2014, Nissan revient ! Oui mais... Imprimer Envoyer
Mardi, 26 Février 2013 23:43

LM_1999_Nissan_R391Nissan sera très officiellement de retour au Mans en 2014 représenté directement par son bras armé, Nissan Motorsports alias Nismo ! C'est la grande, très grande nouvelle de la nuit dernière. Habituellement, une telle annonce aurait fait chavirer de bonheur les fans du monde de l'endurance. Les forums auraient saturé sous les messages délirants d'enthousiasmes, Facebook aurait généré un nombre de posts dédiés à Nissan frôlant l'indigestion. Certains fans nippons auraient déjà pris leur billet d'avion pour juin 2014 ! Habituellement, voilà ce qu'il se serait passé. Mais pas cette fois-ci (à l'exception peut-être des billets d'avions des fans nippons...). Non, pas cette fois-ci. Et pourquoi donc ? Serait-ce parce que Nismo a décidé de revenir (comme au cœur des années 80 ou la firme jouait profil très bas) avec une grande humilité, sachant qu'il lui faut tout réapprendre de la classique mancelle ? Une humilité compréhensible sachant qu'il lui faudra affronter une firme aux 11 succès (et peut-être 12 d'ici là...), une autre aux 13 victoires et éventuellement, un compatriote affamé de ce succès manceau qui le fuit encore (ou pas, réponse le 23 juin prochain vers 15H...). Non, là n'est pas la raison de ce désenchantement car il n'y a pas d'humilité dans le choix de Nissan. Il y a simplement le choix de ne pas affronter directement cette concurrence. Oui, 2-3 (*) revient mais en faisant de nouveau le choix du 56ème garage, ce qui signifie tout d'abord, qu'il devrait n'y avoir qu'une seule auto engagée. Cela signifie ensuite qu'il ne peut s'agir pour l'instant que d'un « one-shot ». On imagine mal, mais alors très mal, voir l'ACO accepter deux années de suite que le 56ème garage soit accordé à la même voiture et au même concurrent. Donc Nissan revient en 2014, certes, mais pour l'instant, il n'y a rien de sûr concernant la suite de cet engagement ! Ah oui, au fait, Nissan revient avec une voiture entièrement électrique, ce qui explique le choix du 56ème garage : le règlement actuel ne permet pas une telle technologie en LMP1. Pas encore... Donc, si vous ajoutez l'absence du bruit caractéristique d'un moteur thermique au choix de venir cueillir les lauriers médiatiques sans risquer de perdre sur la piste, on peut comprendre que les fans soient un peu circonspects sur la valeur de ce retour. Un retour qui se fait par la grande porte soit. Une grande porte mais avec un tout petit entrebâillement...

 

Un retour et des questions...

1988_Nissan_R88C_32Un retour qui pose des questions. Laissons de côté la technique pure pour l'instant. En dehors de la fée électricité, rien n'a été dévoilé à ce sujet hier. Parlons plutôt de ce Garage 56 qui commence à poser question. Sur le principe, c'était une bonne idée permettant de mettre en avant des projets innovants sur le plan technologique. Il reste à ne pas dévier de l'objectif initial qui était donc technique avant tout. Je n'émets là aucun doute sur la validité du projet Green GT, que j'aimerai bien voir en course avant les 24 Heures toutefois, contrairement à ce qu'il s'est passé concernant la Deltawing. La Deltawing, justement, fut la première auto à bénéficier de ce 56ème stand or j'avais déjà émis certaines réserves sur l'intérêt technologique réel de ce concept : nous prouver que « light is right » ? Y a-t-il seulement une personne qui en doutait ? Y a-t-il quelqu'un qui n'ait jamais souhaité, tout en pédalant, perdre sa dizaine de kilos superflus alors que le pourcentage de la cote augmente ? En revanche, si il y avait bel et bien un intérêt à ce projet, c'est celui que Nissan a bien compris et parfaitement su exploiter : communiquer avec beaucoup d'impact sur les imaginations sans trop débourser et sans prendre le risque d'un revers sportif. Car de toute façon, en tant que concurrent du Garage 56, vous n'êtes par réellement dans la course, vous n'êtes pas classé. Mais les médias vous bichonnent, que votre projet soit totalement pertinent ou pas du tout. Deltawing était originale dans ses formes. Qu'on l'aime ou qu'on la déteste, elle attirait l'œil du public, ne laissait personne indifférent et surtout pas les objectifs des caméras... Nissan a réussi un vrai coup médiatique en 2012 en venant greffer son nom sur ce projet. Bien joué, bravo, rien à redire.

Mais cela a donné des idées au board et c'est là que l'on commence à dévier un peu de l'objectif initial du Garage 56. On peut faire parler de soi sans se lancer dans un lourd et couteux programme LMP1 ou en tout cas, en jouant le côté décalé de l'engagement... Certes, Nissan et Renault sont en pointe dans le domaine de la voiture électrique de série. Donc, cet engagement dans le sport automobile peut sembler légitime. Légitime mais risqué pour l'organisateur.

