24 Heures du Mans 1985. Tome 2 Imprimer Envoyer
Lundi, 04 Janvier 2010 23:18

th_04_Lancia_LC2_MartiniReprenons la suite de notre résumé de l'édition 1985. je vous avais laissé au moment des festivités d'avant-course. Cette fois-ci, on entre dans le vif du sujet ! La course est sur le point de débuter...

Mais que fait Jacky Ickx ?

Vers 14H50, le pace-car entraîne le peloton des 49 voitures avec lui dans un tour de chauffe (oui, oui, pace-car à l’époque et non safety-car). A 15 heures, il se range, libère la meute et c’est la ruée ! Oui, enfin presque… Jacky Ickx s’était déjà distingué par sa lenteur (volontaire) lors du départ 1969, et il récidive ! Inutile de penser que le pilote a soudain perdu sa fameuse pointe de vitesse. Non, en cette année ou celui qui gagnera sera le plus économe en essence, Jacky gère déjà son allocation du précieux produit… Bob Wollek se veut moins prudent et s’engouffre en tête dans la Dunlop. En fait, tous les pilotes Porsche officiels sont déjà très prudents et Klaus Ludwig en profite pour placer sa Porsche Joest en deuxième position. D’ailleurs au bout des Hunaudières, les Porsche usines n°2 et 3 ne sont que quatrième et cinquième tandis que Jacky Ickx pointe seulement au 11ème rang.

Tout le monde joue déjà plus ou moins le jeu de la consommation. Klaus Ludwig dans les Hunaudières profite de l’aspiration pour prendre plus de vitesse que Bob Wollek. La Porsche va donc passer la Lancia avant Mulsanne ? Et bien non, Klaus soulage légèrement afin de demeurer dans l’aspi, et profiter de ce « trou d’air » pour moins consommer ! Course bizarre…

A la fin du deuxième tour, rien de changé en tête. Wollek reste devant Ludwig, Sarel Van Der Merwe (Porsche Kremer n°10), Oscar Larrauri (Porsche Brun n°18), Jean-Pierre Jarier bien remonté (Porsche Kremer n°11) et Jonathan Palmer (Porsche RLR n°14). La meilleure Porsche officielle est désormais la n°3 qui n’est que huitième, c’est le monde à l’envers !

Au fait, tout le monde joue le jeu de la consommation ? C’est à voir car qui retrouve t’on à la septième place ? L’incroyable petite Emka-Aston Martin n°66 de Tiff Needell qui n’était pourtant que sur la 15ème position de la grille de départ ! Nul doute que le clan britannique a choisi de briller sans trop se soucier de la gestion du carburant. La fin de la première heure le prouvera…

Jonathan Palmer profite de la troisième boucle pour déborder Jean-Pierre Jarier, tandis que tout le monde sur les Hunaudières joue à « fend l’air pour moi ! » Jacky Ickx quant à lui est désormais 19ème !!! En fait, les Porsche usines se calent sur un rythme de course en 3’45" tandis que les privées sont en 3’37" ou 3‘38".

Quelqu'un a vu les voitures officielles ?

Au 4ème tour, Klaus Ludwig s’impose à Bob Wollek au freinage de Mulsanne. Il se trouve la retransmission TV en Eurovision est maintenant terminée et Bob se cale réellement sur son rythme de course. Il laisse passer toutes les Porsche privées dont tout le monde pense qu’elles courent au suicide en devançant ainsi les usines… Pendant ce temps là, les leaders rejoignent déjà les premiers attardés.

Au tour suivant, Klaus refuse de mener le bal et dans les Hunaudières, les positions sont bouleversées : Palmer installe la belle Porsche Canon au commandement et Larrauri se glisse à la seconde place. En fait Jonathan calcule moins que ses petits collègues. Il a le pied plus lourd et force Ludwig à se décider à recoller. Les deux principaux protagonistes pour la victoire finale viennent de se déclarer ! Pendant ce temps Tiff Needell continue son incroyable remontée. Lors du 6ème tour, il pointe désormais 4ème avant de se retrouver 3ème après une demi-heure de course.

On pourrait penser qu’une telle course à l’économie n’est en rien du pilotage pour les pilotes, mais c’est faux. La vitesse de passage en virage prend désormais une importance encore plus considérable afin d’aller aussi vite en ligne droite tout en demandant moins au moteur lors des relances. Et les passages au Tertre Rouge ou le vibreurs sont avalés avec générosité prouvent que les pilotes ne chôment pas… La sortie de Mulsanne, ou de nombreuses Porsche 956 ou 962 sont en travers, en est un autre témoin.

