24 Heures du Mans 1985. Tome 3 Imprimer
Samedi, 16 Janvier 2010 15:59

th_1985_Porsche_7Alors, reprenons. Je vous avais laissé au moment ou nous venions enfin de nous glisser dans nos duvets, pour une longue nuit de sommeil, bercé par le bruit des moteurs rugissant à l'entrée des Hunaudières. Vous êtes prêts, c'est reparti pour la dernière ligne droite.

Le fantome des 24 Heures ?

Pendant la préparation de notre hotel de fortune, nous ignorons qu’un problème beaucoup inhabituel est tombé sur la tête de certains teams et non des moindres. Une main malveillante a coupé l’alimentation en essence de certains stands ! Inédit aux 24 Heures et digne d’un épisode de Michel Vaillant. La patte du Leader ? Rien moins que trois Porsche (dont la n°14) et les deux Lancia sont fortement pénalisées par cette sécheresse subite de la pompe. Les officiels rétabliront les concurrents dans leur bon droit en leur attribuant les tours non couverts, fonction du temps perdu aux stands !

Et pendant notre sommeil, les pilotes poursuivent leur assaut contre le chronomètre. A mi-distance, le classement est à découvrir en survolant cette zone.

Peu de temps après, la Lancia n°4 connaît son seul vrai gros problème de la course. Il faut changer une canalisation et la course déjà mal engagée est définitivement perdue. Si brillantes l’an dernier, les Lancia ont déçu cette année. Malgré une fiabilité apparemment en progrès, le durcissement des règles de consommation n’a pas joué en leur faveur. Leur rôle dans cette course n’aura pas été celui escompté et espéré de trublion anti-Porsche. Fort dommage pour l’intérêt de la course elle-même.

Déjà le réveil ???!!!???!!!

5H30, une paupière s’ouvre difficilement, bientôt suivie par la deuxième. Le jour se lève, il nous faut donc en faire de même afin de profiter du moment magique de l’aube. Et je tente maladroitement de fixer cette lueur blafarde sur la pellicule. Le résultat ne sera guère satisfaisant…

Avec les première lueurs du jour, il nous sera bien plus facile de démonter la tente que de la monter. Le temps de la replacer dans les sacs à dos, et il est 6 Heures du matin lorsque nous sommes de nouveau à pied d’œuvre. En repartant vers les « S », nous pointons les voitures et il est agréable de constater que peu des principaux acteurs de l’épreuve a disparu. La piste est toujours bien remplie. Voilà qui nous donne la pêche.

Ces 24 Heures qui ont failli ne pas avoir lieu !

En cette année 1985, l'ACO ne se porte pas bien. Le coût toujours croissant des modifications obligatoires d'un circuit vieillissant, un certain désamour des spectateurs vis à vis de cette doyenne des courses d'endurance, l'ultra-domination de Porsche, autant de facteurs qui ont mis à mal l'équilibre financier du club manceau.

Le président Gouloumès a donc appelé à l'aide et c'est la création du fameux Syndicat Mixte qui a sauvé ces 24 Heures. La Ville du Mans, la Communauté Urbaine, le Conseil Général, le Conseil Régional se sont associés pour prendre à leur compte la nécessaire maintenance du circuit et de ses installations. En échange, l'ACO a cédé une bonne partie de son patrimoine foncier, mais reste le grand organisateur des rendez-vous sportifs sur le circuit.

L'épreuve est sauvée, et le retour des grands constructeurs pour les années à venir fera le reste...

D’autant plus que nous allons nous offrir des croissants chauds pour le petit dej’ ! Agrémentés d’un bon chocolat chaud, ils nous requinquent et effacent les traces superficielles de fatigue. Nous voilà donc prêts à remettre les godillots en marche et vous allez bientôt constater que nous n’allons pas nous dégonfler !

5 kilomètres à pied, ça use, ça use...

En attendant, nous remontons une nouvelle fois vers les tribunes, tout en shootant ça et là quelques photos ou le manque de lumière de ce matin voilé sera flagrant. Il est environ 8 heures lorsque nous sommes de nouveau devant les stands. Et c‘est là que me vient une brillante idée : « Allons à Arnage ». Il est vrai que sur notre plan, à vol d’oiseau, Arnage n’est pas plus loin que le Tertre Rouge alors pourquoi pas ? Laurent est sceptique, mais finit par céder. Seul problème, nous sommes toujours à pied, et pour se rendre à Arnage, il faut faire un sacré crochet pour le moins imprévu… Ce petit périple nous permettra de voir les voitures sous un autre angle, certes, mais il nous mettra aussi sur les rotules. Il nous a fallu environ une heure pour revoir les voitures… Et dire qu’il faudra se retaper cette distance au retour ! Nous avons bien tenté de faire de l’auto-stop, mais nos énormes sacs à dos ont du décourager les braves gens…

Lorsque nous sommes enfin sur place, les trois premiers quarts de l’épreuve sont désormais terminés (déjà !!!). C’est l’occasion de faire un petit point sur le classement, qui vient justement d’être chamboulé.

En fait, la Porsche Rothmans n°3 vient perdre deux tours pour un changement de porte-moyeu. Les Porsche officielles sont non seulement battues en performances pures mais également en fiabilité ! C’est le monde à l’envers... Et comme la Porsche Brun n°18 avait été quelque peu attardé au petit matin, voilà la Canon qui, à l’issue d’une longue remontée, reprend son bien : la deuxième place !

A l’issue de note longue marche, nous décidons de nous offrir un sandwich merguez. Certes, il n’est que neuf heures et demie, mais la marche à pied, ça creuse…Nous restons une petite heure sur place, le temps d’aller voir également ce qui se passe à Indianapolis. C’est à cet endroit que je ferai mes meilleures photos, profitant de la courte distance qui nous sépare des voitures, pour compenser les faibles capacités de mon objectif 50 mm…

5 kilomètres dans l'autre sens ? Ca ruine !

