Pascal Vasselon, Toyota : "Plus le droit à l'erreur..." Imprimer Envoyer
Samedi, 05 Mai 2012 08:22

Pascal_VasselonMercredi, au sommet du raidillon a eu lieu une séance photo un peu spéciale. La Toyota TS030 HYBRID y posait pour les objectifs, parée d'une robe nouvelle et plus sophistiquée, plus dans l'air du temps que celle présentée en janvier et qui ne courra donc jamais. Jeudi, c'était au tour de l'aéropage Toyota d'être présent dans les Ardennes belges, notamment Pascal Vasselon, le directeur technique de TMG. Grâce à lui, faisons plus ample connaissance avec la descendante de TS010 et TS020 alias GT-One...

Pascal, pouvez-vous préciser un peu ce qu'il s'est passé lors de cet accident survenu au HTTT ?

« Il pleuvait à verse mais nous avons décidé de rouler tout de même car l'expérience était intéressante. Et nous avons subi un petit problème d'étanchéité dans un boitier électronique. Lors d'une phase de freinage, cela a perturbé la gestion électronique de celui-ci. Car avec une voiture hybride, il y a deux phases de freinage distinctes. Celles ou l'on freine en récupérant l'énergie pour recharger le système d'accumulation, en l'occurrence, nos super-condensateurs. Puis celle ou le système étant rechargé, l'électronique passe en mode freinage 100% classique. Et cette transition est contrôlée par électronique. Avec l'humidité qui s'est infiltrée, le système est passé en mode « défaut » soit un freinage uniquement sur les roues avant et Nicolas n'avait subitement plus assez de puissance de freinage pour s'inscrire dans la courbe. Il a pu freiner mais pas suffisamment. Il n'est en rien coupable. Il a tapé à environ 100 km/h. 70% de la voiture était intacte mais les ancrages de suspension ont percé la monocoque à l'avant gauche... »

Toyota_TS030Il était assez surprenant d'apprendre que vous ne disposiez alors que d'une seule coque...

« C'était une surprise pour vous, pas pour nous ! (Rires) N'oubliez pas qu'originellement, notre programme 2012 était assez léger car il s'agissait d'une simple année d'apprentissage. Une année d'apprentissage avec un budget faible et nous savions donc dès le départ que, durant un certain laps de temps, nous ne disposerions que d'une seule monocoque. Ensuite, après le retrait de Peugeot, nous sommes montés en puissance mais il nous faut le temps de fabriquer les pièces. Car à la différence de nos adversaires qui achètent une grande partie de leurs éléments chez des sous-traitants, nous fabriquons nous-mêmes 80% de nos pièces. Et cela monte à 85% dans le domaine des composites. La monocoque est faite chez nous et nous ne pouvons en fabriquer qu'une seule à la fois.. Cela nécessite 10 semaines. Nous ne pouvions pas soudainement employer 15 personnes pour accélérer la cadence. Si vous achetez vos coques chez un sous-traitant, vous pouvez aller plus vite, si vous y mettez le prix. Mais nous, nous ne le pouvions pas. »

Vous n'en avez pas profité pour modifier certaines parties de la coque ?

« Non, nous n'avions absolument pas le temps pour cela. Il fallait absolument nous précipiter pour terminer la nouvelle coque donc ce sera exactement la même. »

La seconde voiture sera-t-elle finie à temps pour la Journée Test ?

« A ce jour, c'est un peu tôt pour le savoir. Pour la course, nous sommes désormais confiants quant à la présence de la seconde voiture. Mais pour la Journée Test, nous ne pouvons pas encore le dire. Cela paraît cependant difficile... »

Vous n'aurez donc aucune coque en réserve donc pour les 24 Heures ?

« Non. Si nous subissons un autre accident, il n'y aura qu'une seule voiture en course... »

Pensez-vous être prêt pour Le Mans malgré ce contre-temps ?