Pellicule_Stands_Paddock_LM1985

th_1985_Porsche_33La première heure se déroule ainsi sous la domination des Porsche privées. Les premiers ravitaillements interviennent peu avant la fin de celle-ci et ce sont d’ailleurs les arrêts des leaders qui donnent le leadership officiel à la Porsche Fitzpatrick n°33 à la fin des 60 premières minutes, mais uniquement parce que cette dernière a retardé le moment de refaire les niveaux. La stratégie économe de Jacky Ickx lui vaut d’ailleurs de remonter à la huitième place puisqu’il a réussi à prolonger sa présence en piste jusqu’à la 64ème minute ! Les trois Porsche usine sont d’ailleurs groupées de la 6ème à la 8ème place. Tout peut encore laisser croire qu’il s’agit de la bonne stratégie car Ludwig est rentré après seulement 51 minutes et Palmer après 55. Survolez cette zone pour découvrir le classement après ces 60 premières minutes.

Quant à nous, nous commençons notre périple autour du circuit en quittant les tribunes pour nous diriger vers la courbe Dunlop. Profitant enfin d’une vue dégagée, nous allons pouvoir nous lancer dans la photographie ! Pour ma part, c’est la première année ou je ferai réellement des photos. J’en avais réalisé quelques unes en 1983, mais mon père doutant de mes capacités ne m’en avait laissé faire qu’une petite dizaine. Cette année, ce sont trois pelloches qui vont y passer. Si mon boîtier est un excellent reflex, l’objectif n’est qu’un « petit » 50 mm et il me sera donc quasi impossible de réaliser des gros plans… Ah oui, j’oubliais, entre-temps, nous avons trouvé un point d’eau salvateur car nous n’avions pas prévu la moindre gourde… Faute de spectateur débutant !

Inattendu, l'Emka Aston-Martin prend la tête !

Pendant ce temps là, la ronde continue. Et après que tout le monde ait ravitaillé, qui retrouve t’on au commandement ? L’Emka Aston-Martin n°66 de Tiff Needell ! Les rusés anglais ont en effet raccourci leur premier ravitaillement. Puisque le débit des volucompteurs est limité à 50 litres/minute, et que la capacité des réservoirs est de 100 litres, il faut presque deux minutes pour faire le plein. En ne déversant qu’une cinquantaine de litres dans le réservoir, l’équipe anglaise a intelligemment joué le coup et gagné ainsi une cinquantaine de secondes par rapport à ses adversaires ! L’heure de gloire est arrivée, mais elle sera courte. Disposant de moins d’essence que ses adversaires, Tiff sera rapidement obligé de repasser aux stands d’autant qu’il doit également faire vérifier ses pneumatiques, et les concurrents de Porsche doivent ainsi DEFINITIVEMENT laisser le commandement aux voitures allemandes !

Au 20ème tour, Ludwig reprend donc son bien, avec Jonathan Palmer toujours dans ses roues. Le duel se confirme, mais auront-ils assez d’essence ? En fait, il s’avèrera assez rapidement que non contentes d’être les plus rapides sur le circuit, ces deux voitures seront également les plus économes en carburant parmi les C1 ! Les Porsche officielles malgré les précautions de leurs pilotes sont plus gourmandes ainsi bien sûr que les Lancia. Etonnant paradoxe.

Galère pour la Cougar-Porsche

Au cours de la troisième heure, la belle Cougar Porsche est victime d’un incident que raconte Yves Courage en combinaison de pilote à Christian Van Riswick sur TF1 au cours d’Auto-Moto. Alain De Cadenet a en fait été légèrement accroché par une Porsche 956 sur les Hunaudières. En rentrant doucement aux stands, il a surpris un autre concurrent et s’est de nouveau fait accrocher dans le virage Porsche ! Les réparations seront longues et nécessiteront par deux fois 40 minutes d’arrêt. La course de la Cougar qui pointait jusque là aux alentours de la 20ème place devient brusquement plus compliquée…

Pour Jacky Ickx et Jochen Mass, les premiers petits pépins ont déjà ralenti leur Porsche 962C et les favoris se retrouvent à la 16ème position. Voici d’ailleurs le classement à la fin de la troisième heure.

Ce classement est l’occasion de constater que les 956 sont décidément plus rapides que les 962C ! L’ancienne domine la nouvelle. Est-ce le porte à faux avant plus long de la 956 qui lui confère une meilleure aérodynamique par rapport à la 962C et lui permet ainsi de moins consommer ?

Laurent et moi continuons notre périple jusqu’au virage du Tertre-Rouge en passant par les Esses du même nom. C’est à chaque fois l’occasion de faire quelques photos, mais également de dîner royalement avec quelques boites de pâté (toujours aussi difficiles à ouvrir…) et quelques « Vache qui rit » : le régal. En cette année 1985, la vie du spectateur a également été très largement agrémentée par l’implantation dans les zones ouvertes au public de nombreux écrans de télévision présentant en temps réel le classement de l’épreuve. Nous profitons de celui du Tertre-Rouge pour nous remettre dans le coup après notre gargantuesque repas. Il est alors à peu près 19 heures, la course est partie depuis 4 heures, et nous, nous repartons, barda à l’épaule en direction des tribunes par le côté intérieur de la piste cette fois-ci.

Joest et Lloyd : A toi, à moi...