Concurrent dans les médias mais pas sur la piste...

th_LM_1990_Nissan_R90CK_24C'est Carlos Ghosn lui-même qui a annoncé cette nouvelle orientation de Nismo pour 2014. On peut se poser la question de savoir ce qu'en pensent réellement le Dr Ullrich pour Audi, Hartmut Kristen pour Porsche ou Yoshiaki Kinoshita pour Toyota ? Comment peuvent-ils admettre qu'un concurrent vienne leur tailler des croupières en alignant une voiture qui ne répond à aucun règlement ? Surtout qu'il s'agit d'une récidive ! Car là est tout le problème et la limite de l'intérêt technique de ce programme. En évoluant hors règlement, on peut faire tout et n'importe quoi sur le plan technique, puis être tout aussi artificiellement bridé par le législateur afin de ne pas mettre « tout le monde d'accord » sur la piste... L'ACO, dans un communiqué, se félicite de l'engagement officiel de Nissan au Mans. On imagine qu'il pouvait difficilement en être autrement. L'affiche n'en sera que plus belle et la vente de billets pourrait connaître une nouvelle embellie. Mais on peut douter que les « adversaires » soient tout autant réjouis même s'ils feront probablement bonne figure en public. Ils auraient sûrement préféré pouvoir affronter Nissan à la loyale. Et auraient même accepté une défaite dans de telles conditions. Or là, il suffit à Nissan de lancer un véhicule possédant de nouveau un look différent et attirant pour gagner son pari. Et de pouvoir affirmer, quoi qu'il arrive par la suite, que la toute première voiture à avoir disputé les 24 Heures du Mans en étant uniquement propulsée par des électrons en mouvement, était une Nissan. Qui se souviendra, dans le grand public, unique cible du constructeur, que cette auto n'était pas classée ? 50 ans plus tard, on parle encore de la Rover à turbine qui portait le numéro 00. Pourtant, aucune voiture de série n'a jamais utilisé cette technologie. L'argument technologique est donc plus que limite. Et l'on sait encore aujourd'hui, tous les doutes que l'on peut avoir concernant la voiture électrique et son soit-disant respect de l'environnement. Dans 50 ans, on parlera peut-être encore de cette R392E (appellation absolument officieuse ;) ) mais on ne roulera peut-être toujours pas en masse à l'électrique... Le sport est loin dans tout ça, loin derrière les impératifs publicitaires... Et l'ACO se doit de ne pas prêter le flan à la critique auprès des concurrents qui eux, jouent le jeu tout au long de l'année.

1997_Nissan_R390_GT1_22Car c'est là, l'un des autres grands enseignements de cette annonce. Oui, Le Mans a une aura hors-norme qui attire encore et toujours les constructeurs avides de retombées et de notoriété. Non, le WEC n'a pas encore l'attrait que ses géniteurs souhaiteraient lui donner. Nissan n'a pas choisi de disputer la saison complète du Championnat du Monde. Ils ne viendront que pour profiter des sunlights de son fleuron; laissant le soin aux autres d'assurer la saison. Certes, il faut donner du temps au temps et laisser ce championnat grandir. Mais il faut aussi reconnaître que le Garage 56 offre une belle porte dérobée à un constructeur pour bénéficier de l'évènement manceau sans s'imposer de partir en vadrouille sur trois continents, une porte dérobée dont on peut se demander si elle est encore nécessaire.

Faut-il maintenir le Garage 56 ?

1998_Nissan_R390_GT1_31Le règlement 2014 fait la part belle à la technologie. C'était un choix quasiment incontournable pour faire revenir les usines et il semble porter ses fruits. L'hybride y sera indispensable pour briller. Et c'est un domaine tellement vaste que chacun peut y trouver son bonheur pour se distinguer de ses concurrents. L'électrique 100% aurait forcément fini par y être légiféré. Nissan a anticipé le mouvement avec l'aval de l'ACO. Mais il aurait tout de même été préférable que l'engagement du 6ème constructeur mondial se fasse dans un cadre légal, quitte à ce que la mise en place de celui-ci soit anticipée (ce qui ne n'est pas synonyme de précipitée). Nissan s'engage via cet engagement, à fournir des données permettant à l'ACO et à la FIA d'évaluer la possible intégration de cette technologie dans le règlement. Or il n'a pas été utile de disposer de telles données pour admettre les hybrides au départ de l'épreuve. Les moteurs électriques et leurs accessoires sont-ils si récents que cette étape s'avérait indispensable ? Certainement pas...

Nissan se plait à dire qu'ils sont là ou on ne les attend pas. Or avec un tel engagement au Mans en 2014, on les attend forcément au Mans en 2015. Si on pousse la logique jusqu'au bout, voire jusqu'à l'absurde, la firme n'y sera donc pas... Elle aura peut-être envie de prouver que l'électrique peut traverser un désert de sable sud-américain ou dévaler les pentes enneigés du Monte Carl' ce qui, d'ailleurs, n'aurait rien d'infamant. Le communiqué officiel de Nismo contient une déclaration d'intention concernant l'avenir de l'engagement de la marque au Mans. Soit. Acceptons-en l'augure mais rien n'est gravé dans le marbre non plus. Le seul véritable engagement pris par Nissan est « un engagement continu envers la performance et l'innovation via le sport automobile ». Rien qui ne lie fermement la marque au Mans, à court ou moyen terme. Et n'oublions pas que si Nissan est en position de revenir en 2014 avec l'adoubement de Mr Ghosn, c'est tout simplement parce qu'il y a 13 ans, ce même Mr Ghosn avait décidé purement et simplement du mouvement inverse, coupant l'herbe sous le pied de la R391 !

Alors oui, nous nous réjouissons du retour officiel de Nissan. Nous nous réjouissons mais nous restons sur nos gardes...

Laurent Chauveau

(*) : 2-3 ? Si vous ne le saviez pas, 2 se dit Ni en japonais et 3 se dit San. Voilà pourquoi les Nissan de compétition ont porté, aussi souvent que possible, le numéro 23 en compétition et notamment au Mans ;) Plus d'infos ici.

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