Règlement LMP1 2014 : vers l'efficacité énergétique... Imprimer Envoyer
Mercredi, 28 Novembre 2012 19:51

Après l'étude de la cosmétique abordée dans un précédent article, passons à l'étude des tripes ! Si on a déjà vu que l'esthétique des protos LMP1 2014 n’évoluera que dans une assez faible proportion, on peut dire que les modifications du règlement dans le domaine mécanique sont bien plus profondes. Vous le savez tous déjà si vous suivez un minimum l'endurance, la limitation de la puissance des voitures ne va plus se faire par un arbitraire système de bride d'air à l'admission mais par le biais d'un contrôle de la quantité d'énergie mise à disposition du moteur thermique. Soucieuse de laisser leur pleine place aux nouvelles technologies, l'ACO et la FIA autorisent toujours la mise en place de systèmes hybrides aux côtés de la propulsion thermique classique. Les concurrents pourront ainsi choisir d'allier au maximum deux systèmes hybrides différents au moteur 4 temps. Ce contrôle de l'énergie entrante se fera par celui de la consommation de carburant. Que votre moteur thermique fonctionne au gazole ou à l'essence, qu'il soit assisté d'un système hybride ou non, il verra sa voracité contrôlée de près par un boitier électronique délivré par la FIA. De quoi faire disparaître le sentiment d'équilibre arbitraire entre l'essence et le diesel qui a tant fait parler au cours de ces dernières années ? Sur le papier, oui. Dans les faits ? Pas si sûr. Voyons pourquoi...

 

Une équivalence toujours indispensable...

th_Avant_R18_e-tronMettre sur un pied d'égalité deux moteurs différents, utilisant deux carburants aux propriétés différentes n'est pas une tache aisée. Le gazole est un carburant qui s'enflamme spontanément sous des conditions de pression et de température que l'essence ne peut supporter sans s'auto-inflammer. De plus, le pouvoir calorifique du gazole est supérieur à celui de l'essence. C'est à dire qu'un litre de gazole contient plus d'énergie qu'un litre d'essence (38 Méga Joule/litre contre 35,5). De par les spécificités de leur carburants, les deux types de moteur offrent également des caractéristiques différentes. Le moteur diesel est très coupleux mais n'a pas beaucoup d'allonge. Le moteur essence tourne plus vite et est plus léger. En terme de rendement (le rapport entre l'énergie consommée via le carburant et celle qui est restituée via le groupe moto-propulseur) l'avantage va nettement au diesel qui, dans le cadre de la voiture de série par exemple, dépasse nettement les 40% tandis que l'essence reste largement au-dessous de cette valeur. Des caractéristiques aussi différentes nécessitent donc, pour les mettre sur un pied d'égalité sportif, de les ajuster sur le plan technique. Qu'on le veuille ou non, on est obligé, une nouvelle fois d'en repasser par une équivalence essence-diesel, équivalence qui implique des choix de coefficients plus ou moins objectifs ! Équivalence à laquelle on doit ajouter celle d'une hybridation à plusieurs étages possibles, au choix du concurrent... Je vous mets deux Doliprane ?

