Toyota : une seule « Coque en Stock » ? Imprimer
Mercredi, 11 Avril 2012 21:50

C’est la mauvaise nouvelle du jour, de celles qui attristent un fan d’endurance : la Toyota TS030 HYBRID ne débutera pas en compétition lors des prochaines 6 Heures de Spa-Francorchamps comme attendu et annoncé. Le récent accident survenu lors de tests au HTTT Paul Ricard en est la cause officielle comme en atteste le communiqué : « Durant des tests qui se sont déroulés sur le circuit Paul Ricard, le mercredi 4 avril, la TS030 HYBRID a subi un accident qui a endommagé la seule monocoque de l’équipe. Malheureusement, ces dégâts sont trop sérieux pour être réparés ; une monocoque de rechange ne peut être réalisée et suffisamment testée pour en assurer la complète fiabilité dans le temps, limité, disponible à ce jour. » La grande classique belge perd malheureusement là une bonne partie de son intérêt…

La TS030 débutera donc directement en course lors des 24 Heures du Mans : voilà un sacré challenge pour l’équipe nippo-germano-française. Peugeot en 2007 avait participé à deux courses de 1000 km avec deux voitures (Monza et Valencia) avant de venir affronter le double tour d’horloge. Toyota n’aura pas ce luxe, loin s’en faut, et l’on peut même penser que la TS030 aura couvert au moins deux fois moins de kilomètres préparatoires que la 908 en son temps qui pourtant, avait peiné pour boucler la distance. Voilà qui ne peut que donner quelques inquiétudes quant au niveau de préparation du seul challenger réel d’Audi.

Si les arguments de sécurité invoqués par le communiqué sont parfaitement admissibles, voire totalement recevables, l’excuse officielle ne va toutefois pas sans poser questions. Notamment lorsque l’on évoque le fait que TMG ne dispose à ce jour que d’une seule coque. Voilà qui donne sérieusement à réfléchir…

Une seule coque à deux mois du Mans ?

On sait que Toyota a prévu d’aligner deux TS030 HYBRID au Mans. Or moins de deux mois avant la Journée Test, le second constructeur mondial ne disposerait que d’une seule monocoque carbone ? Cela est vraiment étonnant. Surtout lorsque l’on sait que chez Peugeot Sport au début 2011, les nouvelles coques arrivaient au rythme d’une toutes les 6 semaines. On se dit que TMG ne sera pas bien riche en coque de rechange au mois de Juin et que la prudence devra être de mise lors de la Journée Test pour ne pas mettre en péril la participation des deux autos à la course. Ou alors, on peut également se dire que deux autos au Mans, surtout pour un baptême en compétition, c’est peut-être une de trop à ce stade du programme pour TMG. Enfin, on peut également se dire que TMG bluffe un peu...

Et si l’on se refuse de croire à cette possibilité de la coque unique, alors on peut se laisser aller aux supputations. On peut tenter de chercher le non-dit de ce communiqué pour autant qu'il y en ait bien un. On peut se lancer dans des délires. Du plus optimiste pour TMG au plus pessimiste pour l’endurance…

Trop rapide pour être montrée ?

L’hypothèse la plus optimiste est également probablement la plus farfelue. Et si Toyota, au vu des premiers essais avait décidé de cacher son jeu ? Et si la nouvelle équivalence essence-diesel, décidée au cœur de l’hiver par l’ACO et la FIA suite aux résultats de 2011 mais en l’absence d’engagement d’usines en essence, avait fait un peu trop pencher la balance dans l’autre sens, comme le clame Audi Sport depuis plusieurs semaines ? Et si la TS030 s’avérait bien être la « tueuse de diesel » attendue ? TMG n'aurait-il alors pas intérêt à bouder la Belgique, de façon à ne pas montrer son plein potentiel au législateur avant la Journée Test ? L’argument vaut ce qu’il vaut et peut tout aussi facilement être démonté. TMG, à court d'expérience récente, avait tout intérêt à découvrir sa TS030 en conditions de course avant de prendre le départ du Mans. La compétition apporte toujours des enseignements que les tests occultent : Peugeot Sport à plusieurs reprises, Audi Sport en 2009 l’ont prouvé à leur dépens. De plus, Kazuki Nakajima aurait également gagné à découvrir le trafic propre aux courses d'endurance, lui qui débute dans la discipline. Restons donc réalistes, cette hypothèse apparaît assez peu probable.

La seconde hypothèse confine au procès d'intention. Je la manipulerai donc avec moultes précautions. Et si l'intérêt de Toyota pour le WEC était tout relatif ? Et si Toyota ne mettait pas dans ce retour exactement toute l'énergie, toutes les forces vives dont il peut disposer ? Certes, le constructeur a récemment perdu son statut de leader mondial fraichement acquis au profit de General Motors mais il n'en reste pas moins très puissant, plus que le groupe PSA par exemple. Or si l'on compare de nouveau, l'entrée en matière de TMG cette année à celle de Peugeot Sport en 2007, elle apparaît plus timorée. Certes, Toyota débarque en pleine « période de transition » réglementaire. Dès lors, on comprend que le constructeur ne mette pas immédiatement sa pleine puissance et se donne le temps d'apprendre avant éventuellement, de « mettre le paquet » en 2014. Cela correspond assez bien à la mentalité japonaise. Dans les années 80, les trois constructeurs japonais avait d'ailleurs procédé exactement de cette manière, franchissant patiemment les étapes avant de lancer de véritables programmes d'envergure. Mais on peut également se souvenir de l'aventure de la Toyota GT-One. Dès la première année (1998), Toyota était présent au Mans avec trois voitures et en mesure de jouer la gagne. Pourtant, d'emblée, on savait que le programme ne durerait que deux ans.