« Notre but est d'être compétitif en tout cas. Nous n'avons pas pour but de gagner le Mans cette année. Mais nous voulons disposer de la voiture hybride la plus rapide. Quant à finir la course, c'est une autre histoire. Mais il nous reste deux tests d'endurance à effectuer ce qui portera à quatre le nombre de simulations de 24 heures que nous aurons faites d'ici Le Mans. La première aura lieu la semaine prochaine à Aragon, la suivante au Paul Ricard à la fin du mois de mai. Une simulation est un bon entrainement car contrairement aux séances d'essais, nous plaçons effectivement le team sous pression comme en course et les éventuelles réparations doivent être effectuées au même rythme qu'en course. D'autre part, nous entrainons régulièrement notre personnel pour ce qui concerne les arrêts aux stands. Donc nous serons aussi prêts que possible. Après, les tests ne peuvent pas nous préparer à tout et c'est pour cette raison que nous souhaitions absolument participer à au moins une course avant Le Mans. Malheureusement, nous en sommes privés. »

Vous privilégiez la vitesse à la fiabilité donc ?

« Nous ne négligeons pas la fiabilité, bien entendu. Mais en effet, nous souhaitons avant tout être compétitifs, rapides. »

Toyota_TS030Pouvez-vous nous parler un peu du nouveau package aérodynamique que vous avez amené ici mercredi pour une séance photo dans le raidillon ?

« Celui avec lequel nous avons débuté nos tests était un package générique, je dirai. Il nous a permis de découvrir ce qu'était une LMP1, d'éprouver la mécanique, notre système hybride, etc... Maintenant, nous disposons vraiment d'un réel package pour la course. La principale évolution vient du splitter pour lequel nous nous sommes éloignés des standards habituels en prototype pour nous rapprocher de ce qui se fait en F1 car il agit comme un aileron. Ensuite, ce sont des détails qui nous ont permis de réduire la trainée tout en augmentant l'appui. La voiture est tout simplement plus développée et comme souvent, une voiture plus développée semble un peu plus agressive. Et encore, celle qui est venue ici mercredi ne disposait pas encore des tous derniers détails... »

L'étude de ce nouveau package n'a pas débuté après les premiers essais en piste de la TS030 HYBRID ?

« Non, vous savez, le développement aérodynamique nécessite du temps. Donc, l'étude avait débuté plusieurs mois auparavant. »

Avant que vous n'ayez la moindre expérience en piste ?

« Oui, nous le devions. Mais vous avez, en terme de développement aéro, ce n'est pas si difficile de se fixer des cibles à atteindre qui ne changeront pas après des essais sur piste : Trainée, appui, constance de l'appui en courbes par exemple. Les tests vont nous permettre de modifier légèrement l'équilibre aéro mais pas le concept global, ni les grandes données qui nous permettent de mener l'étude. »

Concernant la propulsion électrique, avez-vous fait votre choix concernant son emplacement : roues avant ou roues arrières ?

« Nous avons décidé de propulser l'arrière de l'auto. Les moteurs, refroidis par un liquide, sont placés sur la boite de vitesses. Cette solution est moins pénalisante sur le plan du poids ainsi que sur celui de l'aéro. Car avec un moteur électrique propulsant les roues avant, l'arbre de transmission vient forcément interférer avec le flux aéro. De plus, je suis en désaccord avec l'argument voulant que les quatre roues motrices sont plus efficaces sur le mouillé, surtout avec ce point du règlement voulu par Peugeot, qui stipule que la puissance électrique ne peut pas être envoyée sur les roues avant au-dessous de 120 km/h. Cela annihile presque complètement le seul avantage des quatre roues motrices qui serait la qualité de la propulsion. Car au-dessus de 120 km/h, les roues arrières ne sont quasiment plus « saturées » et on peut envoyer la puissance maximale... »

Toyota_TS030Quand avez-vous pris cette décision ?

« Début février. Nous l'avons prise très tôt car nous voulions mener le plus vite possible, le développement de l'auto avec la version définitive du système hybride. »

Donc vous avez effectivement essayé le système à l'avant ?

« Oui, tout à fait. D'ailleurs, si nous faisons des modifs sur la coque pour 2013, la priorité sera de supprimer les ancrages des moteurs électriques à l'avant... »

La carrosserie première version était donc compatible avec la présence d'un arbre de transmission à l'avant ?

« Tout à fait, c'était avec la même carrosserie. »

Audi a préféré un système de récupération d'énergie à roue d'inertie. Vous avez préféré les super-condensateurs. Pour quelle raison ?