En intégrant tous ces paramètres, les législateurs ont établi un tableau d'ajustement spécifiant la consommation de carburant maximale qui sera autorisée pour chaque tour de piste, en fonction de la configuration de votre auto. Et il est clair que le règlement va très sérieusement pousser les concurrents à réduire la consommation de leurs autos. Ainsi, on sait que l'Audi R18 e-tron quattro n°1 victorieuse au Mans a consommé 33,34 l/100 km. La future Audi R18 Ultra de 2014, si elle existe, devra se contenter au mieux de 29,24 l/100 km. Mais si une R18 e-tron quattro, greffée d'un système hybride porté à 8 MJ/tour (soit le maximum autorisé), devra descendre sa gourmandise à 26,13 l/100 km soit une réduction de 22% par rapport à cette année ! Bien évidemment, il ne faut pas croire que la réduction de performance sera du même ordre. Tout d'abord parce que les ingénieurs ne cessent de faire progresser leurs autos. Mais également en raison de la puissance des moteurs électriques que vont autoriser de tels niveaux de stockage d'énergie. 8 MJ au Mans en 2014 contre 7 fois 0,5 MJ en 2012, c'est plus de 2 fois plus. Sans qu'il ne vous soit de plus, assigné une zone spécifique ou vous pourrez récupérer cette énergie. Autrement dit, si technologiquement parlant, votre ERS (Energy Recevory System ou système de récupération d'énergie) sait récupérer l'intégralité de ces 8MJ sur les 4 très gros freinages du Mans (soit 2MJ pour chaque chicane des Hunaudières, 2 à Mulsanne et 2 à Indy-Arnage), vous pouvez envoyer un maximum de puissance électrique sur les longues lignes droites qui suivent, là ou c'est le plus important, et vous contenter de la puissance thermique sur les autres portions du circuit. Bref, les constructeurs pourront certainement mettre en œuvre des moteurs électriques plus puissants qu'en 2012 et agissant plus longtemps mais moins fréquemment. Cela risque de pousser encore plus fort dans le dos des pilotes malgré une probable réduction de la puissance des moteurs thermiques...

Les privés obligés de passer à l'hybride ?

Mais si les voitures hybrides ne risquent pas trop de voir leur niveau de performance baisser, en sera-t-il de même avec les voitures des privés ? (si tant est que des privés tentent encore l'aventure du P1 en 2014...) Effectivement, le tableau d'ajustement d'énergie autorise les voitures à motorisation thermique à consommer plus que les hybrides, ce qui permet en théorie, des moteurs essence ou diesel plus puissants. Mais il peut sembler douteux que les 12% de consommation d'énergie supplémentaire autorisés à ces non-hybrides, alliés à un allègement de 20 kg (850 kg sans ERS, 870 avec) leur permettent de compenser les 300 ou 400 chevaux électriques dont disposeront les usines les mieux équipées. Autre problème, le tableau n'est pas très cohérent quant à la capacité des réservoirs de carburant. Tout le monde sera sur un pied d'égalité : 64,4 litres en essence, 53,3 en diesel. Et ce QUELLE QUE SOIT votre option hybride. Que vous ayez choisi la version 0 MJ, 2 MJ, 4 MJ, 6 MJ ou 8 MJ, même topo, vous n'aurez droit qu'à 64,4 litres avec un moteur essence ! Or, il est évident qu'en autorisant les non-hybrides à consommer plus à chaque tour, ils videront plus vite leur réservoir. Donc ils devront passer plus souvent à leur stand ! Même si leur niveau de puissance leur suffit pour rester dans la roue des usines, les privés n'y resteront pas longtemps car ils devront revenir rapidement aux stands pour faire le plein et l'écart se recreusera naturellement. On peut alors se demander ou serait l'intérêt, même pour un privé, de faire le choix de la catégorie sans ERS. Et faire le choix de monter un système hybride représentera un inévitable surcoût... Bref, malgré la bonne volonté qui semble avoir présidé lors de la rédaction de ce règlement envers les privés, on peut douter qu'il leur permette de jouer un rôle réel dans la course surtout avec l'escalade technologique qui s'annonce.

th_Avant_TS030Et si l'équilibre privés-usine de ce règlement semble douteux, qu'en est-il de celui entre les essences et les diesels ? Sincèrement, il faut être ingénieur pour avoir les idées claires sur ce sujet et je ne le suis pas. Il faut avoir la capacité de faire les calculs d'équivalence soi-même, sans se laisser influencer par les discours des uns et des autres, ce qui suppose d'être un véritable motoriste expérimenté. Mais une chose est sûre, il y a et il y aura toujours une équivalence à définir pour égaliser les chances des uns et des autres. Et qui dit équivalence dit possibilité de prêter le flanc à la critique. Que cette dernière soit de bonne ou de mauvaise foi... Or, peu de temps après les 24 Heures 2012, le président de TMG, Yoshiaki Kinoshita, a rué dans les brancards (voir ici). Il disait que les objectifs de consommation pour les moteurs essence imposait d'atteindre un rendement de 41,5% pour être compétitif ce qui est un rêve. Il ajoutait que les diesels pouvaient se contenter d'un rendement de 42% ce que l'on atteint depuis plus de 20 ans. Voilà pourquoi il avouait avoir tapé du poing sur la table lors des meetings avec la FIA et l'ACO. Est-ce cela qui explique le retard pris dans l'officialisation de ce règlement ? Des tractations encore en cours entre les diverses parties ? Car n'oublions pas que l'étude menée ici porte sur un texte non encore figé. Alors qu'il devait l'être peu après les 24 Heures 2012. Souhaitons en tout cas que le texte final ne souffre pas la moindre critique. L'avenir de l'endurance passe par là...