Le WEC en attendant mieux ?

On peut donc supposer que Toyota s'est donné le temps d'observer ce qu'allait devenir ce WEC, sans négliger de regarder ce qui se fait ailleurs. Du coup, les rumeurs récentes, laissant penser à un possible retour de la marque en WRC n'en prennent que plus d'ampleur. Le WRC possède de solides arguments face à un WEC débutant. Même si le Championnat du Monde des Rallyes se trouve lui aussi dans une période floue sur le plan médiatique (problèmes avec le promoteur), il peut s'appuyer sur un calendrier pléthorique, comptant nombre de rendez-vous classiques au succès populaire reconnu. Il compte d'ores et déjà deux constructeurs officiellement impliqués, trois si l'on ajoute Mini et pourrait bientôt en voir deux autres. L'offre est donc tentante et le WEC, malgré tout le crédit que nous aimerions lui offrir n'en est pas encore là. Il a perdu l'un de ses deux constructeurs au cours de l'hiver, son calendrier est plus léger, révélé tardivement, un peu bancal. Et si Toyota n'était revenu en endurance que « pour voir » et pour occuper sa branche Motorsport en attendant mieux ? Cela justifierait le plan initial qui ne prévoyait que trois ou quatre courses avec une seule voiture en 2012. Cela justifierait l'apparition relativement tardive de la voiture alors que TMG est dans les starting-blocks depuis l'arrêt du programme F1. Cela justifierait une voiture relativement classique de conception (pour autant que l'on puisse en juger). Cela justifierait un nouveau moteur V8 peut-être pas aussi nouveau que ce que l'on pourrait penser comme le voulaient certaines rumeurs entendues à Sebring. Cela expliquerait que pour l'instant, le programme annoncé ne porte que sur 2012, de même que l'alliance avec Oreca. Cela expliquerait... Mais on peut tout de même douter qu'un constructeur aussi sérieux que Toyota s'engage à moitié. Trop risqué, trop dommageable.

Trop jeune pour être alignée?

La dernière hypothèse est tout simplement technique. Et si TMG avait découvert, suite à cet accident du HTTT, un loup dans la TS030 ? On ne sait pas dans quelles circonstances s'est produit l'accident. On sait juste qu'apparemment, il ne s'agit pas d'une erreur de pilotage donc la cause est d'ordre mécanique ou aérodynamique. Comme le confirme le communiqué, la coque a été touchée au point d'être inutilisable, l'accident est donc sérieux et nécessite une analyse sérieuse de ses causes et conséquences. On peut donc imaginer (et la formulation du communiqué nous conduit aussi à le penser) que TMG n'a voulu prendre aucun risque sur le plan de la sécurité en faisant débuter en course, une voiture encore insuffisamment connue. En cela, un constructeur se distinguera toujours d'un concurrent privé. Dyson Racing a lancé dans le grand bain à Sebring, le mois dernier, sa Lola B12/60, qui n'avait pourtant qu'un simple shake-down pour tout essais. Et ce sur la piste la plus cassante de l'année ! Dans le cas de Toyota, la prudence nippone a peut-être prévalu : la volonté de ne pas faillir a surpassé l'envie de courir. Il y avait peut-être trop à risquer en terme d'image de marque. Le grand perdant de l'affaire est sans conteste le WEC qui débute décidément dans la douleur, malgré un plateau généreux aussi bien à Sebring qu'à Spa. Et il y a un inconvénient majeur à cette troisième hypothèse : nous sommes à neuf semaines des 24 Heures. Est-ce un délai suffisant pour valider les éventuelles évolutions nécessaires ? Si la coque nécessite des modifications comme on pourrait le penser à la lecture du communiqué, reste-t-il assez de temps pour la modifier et l'homologuer ?

Après tant de suppositions, nous nous devons de ne surtout pas oublier un point : Toyota ne devait disputer, en cette saison 2012, que quelques courses afin de redécouvrir l’endurance. C’est le forfait de Peugeot et les « petits arrangements entre amis » qui s’en sont suivis qui ont poussé le constructeur japonais à annoncer son implication en WEC à l’année avec une voiture. Et même à engager une seconde TS030 au Mans. Bref, Toyota a dû prendre au pied levé, un rôle auquel il ne s’était pas prédestiné, celui de challenger d’Audi. Toyota a dû mettre, dans tous les domaines, la barre un ou deux crans plus haut qu’initialement envisagé. Notamment sur le plan financier. Quelles que soient notre déception et notre amertume de ne pas découvrir la rouge et blanche hybride dans les Ardennes, quelles que soient nos questions sans réponses, nous ne devons surtout pas oublier que Toyota a accepté de prendre la place laissée vacante par d'autres. Et ce moins d’un an après Fukushima… Cela mérite le respect.

Laurent Chauveau