »

Tu as donc prévu plusieurs ancrages de suspension possibles sur la coque ?

« Effectivement, en certains endroits, nous avons plusieurs solutions d'ancrage. C'est un processus habituel. »

Les 10 cm de réduction de la largeur de l'auto vont-ils être compensés par l'augmentation de la largeur de l'aileron sur la valeur de la trainée ? En d'autres termes, les autos iront-elles plus vite en vitesse de pointe tout en étant moins rapides en courbes ?

« En fait, pour connaître la vitesse qu'elles vont atteindre, il nous faut connaître la réglementation moteur. Parce que ce sont les caractéristiques du moteur qui vont fixer les objectifs de trainée. Ensuite, nous réglerons la voiture de telle sorte à tenir ces objectifs. »

Quelles sont les contraintes qu'impose la conception d'une voiture pouvant intégrer plusieurs types de moteurs ?

« Pour nous, l'important est de prévoir suffisamment de place pour mettre un V6 ou un V8, de prévoir les points d'ancrage nécessaires pour fixer ce moteur. Ensuite, il nous faut nous assurer que la répartition des masses est optimale, quelle que soit le bloc, ce que nous avons fait. Mais le fait de conduire une étude avec plusieurs moteurs n'était pas un réel problème car le choix qui se présente n'est pas réellement pléthorique non plus... »

Du fait que tu as conduit une étude multi-moteurs, devras-tu adapter la forme de la carrosserie aux exigences, notamment de refroidissement, du moteur choisi par tes clients ?

« Oui, effectivement, c'est prévu. Non seulement pour les prises d'air de refroidissement mais également pour celle d'alimentation du moteur, située sur le toît et que l'on sait dériver en entrée d'air turbo ou atmosphérique. Donc pour nous, le choix du moteur peut se faire assez tard et, ayant déjà implanté de nombreux moteurs dans diverses LMP, nous savons à quoi nous attendre. »

Tu parles de prévoir la place pour différents moteurs. Est-ce cela qui t'a conduit à ce capot moteur très bulbeux ?

« Non, c'est tout simplement la prolongation de la section arrière du châssis qui est plus haute dans ce règlement. En aval, nous avons tenté de faire une continuité qui soit la plus propre possible. Je m'attend d'ailleurs à ce que les autres voitures présentent des solutions similaires. (le capot de la Dome S103 semble effectivement être dans la même veine) Mais même si cela a un impact visuel important, ce n'est pas ce qui est fondamental sur la voiture. »

Y a-t-il aujourd'hui, dans le cadre de ce règlement 2014, une architecture moteur plus favorable qu'une autre qui se profile à l'horizon ?

« Ce qui va être très important, c'est le rendement du moteur et sa consommation. Lorsque l'on discute avec les ingénieurs motoristes, on se rend compte qu'effectivement, certaines architectures sont plus favorables que d'autres dans ce cadre. Pour ce qui me concerne, je suis assez attiré par un V6 turbo. Et mon rêve, c'est de placer un moteur de F1 2014 dans la voiture. »

Un 1,6 litre turbo au Mans, c'est envisageable ? Même du point de vue économique ? Car c'est un moteur qui va tourner vite pour offrir de la puissance ?

« Je pense que c'est tout à fait envisageable, oui. »

Mais il ne risque pas de souffrir face à des moteurs un peu plus gros, tournant moins vite et consommant peut-être un peu moins ?

« Toutes les formules à l'heure actuelle se tournent vers l'efficacité énergétique et ce n'est pas un hasard si la F1 a choisi cette architecture. »

Ta voiture est conçue de façon à pouvoir accueillir un hybride. Mais si ton client n'en souhaite pas, ce n'est pas un problème ?

« Non, l'hybride est une option mais n'est pas obligatoire. D'ailleurs, mon point de vue sur ce sujet est que l'on n'en a pas besoin en 2014 pour être performant. Je rejoins en cela le point de vue des responsables de Rebellion. »

Même face à une hybride accumulant 8 MJ ?