Arriere_DomePour ce qui est du moteur thermique lui-même, le règlement fait dans le classique. L’architecture et la vitesse de rotation sont libres tout comme la cylindrée pour les hybrides. Etant entendu qu’il est très peu probable de revoir des gros moteurs dans ces voitures avec l’apport de l’électrique, il était inutile de limiter la cylindrée. Sans ERS, la cylindrée sera limitée à 5,5 litres ce qui redonne toute sa place au V10 Judd GV 5.5, un moteur plus fiable que le V8 DB 3.4 actuel. Les moteurs, essence et diesel, devront être des 4 temps, n’auront pas droit à plus de 4 soupapes par cylindre et ne pourront pas être équipés de commande électromagnétique des soupapes. Un système de calage ou de levée variable des soupapes est également proscrit. Ce dernier point est probablement un peu regrettable dans le cadre d’un règlement visant une grande efficacité énergétique mais il l’est peut-être moins du point de vue du coût. Les turbos à géométrie variable ne semblent plus être interdits, la pression est quant à elle limitée à 4 bars. Les échappements soufflés dans le diffuseur sont toujours bannis et leur sortie doit se situer au moins 300 mm en amont du bord de fuite de celui-ci. Ceci a pour but d’éviter une interaction entre l’échappement et la vitesse de circulation de l’air dans le diffuseur qui en augmentant, accroit l’efficacité de celui-ci.

De la fumée et du bruit ?

Les tubulures d’admission à longueur variable sont autorisées de même qu’un système anti-calage. Les pilotes redémarreront donc des stands sans soucis. La pression d’injection est libre et des systèmes d’allumage sophistiqués sont autorisés (laser, plasma ou hautes fréquences). Plus étonnant, en l’état actuel du texte, il n’y a plus de contrôle du bruit des moteurs ni des émissions de fumée ! Parions sur un retour rapide de ces mesures au sein d’un texte qui n’est, rappelons-le, pas définitif… Notez également que les carburants seront désormais à 20% bio en essence, 10% en gazole.

Le système de contrôle de la consommation fourni par la FIA devra être facilement accessible en vue d’un éventuel changement en cours d'épreuve ou de séance d'essais. Il sera donc opérationnel en permanence même lors des essais. Impensable de revoir, comme à l’époque des Groupe C, les voitures à moteur turbo pousser le boost à fond afin de sortir un chrono de qualif. Ou comme en 1985, de voir en course, un Jacky Ickx ressortir des stands après réparation et tourner 10 secondes plus vite que tout le monde car le long arrêt pour réparation l’a certes retardé, mais lui a également permis de se recaler en consommation. Non là, le contrôle sera permanent. Le règlement technique ne fait pas apparaître la façon dont sera contrôlée cette consommation ni les sanctions appliquées en cas de dépassement. Cela sera l’objet du règlement sportif. Cependant, il semble que la tendance porte vers un contrôle sur trois tours glissants. Autrement dit, si un pilote surconsomme lors du tour N pour quelque raison que ce soit, il dispose des tours N+1 et N+2 pour se recaler et revenir dans les critères.

