Benoit Tréluyer : "Je souhaite la bagarre !" Imprimer Envoyer
Mardi, 25 Juin 2013 18:09

Benoit_Treluyer_2013Il est de ces pilotes qui ont constamment le sourire aux lèvres. Faire une interview du double vainqueur en titre des 24 Heures du Mans est toujours un moment sympathique surtout que Benoit Tréluyer n'est pas vraiment avare de ses paroles...

Benoit, procédons à un petit comparatif entre la version 2012 et la 2013 de la R18. Tout d'abord, en tant que pilote, ressens-tu une réelle différence entre la Long Tail et la voiture de l'année dernière ?

« Non... Allez hop, ça, c'est fait, question suivante ! (Rires) Non, sérieusement, ce n'est pas suffisamment sensible pour que l'on remarque vraiment. A la rigueur, ce que l'on ressent, c'est qu'à l'approche de la vitesse maxi, la voiture est plus libre, moins freinée. Mais c'est fin. Pour le reste, je n'ai pas ressenti de différence particulière dans le comportement de l'auto, notamment dans les courbes rapides, type virage Porsche. »

Et si l'on parle du système hybride ?

« Là, oui, c'est évidemment plus net. Nous avons progressé dans tous les compartiments du jeu. Je ne dirai pas que nous disposons forcément de beaucoup plus de puissance mais nous en disposons certainement un peu plus longtemps. Nous, pilotes, avons aussi mieux appris à connaître ce système. Nous savons mieux l'utiliser, le gérer. Parfois, par exemple, il est mieux de freiner un peu plus tôt que nécessaire afin de moins déséquilibrer l'auto. Un freinage plus violent nous permettrait de récupérer plus d'énergie mais ce serait au détriment de l'équilibre en virage. Car malgré tout, lorsque les moteurs se mettent en route, ce n'est pas neutre sur le comportement de l'auto. »

Sa gestion électronique s'est affinée également ?

« Oui, la plage de réglages est encore plus grande. Et la transition lors de l'arrêt des moteurs électriques est plus douce. Ce n'était pas du « on-off » l'an passé mais ça l'est encore moins cette année. On fait en sorte que le système ait un comportement le plus fluide possible. Mais sur un circuit tel que Le Mans, l'hybride nous sert très souvent. C'est donc un gros avantage qu'il ait été amélioré par rapport à l'an passé. »

A ce sujet, l'an passé, ce système était passé en mode « safe » sur votre auto. Ca se ressentait vraiment ?

« Oui, clairement. En fait, il ne donnait quasiment plus de puissance... »

Audi_1_PesageRessens-tu un gain de puissance du moteur thermique ?

« C'est difficile à dire. Nous n'avons peut-être pas beaucoup plus de puissance terminale mais le moteur est probablement un peu mieux sur les régimes intermédiaires. »

« Oui, je dirai que nous sommes même mieux préparés que l'an passé. Nous nous connaissons tous un peu mieux. On comprend très bien maintenant la façon de travailler de Leena, notre ingénieur voiture et nous ne commettons pas beaucoup de fautes. De ce point de vue, Spa nous a vraiment conforté quant à notre approche. C'était un meeting sur deux jours, très concentré donc. Or malgré une suite de décisions à prendre de manière assez rapprochée, nous n'en avons pris aucune qui n'aille dans la mauvaise direction...

Par contre, hier mercredi, c'est l'inverse. Nous avons commis une suite d'erreurs dans notre gestion de la journée, la plus grosse étant que Marcel n'a quasiment pas roulé et que pour l'instant, il n'est pas qualifié de nuit. Nous avons voulu tester une modif de réglage sur la voiture et Leena voulait conserver le pilote déjà en place afin d'avoir un avis comparatif. André a donc fait 10 tours d'affilée. Puis le drapeau rouge est arrivé... Marcel ne pouvait donc plus rouler. Ce n'est pas acceptable de notre part. Si la situation ne devait pas évoluer et que Marcel soit repêché, nous devrions partir du fond de grille. Intrinsèquement, ce n'est pas dramatique mais ce n'est pas quelque chose que nous pouvons nous permettre... De plus, il est vraiment important d'avoir le point de vue de chaque pilote sur la voiture. Finalement, c'est peut-être un mal pour un bien. Tout était peut-être un peu trop facile depuis le début de saison et ce petit coup derrière la tête encaissé hier, nous remet les idées en place. »

André a vraiment pu chasser le chrono ?

« Il est parti dans ce but en tout cas. Mais le trafic joue un tel rôle ici... Hier, ça n'a pas été en sa faveur et il n'a pas pu sortir un temps. Lorsque j'ai pris la piste à 22H avec des vieux pneus en sachant que Loïc partait avec des pneus neufs, je me suis dit que leur choix était le bon pour taquiner le chrono. En plus, il n'a eu strictement aucun trafic... »

Es-tu surpris du niveau de performance de Toyota ?