« Oui car la puissance amenée par les moteurs électriques est enlevée au moteur thermique. Donc, on doit pouvoir disposer d'un niveau de performance identique. Peut-être seront-ils capables, avec un hybride, de tenir plus longtemps en piste mais en terme de puissance embarquée totale, on doit être sur des niveaux similaires. Et c'est ce qui est important pour un ingénieur ou un concurrent ! Il faut que dès la première séance d'essais, on puisse être sur un pied d'égalité. Après, le problème d'autonomie implique des stratégies différentes mais nous pourrons tirer notre épingle du jeu à certains moments. »

Tu crois vraiment que l'on peut obtenir un équilibre privés-usines via le règlement ?

« C'est en tout cas l'intention de la FIA et quand on voit le règlement, c'est qu'il devrait se passer. »

Ce qui frappe sur les images de la voiture, ce sont évidemment ces écopes de frein avant qui ressemblent beaucoup à celles de la TS030 de 2012. Un hasard ?

« En fait, avant même que la Toyota ne soit révélée, j'étais déjà parti dans cette direction. Le fait que TMG ait abouti au même résultat peut donner confiance quant à cette solution. »

Même si ils ont abandonné ce principe cette année ?

« Ca ne signifie pas forcément que le problème vient de là... »

Parlons des ouvertures réglementaires dans les ailes. Deux voitures ont d'ores et déjà été dévoilées, la Perinn et la Dome or elles adoptent des solutions divergentes à l'avant. Au-dessus du pneu pour la tienne, à l'intérieur de l'aile pour la S103. Il est étonnant de voir qu'à règlement égal, on arrive à une telle divergence de choix ! (On ne jugera pas la R-One de Rebellion étant donné qu'il ne s'agit que d'images d'artiste pour l'instant.)

« Chacun doit adapter ses choix à ses propres besoins. Tout est fonction de l'environnement direct, de la forme des ailes. De toute façon, que l'on ouvre à l'intérieur ou au-dessus du pneu, on dégrade le flux. Il faut donc choisir celui qui entraine le moins de dégradation et après avoir mené des comparaisons, nous en sommes arrivés à cette solution. »

Tu valides tout cela par de la CFD ? (CFD = soufflerie virtuelle sur ordinateur)

« En CFD oui mais un programme de soufflerie sur la voiture à l'échelle 1 sera conduit afin de finaliser toutes les options, notamment à l'avant. Ce programme est prévu dans la phase de fabrication de la voiture. »

Quelles sont les limites de la CFD aujourd'hui ?

« C'est un excellent outil de développement avec lequel nous avons une grosse expérience. Mais il y a encore un petit problème de réalisme dans certaines zones car cela reste un modèle. Et du modèle à la réalité, il y a une petite marge. D'ailleurs, même en soufflerie, cette marge existe et on le voit bien en F1 ou les écuries éprouvent parfois certaines difficultés dans leurs corrélations avec la piste... »

La méthode d'Henri Pescarolo consistant à valider la voiture, bardée d'outils de mesure, sur une piste d'aérodrome en fonctionnement réel reste donc bonne ?

« C'est une très bonne méthode que nous utiliserons également. Il faut concentrer son budget sur la validation de la voiture finie en limitant au maximum les essais physiques sur des modèles. »

Quelle est la date limite de lancement de la fabrication de la voiture afin qu'elle soit prête pour la compétition ?

« Une fois le contrat de vente signé avec un client, nous avons besoin de quatre mois pour fabriquer la voiture. Il nous faut aussi tenir compte de la limite donnée par l'ACO et la FIA pour l'homologuer (quelques mois avant la première course). Donc on sait effectivement qu'il va falloir rapidement conclure une vente avec un client pour lancer la fabrication. »

Es-tu confiant quant aux chances de ce projet de passer du virtuel au réel désormais ?

« Notre projet s'inscrit sur le long terme. Nous voulons être en LMP1 et au Mans. Et nous y serons. Cela a toujours été l'objectif, nous nous sommes donnés les moyens de le faire. Aujourd'hui, nous proposons un produit qui est entièrement conçu et terminé. Le plus dur est passé pour nous. Maintenant, nous devons trouver un client qui comprenne notre philosophie et qui nous fasse confiance. Mais je peux vous assurer que cette voiture prendra la piste, quel que soit le moyen... Car nous voulons absolument prouver la qualité et la performance de cette auto. »

Propos recueillis par Laurent Chauveau