Sur la piste, les deux leaders se dépassent et se repassent à chaque tour. Les deux Porsche n°7 et 14 jouent au chat et à la souris. En fait, ces deux voitures s’étant de nouveau retrouvées roues dans roues par le hasard des ravitaillements, les deux pilotes semblent avoir décidé de s’entraider afin de moins consommer. Chacun leur tour, ils prennent la « tête du convoi » et l’autre se cale dans la roue. Les longues Hunaudières sont ainsi avalées en demeurant bien blotti à l’abri dans le sillage du collègue. Et c’est la jauge à essence qui est la grande bénéficiaire. Coalition de circonstance des privés face aux usines ? Ou simple fait de course et réelle baston ? John Winter toujours au micro de TF1 niera qu’il y ait eu un accord tacite entre les deux équipes Joest et Richard Lloyd. Pourtant vu de l’extérieur c’était bel et bien l’impression que cela donnait.

Poursuivant notre périple, nous repassons à l’extérieur du circuit par la passerelle Dunlop et nous nous postons de nouveau dans la courbe au moment même ou l’ami Jacky Ickx décide de taquiner le chrono. Jacky Ickx s'occupe du chrono © François CornetteLa Porsche n°1 est maintenant totalement décrochée puisque de nouveaux ennuis, d’allumage cette fois, ont obligé Jochen Mass vers 18H30 à rentrer au ralenti aux stands ou le boîtier électronique sera changé. Puis une durit d’huile est changée une heure plus tard. Jacky est maintenant débarrassé de ses soucis de consommation. Il lui faut désormais remonter sans attendre, et l’assaut est donné. La n°1 est visiblement beaucoup plus rapide que le reste du peloton et Jacky établit vers 20H15 le record du tour de cette course en 3’25"1 soit plus de 239 km/h de moyenne ! Toutefois, après ce relais brillant, il sera obligé de ramener la 962C aux stands ou l’on est obligé d’opérer la boite de vitesses ! La course est finie pour Jacky et Jochen. Il ne leur reste plus qu’à rouler en espérant ramener quelques points pour le championnat du Monde… Pour sa dernière participation aux 24 Heures, Jacky ne remportera pas de 7ème victoire.

Encore un crash dans les Hunaudières !

La course subit une nouvelle secousse alors qu’elle atteint son quart. Secousse, le mot est en fait un peu faible, tant l’impact subi par Jean-Claude Andruet fut violent. Sa WM n°43 lui échappe brutalement et inexplicablement à pleine vitesse juste après la courbe des Hunaudières et se désintègre. Pour nous, qui sommes désormais installés face aux stands, nous sommes avertis du problème en voyant le pace-car sortir à vive allure des stands afin de neutraliser l’épreuve. La WM est bien entendu hors-course, mais Jean-Claude est sain et sauf et c’est bien là l’essentiel. Les Mercedes de la direction de course resteront devant le peloton durant près d’une demie-heure. Cette pause nous donne donc le temps d’observer le classement alors qu’il reste encore 18 heures d’effort.

 

Mais ce classement va vite connaître une évolution majeure. Le duo des deux Porsche New Man et Canon va effectivement bientôt être séparé. La n°14 connaît à 21H30 une première alerte qui lui fait perdre environ 6 minutes. Mais à peine reparti, James Weaver s’arrête à nouveau. Il perd 7 nouvelles minutes et le trou est fait. La n°14 plonge à la 7ème place, tandis que la n°7 se retrouve seule dans son tour. La Porsche n°18 de l’équipe de Walter Brun grimpe à la deuxième place.

Qui a éteint le soleil ?

La course commence alors à s’établir. La nuit s’installe, et les habituels problèmes techniques assaillent la plupart des concurrents.

Pour notre part, nous décidons de rendre les armes. Il est environ minuit, lorsque nous décidons d’aller dormir. Et pour cela, retour au Tertre-Rouge ! Au même moment, la Porsche officielle n°2 perd quelques places et quelques tours par la faute d’un porte-moyeu avant gauche défaillant. La pyramide Rothmans semble progressivement s’effriter et devoir s’incliner face aux privés. Il ne reste plus que la n°3 qui semble être encore en mesure d’aller chercher les jaunes et noirs.

Chut ! Dodo...

En décidant de passer par la fête foraine, nous ralentissons considérablement notre progression et ce n’est que vers 1H30 que nous commencerons à planter la tente dans la pénombre. Ce sera d’ailleurs l’occasion d’une franche rigolade, car ni l’un, ni l’autre ne connaissons le mode d’assemblage d’une « Canadienne », et l’apprendre en pleine nuit à la simple lueur d’une lampe de poche est bien délicat. Il est deux heures du matin, lorsque nous pouvons enfin prendre un peu de repos bien mérité, après cette longue journée. La proximité de la piste et de son tumulte ne nous empêchera nullement de plonger rapidement dans un sommeil réparateur.

A suivre...

Laurent Chauveau