« On ne s'occupe pas vraiment de ce qu'ils font mais on observe tout de même de temps en temps. Et on se demande s'ils ne cachent pas quelque chose. Car pour l'instant, contrairement à nous, ils n'ont pas pu reproduire les chronos de l'an passé... Moi, j'espère vraiment qu'ils seront performants. Car je préfère que nous ayons à nous battre face à un adversaire plutôt que face à une voiture sœur comme l'an passé. La pression n'est pas la même. Si tu te sors dans un duel fratricide, l'équipe t'en veut. Si tu commets une erreur en faisant le freinage à un adversaire d'une autre équipe, c'est mieux accepté même si ça ne fait jamais plaisir à qui que ce soit. »

Benoit_Treluyer_2013On risque finalement d'assister un peu à une course d'intellectuels plus qu'à une course d'adrénaline pure. Vu le niveau de performance assez différent entre Audi et Toyota, on ne connaîtra peut-être pas un duel roues dans roues mais un affrontement de stratèges et de gestionnaire de la consommation en carburant. Quel différentiel vous faut-il face à Toyota pour compenser votre probable déficit en consommation ?

« Il nous faudrait environ 1"5. Disons qu'avec 2 secondes, nous serions dans une situation confortable. »

A quoi ressemble la semaine d'un pilote Audi au Mans ? Parviens-tu à te ménager un peu de temps libre ?

« C'était l'une des demandes que nous avions suite à l'édition de l'an passé. Que l'on nous laisse un peu de temps pour nous dans la journée. En théorie, j'ai donc une heure et demie chaque jour ou je suis libre de faire ce que je souhaite. Je lis des romans policiers par exemple. Je suis un grand fan de Harlan Coben et de son personnage principal, Myron Bolitar... Bon si besoin est, ces 90 minutes peuvent malgré tout servir au team pour me caler un rendez-vous supplémentaire ! On verra bien... »

Cela permet de libérer la pression ?

« On ne la subit pas trop la pression. L'an passé, nous en avions plus. Il fallait absolument faire gagner l'hybride au Mans. Cette année, c'est un peu plus tranquille. Pour ce qui est de ma semaine, tout est organisé et j'ai sur moi en permanence un petit carnet qui m'a été donné avec toutes mes obligations durant la semaine. Sur mon téléphone, j'ai aussi une application que je dois utiliser pour signaler tout ce que je pense pouvoir être une source d'amélioration en vue de l'année prochaine. »

Tu disposes d'une chambre privative dans votre structure ?

« Non, nous avons une chambre à deux lits pour trois. Mais par la force des choses, il y en a toujours un de nous trois qui n'est pas dans la chambre... »

Es-tu de ceux qui parviennent à dormir durant l'épreuve ?

« Ca dépend. Je m'allonge, me repose entre deux relais et parfois le sommeil vient. Sinon, j'écoute ce qu'il se passe autour... »

Tu as programme précis de réveil musculaire avant chaque relais ?

« Non, je suis plutôt un pilote à l'ancienne de ce point de vue ! (rires) L'équipe ne nous impose rien. Libre à nous de nous gérer comme nous le souhaitons. Donc, je prends le temps de me réveiller tranquillement afin d'être bien réveillé pour monter dans l'auto. »

Audi_1_Pesage

Quand on t'en laisse le temps...

« Ah oui, tu fais allusion à 2011. Je dormais et l'une des personnes de l'équipe vient me réveiller : "Benoit, tu dois te lever, tu reprends le volant." Bon d'accord mais je me réveille gentiment. Une seconde fois : "Tu dois te lever" Oui, oui... Puis Ralf Jüttner débarque dans la chambre : "Benoit, tu pars tout de suite !" Ouh là, OK cette fois-ci, j'ai compris. Je prends mes affaires en quatrième vitesse. Je finis à peine de m'habiller que l'auto s'arrête. Je saute à bord, je pars et là je dis à la radio : "Bonjour tout le monde !" »

Et tu pars pour un quintuple relais...

« Un relais qui reste mon meilleur souvenir en course... Je n'étais pas encore super bien réveillé malgré tout et puis il te faut toujours un peu de temps pour te mettre dans le rythme. A peine ai-je donné le bonjour et demandé l'heure, que l'on me fait un point sur la situation de course. On me dit : "la Peugeot qui est juste devant toi est en tête et tu es dans le même tour. Derrière toi, tu as une autre 908 qui est à un tour puis encore juste derrière, une autre 908 qui est troisième dans le même tour." Là, je me dis, OK, cette fois-ci, il faut vraiment te réveiller et y aller ! »

Propos recueillis par Laurent Chauveau