« Pour nous, les supercondensateurs offrent la meilleure densité de puissance et c'est là le plus important. Le règlement fixe une limite à la quantité d'énergie récupérable lors d'un freinage : 500 kJ. Nous savons combien de temps dure un freinage. Nous en déduisons la puissance nécessaire. Et pour ce niveau de puissance, nous voulons le poids le plus bas possible. Les supercondensateurs sont la réponse à cette problématique avec de plus, une garantie de fiabilité dont nous nous satisfaisons. Car à la différence d'Audi, nous connaissons ce système de longue date. Nous l'utilisions déjà dans nos Supra hybrides. Mais tout évolue très vite dans ce monde de l'hybride et la vérite d'un jour n'est pas celle du lendemain. Aujourd'hui, les batteries sont trop lourdes et ne restituent pas assez vite l'énergie. Par contre, elles peuvent en stocker beaucoup plus que les supercondensateurs. Pour récupérer toute l'énergie de freinage sur durées aussi courtes, cela nécessite trop de batteries et le poids s'en ressent. Mais d'ici deux-trois ans, une nouvelle génération de batteries, actuellement en développement, prendra probablement le dessus sur les condensateurs. »

Toujours en comparant à Audi, ils utilisent deux moteurs électriques puissants (environ 100 chevaux chacun) en vidant donc assez vite la réserve d'énergie. Avez-vous fait un choix semblable ou non ?

« Nous ne communiquons pas les chiffres de puissance de notre système électrique. Mais vous savez, ce qui dimensionne sa puissance, ce n'est pas l'accélération mais le freinage. Parce que à l'accélération, libérer l'énergie dont on dispose en deux secondes ou quatre ne fait pas une grosse différence. Il est certes toujours préférable de lâcher les chevaux le plus tôt possible car on atteint ainsi plus vite une vitesse supérieure que l'on emmène sur toute la ligne droite. Mais cela reste un avantage de second ordre. Par contre, ce que l'on récupère, c'est une énergie de freinage et celui-ci dure deux secondes. On a donc deux secondes pour récupérer tout ce qui est possible. C'est donc le freinage qui dimensionne la puissance. Un exemple : un pilote sait qu'il va avoir du trafic à la sortie d'une courbe. Il va donc préférer un freinage moins tardif mais plus long au cours duquel, il va pouvoir emmagasiner plus de puissance et donc mieux ressortir de la courbe et effacer le trafic devant lui. Ce système va changer notre approche du trafic. »

Sur le circuit du Mans, parviendrez-vous à accumuler les 500 joules autorisées sur chaque freinage ?

« Sur les gros freinages, oui, nous n'en sommes pas très loin. Mais sur les petits freinages, non, pas encore. Le Mans se prête bien toutefois à cet exercice car il comporte de gros freinages. »

Pascal_VasselonAujourd'hui, la réglementation vous limite ? Vous pourriez en récupérer encore plus sur les gros freinages ?

« Oui, nous le pourrions, nous finissons par laisser fuir une énergie récupérable. Mais le règlement 2014 devrait nous permettre d'en stocker deux fois plus. »

En cas de panne du système électrique, la voiture sera-t-elle contrainte à l'abandon ?

« Cela dépend du type de panne. Nous avons une liste des pannes possibles dont certaines stopperont définitivement la voiture, d'autres permettront de poursuivre la course. Ce qui est sûr, c'est qu'en cas de panne irrémédiable du système de récupération d'énergie, la première chose que nous devrons faire sera d'ouvrir les prises d'air pour les freins arrière alors qu'elles sont fermées lorsque le système fonctionne. Car celui-ci absorbe une grande partie de l'énergie de freinage donc nous fermons pour laisser la température monter tout de même à son point de fonctionnement optimum. En cas de panne, il faudra ouvrir... »

Quel seront vos objectifs de travail lors de la Journée Test du Mans ?

« Tout d'abord, cela dépend de la présence effective ou non de la seconde voiture. Nous devons qualifier deux de nos pilotes qui n'ont jamais roulé au Mans. Ensuite, nous définirons notre set-up aéro. Je suis moins inquiet pour le set-up mécanique qui en général, peut être défini de manière assez fine sur nos bancs de simulation. Puis nous devrons travailler sur les pneus. Car Le Mans est très spécifique. Vous travaillez au Paul Ricard, à Aragon, etc... Puis vous arrivez au Mans et vous oubliez tout ce que vous avez appris... »

Laurent Chauveau