24 Heures du Mans 2006 LM P1 : analyse et perspectives d'avenir... Imprimer Envoyer
Lundi, 19 Juin 2006 22:55

th_LM2006_Audi_8Les dirigeants d’Audi Sport nous avaient prévenu avant la course : « Il n’y a pas vraiment de point précis concernant la fiabilité des R10 qui nous fasse peur. Nous serons capables en course de reproduire les temps des essais ou presque. » On ne voulait pas les croire. Comme pour mieux se rassurer. Comme pour mieux croire en une course serrée. Car si nous acceptions

d’assister à une victoire Audi, ce que l’on voulait surtout, c’était se délecter d’une vraie baston, voir un combat de tous les instants. Pourtant, ils disaient vrai…

Il n'y avait rien à faire...

L’on se plaisait à penser que les Pescarolo pourraient suffisamment mettre les R10 sous pression afin de les faire craquer, mais les chronos des qualifs étaient explicites : ceux des Pescarolo avaient été réalisés en pneus de qualif, ceux des Audi en pneus de course pourtant les voitures allemandes devançaient les françaises… Et dès le départ, les R10 se sont envolées !

Ne cherchez pas, les chronos secteur par secteur sont parlants. Elles étaient les plus rapides en tout point du circuit ! Que pouvaient donc faire les gaulois face aux germains ? Résister encore et toujours ? C’est ce qu’ils firent. Mais face à une telle force de frappe, il fallait un coup de main de Dame Chance pour parvenir à briser la muraille. Et l’on a longtemps cru que cela pouvait se produire.

Les R10 ont montré des signes de possibles défaillances qui ont entretenu notre espoir de vivre une course à rebondissements. Un warm-up bien compliqué pour la n°7 laissait apparaître la première faille dans la carapace. Le différentiel faisait des siennes… Et puis, vint le coup de tonnerre de la présentation en épi. La n°8 pourtant présente au début avait soudainement disparu ! Revenue dans son stand, c’est toute une équipe qui fourmillait autour afin de changer au plus vite l’élément défaillant le matin même sur la voiture sœur…

Tout ces éléments se sont chargés d’entretenir le suspense. Dans la première heure, ce fut le safety-car qui nous aida à croire un peu plus longtemps dans les challenge des outsiders en regroupant ponctuellement le peloton. Mais il en fallait plus… Nous nous prîmes alors à croire que les pneumatiques pourraient être le point faible des Audi. Le couple du diesel ne leur permirent pas, en début de course, de tripler les relais, contrairement aux Pescarolo. Mais dès le premier changement de gommes, les Audi reprenaient la piste devant les voitures d’Henri… Lesquelles devaient composer avec un sous-virage imprévu en fin de triple relais, les obligeant souvent à raccourcir le dernier tronçon. Les nouveaux pneus Michelin haut ont été conçu pour les R10, non pour les C60… Guère d’avantage ne se dégageait donc sur ce terrain là pour les françaises.

Coupures moteur pour la 16 !

Alors ce fut la marque aux anneaux elle-même qui joua les Hitchcock. Soudain après trois heures de course et 54 tours couverts, alors que les Pescarolo se battaient vaille que vaille pour rester dans le même tour que les leaders, Tom Kristensen rentrait aux stands de manière prématurée. Il fallait changer une rampe d’injecteurs. Il perdit 23 minutes dans l’incident. De quoi le rejeter à la 16ème position. Et laisser seule la n°8 aux prises avec les n°16 et 17. Mais cela ne dura pas. Car le moteur de la n°16 coupait de temps en temps. Après une tentative de réparation non concluante vers 22 heures, l’équipe Pescarolo Sport dût bel et bien se résoudre à changer le faisceau électrique. Nicolas Minassian entra dans le stand à 23H33. Il n’en ressortit qu’à 0H51. La messe était dite pour la n°16…

Pouvait-on alors dire que Audi et Pesca se retrouvaient à égalité avec une voiture chacun pour la gagne ? Non pas vraiment car si la n°7 avait subi un contre-temps, revenir sur la n°17 n’était pas encore chose impossible. D’ailleurs après 9 heures de course, elle était déjà revenue au troisième rang à deux tours seulement de la Pescarolo. Il était dès lors évident que ses pilotes avaient toutes les chances de déborder Montagny-Hélary-Loeb.