pas d'ERS options ERS
Energie restituée
MJ/tour 0 < 2 < 4 < 6 < 8
Puissance restituée
kW 0 Illimitée Illimitée Illimitée Illimitée
Masse de la voiture kg 850 870 870 870 870
Energie essence MJ/tour 148,00 143,50 139,00 134,50 132,20
Conso au tour l/tour 4,95 4,80 4,65 4,50 4,42
Conso au 100 km l/100 km 36,32 35,21 34,11 33,01 32,44
Capacité du réservoir l 64,40 64,40 64,40 64,40 64,40
Energie gazole MJ/tour 140,3 138,4 134 129,7 125,4
Conso au tour l/tour 3,99 3,93 3,81 3,68 3,56
Conso au 100 km l/100 km 29,24 28,85 27,93 27,03 26,14
Capacité du réservoir l 53,3 53,3 53,3 53,3 53,3

Pour ce qui est du système hybride, les constructeurs auront droit à deux ERS différents par auto, au maximum. Exemple : un système récupérant l’énergie de freinage et l’autre la chaleur du moteur. Les niveaux d’énergie sont donc de 2, 4, 6 ou 8MJ d’énergie restituée par tour mais ces valeurs ne sont valables qu’au Mans. Une fois que vous aurez opté pour l’une de ces options, vous ne pourrez plus en changer durant le reste de la saison. Sur les autres circuits du championnat, les tranches ne seront que de 1,5 MJ avec un maxi à 6MJ/tour. De même, les chiffres de consommation donnés dans le tableau ne sont valables qu’au Mans et seront précisés ultérieurement pour les autres circuits. (Le tableau d'origine ne donne que des consos en énergie au tour. J'ai converti cela en litres d'essence par tour et aux 100 km, valeurs qui nous parlent plus...)

7 rapports, 4 roue motrices électriques, c'est possible !

Pour ce qui concerne la transmission, la grosse nouveauté vient de l’acceptation de boites à 7 rapports. Il n’est pas sûr que cela soit très intéressant en diesel mais ça pourrait constituer un apport non négligeable pour les essence. Les boites à double embrayage semblent interdites par le fait que deux rapports de boite différents ne peuvent pas être engagés au même moment. D'ailleurs, les passages de vitesses instantanés sont interdits. Seules les boites séquentielles ou à grille en H sont autorisées. Les carters en carbone, tel que celui de la R18 cette année, sont toujours admis.

Audi_R18_boost_modeLes transmissions automatiques et à variation continue sont interdites. Si l'embrayage peut être assisté, cela doit toujours se faire sous l'impulsion et à la demande du pilote. Le moteur thermique ne doit entrainer qu’un seul train de roues par contre, rien n’empêche l’électrique d’agir éventuellement sur les 4 roues si l’équipe le souhaite. Si Audi souhaite poursuivre avec son système quattro, c’est réglementairement possible. Par contre, les 4 roues directrices demeurent interdites. Le différentiel devra être purement mécanique ou se faire via un visco-coupleur.

Au rayon du freinage, des étriers à 6 pistons maximum seront admis. L’assistance de freinage ainsi que les systèmes anti-blocage sont toujours interdits. De plus, l’ERS ne doit pas apporter d'aide au freinage. Il doit respecter la répartition de freinage décidée par le pilote et assurer un freinage symétrique droite-gauche. Donc il ne peut pas constituer une aide au contrôle de trajectoire ou du glissement des roues… Questions de sécurité bienvenues, des câbles de rétention des roues sont désormais obligatoires alors qu’une crash-box doit faire son apparition derrière la boite de vitesses.

Comme vous pourrez le constater en consultant ce draft 4 du règlement, la masse mini, fixée pour les voitures hybrides l’était à 850 kg. Depuis, il semble que cette valeur ait été revue à la hausse soit 870 kg, les voitures privées d’ERS passant à 850 kg (ou restant à 830 suivant les sources ! ). Est-ce pour permettre à certains de placer leur deux ERS sans risquer de dépasser le poids mini ? La question est posée. Reste que cela prouve que ce texte est vivant, et encore en cours de négociations. D'ailleurs, les teams sont depuis peu en possession du draft 5. Une relecture du texte définitif s’imposera donc pour situer les évolutions…

Laurent Chauveau