Vers 10 heures nous levons le camp, et retour au camp de base. Une nouvelle marche qui va signer notre mise à mort… Pendant ce temps là, sur la piste, les Porsche vont connaître quelques gros problèmes. C’est tout d’abord Paul Belmondo qui connaît, pour sa première expérience, les affres du premier relais matinal. A peine sorti des stands, il effectue un tête à queue dans la Dunlop, et touche le rail. Il parviendra certes à ramener la Porsche n°8 à son stand, mais l’équipe Joest devra tout de même officialiser l’abandon.

Peu de temps après, c’est également l’abandon pour la Porsche officielle n°3. Le moteur est rincé. Pour l’usine allemande, il ne reste plus que la n°2, qui à l’aide de quelques miracles, pourrait encore s’imposer.

Mauvaise période pour les Porsche

Puis peu après 11 heures, c’est la Porsche 962C n°19 du Brun Motorsport qui aux mains de Joël Gouhier effectue une invraisemblable cabriole dans les Hunaudières. Joël est indemne mais la voiture est chiffon, chiffon. Pour preuve, les photos de François Cornette, prises lors du retour dans le paddock de la Porsche, ou du moins de qu’il en reste.

Walter Brun aura à peine le temps de se remettre de ce choc, que sa seconde voiture solidement installé depuis bien longtemps à la troisième place, doit se retirer. Il est alors midi et la boite de vitesses est hors d’usage. Quatre Porsche Out en deux heures de course ! A défaut de bagarre sur la piste, les aléas nous apportent tout de même une profonde remise en cause de la hiérarchie. Ainsi, la Porsche officielle n°2 met un pied sur le podium, tandis que la belle 956 de John Fitzpatrick accède à la quatrième place. Cela permet également aux Lancia de revenir occuper des positions un peu plus flatteuses : 6ème et 7ème. En fait peu après midi, le classement des 9 premiers va désormais se figer.

Mazda transmet le témoin à Spice !

Et pendant que se déroulent tous ces avatars chez les grands, la hiérarchie des petits est également remise en question. En effet, la Mazda n°86, jusque là, préservée de tout souci, s’immobilise vers 11 heures. Il faut intervenir sur la boite de vitesses. 83 minutes seront perdues, et la tête du groupe C2 également. Ainsi, c’est la Tiga Spice de Gordon Spice / Ray Bellm / Marck Galvin qui s’installe définitivement en tête de la catégorie.

La Mazda repartira pourtant, et je dirai presque malheureusement. Après notre périple jusqu’à Arnage, nous sommes ruinés. Et le bruit criard des deux birotor nous est devenu insupportable ! En fait, nous sommes désormais « posés » dans la courbe Dunlop et nous n’en bougerons plus… La course est maintenant bien morne, et nous n’attendrons même pas le drapeau à damiers. Notre train de retour ne nous le permet pas.

Joest et Ludwig confirment le succès de l'an passé !

C’est à 14 heures 50, soit dix minutes avant l’arrivée que nous quittons le beau circuit de la sarthe. 29 voitures tournent toujours. La Porsche New Man n°7 va conserver son titre. Mieux, c’est exactement le même châssis que celui de l’an dernier qui s’impose. Un honneur que 956/117 partage avec la Ford GT40 1075, seule autre voiture à avoir précédemment réalisé le même exploit en 1968 et 1969, mais avec un numéro de course différent (n°9 en 68, n°6 en 69). Klaus Ludwig, Paolo Barilla et John "Winter" s'imposent donc. Enfin, ce sont surtout les deux premiers qui ont assuré le succès. John n'a en effet conduit que durant 70 minutes dont une demie-heure derrière les pace-car !

La belle Porsche n°14 de Palmer-Weaver associés au patron Richard Lloyd récolte une méritée deuxième place. Sans le souci à la nuit tombante, aurait-il été possible de faire mieux ? Si la voiture semblait pouvoir tenir le même rythme que la n°7, elle consommait toutefois un petit peu plus. Si les deux voitures avaient pu rester roues dans roues plus longtemps, nul doute que la Joest aurait pu accélérer un peu sans mettre en péril son allocation de carburant. Dommage tout de même ce petit pépin. Il nous a privé d'une belle bagarre.

Quant à elle, l’usine évite de justesse le camouflet total en prenant la troisième place avec la n°2. Hans Stuck et Derek Bell marquent ainsi de précieux points dans leur duel au championnat du Monde pilotes face à Ickx-Mass. Malgré tout, il est sûr que ce doit être la soupe à la grimace dans le clan Porsche AG… Mais quel était donc le secret de ces fichus clients ?

Epilogue

Quant à nous, le voyage de retour sera l’occasion d’ouvrir une toute dernière boite de pâté... Arrivés en bus et à la dernière minute à la gare du Mans, nous n’avons pas trouvé de place assise dans notre premier train. Nous nous posons donc négligemment par terre juste à côté des toilettes, et Laurent s’endort à la vitesse de l’éclair. Je suis aussi fatigué que lui, et pourtant, je ne dors pas. J’ai encore la tête sur le circuit donc je ne dors pas. J’entends encore les moteurs et je ne dors pas. Ce fichu birotor n’en finira donc jamais de tourner ? Je les vois encore passer et je ne dors pas. Je revois encore nos longues pérégrinations et nos crises de fou rire. La course n’a pas été super, certes, et pourtant ce week-end était génial. Je ne dors pas. Avec l’arrivée des Jaguar officielles, l’année prochaine, ce sera encore mieux. J’en rêve déjà. Oui, je rêve, et je dors…

Laurent Chauveau