Mais le couple du V12 diesel fait des ravages. Et la transmission arrière gauche de la n°7 n’y résista pas. Peu après 2 heures du matin, les mécaniciens d’Audi Sport remédiaient au problème en 12 minutes. De quoi laisser souffler les bleus et verts et se concentrer sur la seule n°8. Car la n°17 passait à travers tous les écueils. Sa course était claire, limpide. Rien ne venait la troubler. Il lui suffisait donc d’attendre le pépin sur la n°8…

Et celui-ci finit par venir ! 3H47, la n°8 est entraînée dans son boxe. Ses assistants se ruent sur la boite de vitesses. Le pignon de 5ème est mort. Il faut le changer. Lors de la présentation de l’Audi R10 à Paris en Décembre, on nous a prévenu. On sait changer les éléments internes de la boite en 10 minutes. Puisqu’on ne peut plus changer un train arrière complet, on a soigné l’étude de la boite afin de faciliter les réparations. Les mécanos se font un plaisir de nous démontrer là encore, que l’on disait vrai… A 3H57, Emanuele Pirro reprend la piste avec une voiture à 100% de sa forme. La Pescarolo n°17 est revenue à moins de deux tours ! Rien n’est joué !

Le sort s'acharne sur la 7...

Mais jamais le deuxième petit pépin ne s’abattra sur la n°8 laissant Pirro, Biela et Werner creuser lentement mais continuellement l’écart sur la C60… Cet indispensable pépin, ce fut sur la n°7 encore qu’il tomba ! A 8 heures du matin, les mécanos devaient une nouvelle fois se plonger dans les entrailles de la R10. Ils extrayaient le turbo gauche et en plaçaient un nouveau. Désormais rejetée à 10 tours de la « bonne » Pesca, il devenait désormais impossible à la n°7 de la rejoindre et la déborder. Mais la place sur le podium était malgré tout conservée.

Mur_galerie_LM2006

A trois heures de la fin, une inspection sérieuse et attentive de l’arrière gauche de la n°8 par ses assistants lors d’un ravitaillement de routine se chargea de nous redonner un poil de suspense. Redoutait-on quelque chose chez Audi ? L’écart creusé permettait toutefois d’assurer, de ne pas solliciter outre mesure la voiture. La R10 n°8 tint bon… Pour la première fois dans l’histoire des 24 Heures du Mans, un moteur diesel remportait la victoire. Bravo !

Pour la deuxième fois d’affilée, Pescarolo Sport décroche la deuxième place. Autant, en 2005, l’équipe d’Henri pouvait nourrir des regrets, autant hier, il n’en était rien. Les R10 étaient à la fois plus rapides et plus économes en carburant. Alors certes, Eric Hélary et Sébastien Loeb n’étaient pas tout à fait en mesure d’aligner les mêmes chronos que ceux de Franck Montagny. Mais avoir trois pilotes de F1 dans l’auto aurait-il permis de mettre une pression suffisante sur la n°8 afin de provoquer le pépin manquant ? C’est une question un peu vaine mais il est tout de même permis d’en douter. Les R10 avaient une grosse marge de sécurité par rapport aux C60. Les meilleurs tours en course indiquent une différence de trois à quatre secondes. Impossible à combler par la seule pointe de vitesse des pilotes. On peut se demander si la R10 aurait tenu face à une pression encore plus intense de la C60. Mais cette dernière aurait-elle résisté si ses pilotes l’avaient exploitée à fond durant 24 Heures ? Débat inutile. La R10 a gagné… Frank Biela et Emanuele Pirro font désormais parti du club très fermé des quadruples vainqueurs au Mans, tout en pouvant espérr encore faire mieux. Marco Werner accroche pour sa part un deuxième succès d'affilée.

Défaillance générale

Derrière ces deux équipes, aucune autre LM P1 n’a pu se faire une vraie place au soleil. Pire, aucune autre auto de la catégorie reine ne finit classée ! Elles ont toutes été accablées par un manque de fiabilité, soit de la machine elle-même, soit de ses pilotes.

Les Courage LC70 étaient trop neuves, nous vous l’avions dit avant la course. Celle-ci a confirmé ce fait… Autant pour les deux officielles que pour la Swiss Spirit. La Dome équipée du moteur Judd semblait partie vers un superbe résultat. Le podium semblait possible. Mais à la mi-course, alors que seule la commande de boite avait quelque peu ralenti la voiture jusque là, Alex Yoong l’envoya dans le mur de pneus de la chicane Playstation, la première des Hunaudières. C’en était fini des espoirs du Racing for Holland. Dommage pour la dernière apparition de la S101… Les courses de la Creation et de la Zytek ont ressemblé à des chemins de croix tant les pépins ont été nombreux. La première ne finit pas, la seconde est non classée… Quant à la Lister, elle a été retardée d’emblée et n’a joué aucun rôle dans la course avant son abandon. Tout cela prouve qu’une course de 1000 km n’a rien à voir avec les 24 Heures. Une préparation spécifique s’impose. Mais pour nombre de concurrent, les moyens manquent cruellement…

La question qui reste posée maintenant est de savoir si les motorisations diesel sont trop avantagées par le règlement actuel. Au vu du résultat de la course, on pourrait le penser. C’est d’ailleurs l’avis de Henri Pescarolo. Plus de puissance, une meilleure autonomie, un couple gigantesque : sur le papier, les diesels disposent d’avantages énormes. Et pourtant…

Règlement déséquilibré ? Pas si sûr...

Pourtant, il est permis de douter que le règlement soit si déséquilibré que cela. Qu’avons nous vu ce week-end ? Nous avons vu une voiture dont la monocoque a été conçue en 1999-2000, recouverte d’une carrosserie dont la première mouture date de 2002 et accueillant un moteur plus tout jeune non plus : la Pescarolo Judd. Face à elle, nous avons vu une voiture au dernier cri de la technologie. Dans l’Audi R10, tout est neuf, châssis, aéro et moteur !

D’un côté, il y avait un concurrent privé, de l’autre une équipe d’usine. Les différences de moyens sont colossales ! Alors même si l’équipe Pescarolo Sport a sans cesse fait évoluer sa voiture au cours des années, même si Judd a beaucoup travaillé sur son moteur, il est impossible de comparer la technologie de la C60 avec celle de la R10. Aussi admirable et respectable que soit le travail des hommes d’Henri, on ne peut comparer directement et frontalement la technologie essence classique avec la technologie diesel simplement en se basant sur ces deux voitures. Car les autres éléments intervenant dans l’analyse sont par trop déséquilibrés… Avoir su autant amenuiser l’écart entre les deux voitures est déjà admirable de la part des hommes en vert.

Alors ? Si un constructeur du même calibre qu’Audi décidait de se lancer en LM P1 en utilisant l’essence, le V12 diesel aurait-il triomphé de la sorte ? Nous en doutons. Car finalement, avec une si « vieille » voiture et son manque de moyens, il n’a manqué à l’équipe Pescarolo Sport qu’une cinquantaine de kilomètres pour battre Audi. Cinquante sur plus de cinq mille soit 1% ! En admettant que Audi ne se soit pas montré désireux de se donner tout à fait à fond dès la première année, afin de ne pas être trop bridé par le règlement l’année prochaine, on peut penser qu’il faut ajouter encore 1% voire 2 pour trouver le vrai potentiel de la R10. Alors en concevant une voiture tout à fait neuve, il est tout à fait concevable qu'un constructeur aussi « riche et puissant » qu’Audi pourrait trouver ces fractions manquantes ? Nous en sommes persuadés.

L’essence possède encore quelques avantages, notamment celui de permettre de concevoir un moteur moins lourd et donc de permettre une conception globale de la voiture avec un meilleur équilibrage des masses. Le couple énorme du diesel oblige également à renforcer la transmission et donc sa masse. L'essence permet donc aussi de concevoir bien plus léger que le minima imposé par le règlement et de placer du lest aux points stratégiques. Ce qui se traduit par un meilleur équilibre et une usure pneumatique moindre. Une voiture LM P1 essence conçue avec les mêmes moyens et la même intelligence que ceux mis en œuvre dans le cadre du développement de l’Audi R10 n’aurait-elle pas quelques arguments à faire valoir ? Nous répondons par l’affirmative. Mais un grand constructeur va-t-il désormais investir dans cette technologie à l’heure où l’endurance semble privilégier les sources d’énergies alternatives ?

Qui pour contrer la R10 en 2007 ?

Peugeot a choisi d’imiter Audi. La 908 recevra dans ses entrailles un V12 HDI Mais l’équipe de Vélizy manque singulièrement d’expérience face à Audi Sport et au team Joest. Les premières études de la R10 remontent à 2003. Elle n’est apparue en piste que fin 2005. Sa gestation a donc été longue et soigneusement peaufinée tout en s’appuyant sur l’énorme expérience acquise avec une bête à gagner, la R8. Les délais pour le constructeur français sont beaucoup plus courts, l’expérience est inexistante. Il y a peu de point commun entre le WRC et l’endurance. On a d’ailleurs conscience de ce désavantage chez Peugeot puisque Frédéric Saint-Geours a annoncé que la firme au lion ne viserait pas la victoire dès 2007. Cela paraît sage et réaliste. Mais alors qui pourra, l’an prochain, concurrencer une R10 qui aura encore progressé ?

Pescarolo Sport ne pourra plus s’appuyer sur ses C60. Et Henri ne sait pas encore vraiment ce qu’il va faire en 2007. La Courage LC70 est bien née. Jean-Marc Gounon a tenté de le prouver en début de course. Mais une année supplémentaire de développement ne sera pas superflue pour Yves Courage et ses hommes. Il faudra également se poser la question des partenaires pour le constructeur manceau. Mugen et Yokohama peuvent-ils suffisamment progresser pour concurrencer le constructeur allemand ? Le meilleur tour de la 13 est à plus de sept secondes de celui de la R10 : un gouffre… Il va falloir bosser d’arrache-pied. Autant en ce qui concerne la vitesse que dans le domaine de la fiabilité. Le potentiel de la voiture semble permettre de nourrir de grands espoirs, mais il faut maintenant en faire une machine à gagner. La tâche est énorme… Quant à la nouvelle Lola B06/10, sa prestation de ce week-end est là aussi incomparable à celle de la R10 tant les moyens sont disproportionnés. Attendons de voir ce que le team Dyson peut en faire aux Etats-Unis, mais le début de saison est dur, même face à la Porsche RS Spyder, qui n’est pourtant qu’une « petite » P2…

Alors justement, parlons de Porsche. Norbert Singer était présent ce week-end mais il a dit ne pas être au courant de projets en LM P1 pour la firme de Stuttgart. Il devrait y avoir des Porsche P2 présentes au départ l’an prochain, mais elles ne devraient pas représenter l’usine officiellement. Et puis au Mans, une P2 n’a guère de chances de briller. Les longues portions rectilignes font la part belle à la puissance. Donc, il faut une P1 pour espérer vaincre. Y a-t-il dans les ordinateurs de Züffenhausen une telle auto ? Nous n’en savons rien. Y a-t-il un autre constructeur qui ait tenu ses engagements encore secrets à ce jour ? Nous en doutons. Mais nous le souhaitons. Afin de pouvoir comparer frontalement essence et gazole. Et donner des réponses aux questions qui restent en suspens.

Au fait, vous avez remarqué ? Il s’est passé un truc vraiment dingue dans ces 24 Heures du Mans 2006 : Tom Kristensen n’a pas gagné. Pierre Desproges aurait ajouté : Etonnant, non ?

Laurent Chauveau