Zeltweg, octobre 1969 ou la seconde naissance de la légende 917. Imprimer Envoyer
Samedi, 30 Novembre 2019 08:18

Porsche_917_1970_23En cet automne 1969, une équipe d’ingénieurs et de mécaniciens se rend sur le circuit autrichien de Zeltweg*. Avec ses longues courbes à rayon constant et son dénivelé, ce tracé plus qu’un autre met en valeur le comportement routier d’un prototype. Même si la 917 y a conquis son tout premier succès moins de deux mois auparavant, il s’agissait plus d’un coup de chance que d’un vrai succès construit et indiscutable. Les adversaires des 917 ayant connu leur lot d’infortune ce jour-là. La 917 est toujours une bête assez rétive et l’usine a évidemment conscience du loup affectant la tenue de route de la 917. Elle vient à Zeltweg dans le but de travailler le sujet. Pour cela, on ne mégote pas et on amène 917-008, 917-006, toutes les deux en version fermée et courte. Une 917 PA, le spyder ayant couru en Canam est également présent à titre de comparaison. Quatre jours d’essais sont prévus du 14 au 17 octobre. Le premier jour, la voiture ne peut descendre sous les 1’48"2, encore moins bien que lors de la course du mois d’août. Kurt Ahrens, Brian Redman, Piers Courage et Leo Kinnunen ont beau se relayer au volant, les ingénieurs allemands sous la conduite de Peter Falk et Helmut Flegl ont beau travailler les réglages, les chronos ne descendent pas. Pire, la 917 PA confiée à Redman tourne 4 secondes plus vite…

Ou sont les insectes ???

Musee_Porsche_917_gulf_001Le deuxième jour, les membres de l’équipe Gulf JWA viennent se joindre à ces essais en observateurs. Eux qui vont faire rouler les 917 l’année suivante tiennent à ce que celle-ci règle enfin ses problèmes de jeunesse. Les essais se poursuivent toute la journée et c’est à la fin de celle-ci que John Horsman remarque un fait notable. La voiture est couverte de moustiques après deux jours d’essais. Mais l’aileron arrière, censé apporter de l’appui, est lui resté quasi immaculé. Pourtant, après ces deux jours de roulage, les ingénieurs l’ont désormais placé en position quasi verticale en tentant d’aller chercher de l’appui. La conclusion de John, partagée avec Peter Falk et Helmut Flegl, est que l’arrière de la carrosserie n’est pas léché par le flux ce qui explique son incapacité à générer un minimum d’appuis. « J’ai immédiatement compris qu’il fallait relever l’arrière ! » Avec nos yeux d’aujourd’hui, on peut ne pas comprendre qu’il ait fallu tant de mois pour saisir le problème. Mais n’oubliez pas que l’aérodynamique est une science totalement nouvelle à la fin des années 60. Les connaissances sont encore empiriques et l’on vérifie souvent l’écoulement des flux avec des bouts de laine collés sur la carrosserie ! Les études en soufflerie sont encore rares même si la 917 aura sa part de soufflage dans les mois suivants. De plus, la doctrine de l’époque était aux voitures « légères » capables de filer dans les Hunaudières et c’est au pilote de se débrouiller ensuite dans le sinueux. Enfin, entre les améliorations apportées aux diverses versions de la 908, la conception et la fabrication des vingt-cinq 917, personne n’a chômé chez Porsche en cette année 1969. On n’a jamais vraiment eu le temps de se poser et d’analyser le problème affectant la 917…

Le massacre salvateur commence !

th_Musee_Porsche_031Suite à sa découverte, John Horsman convient alors avec Peter Falk qu’il faut sacrifier la finesse aéro tant recherchée par son géniteur tout puissant Ferdinand Piech (absent de ses tests ce qui explique aussi probablement cette marge de manœuvre, lui l’intégriste de la finesse…). Les mécanos allemands donnent quelques tôles d’aluminium amenées pour ces tests aux mécanos britanniques et ce sont ces derniers qui vont scarifier les beaux bolides blancs. A coup de ciseaux, de marteau, de rivet, ils confectionnent une sorte de chapiteau hideux ajoutés à l’arrière de la carrosserie sur toute sa largeur. La voiture ne peut être prête que pour le troisième jour d’essais.

Musee_Porsche_917_Martini_001Immédiatement, Brian Redman, pourtant sceptique quant à l’aspect de la chose, s’emballe une fois qu’il en prend le volant. Il gagne trois secondes ! « C’est enfin une voiture de course ! » déclare-t-il. On vient enfin de mettre le doigt dessus. Le problème est bien d’ordre aérodynamique avant tout. Dès lors, l’ensemble de l’équipe passe ces deux dernières journées à tester diverses solutions toujours faites de bric et de broc, en jouant sur ces panneaux d’aluminium. La plus efficiente est celle où l’on a débarrassé la voiture de la verrière au-dessus du flat 12, créé deux tremplins au-dessus des roues arrière et maintenu un creux entre ces deux tremplins derrière le moteur. La 917K de 1970 est née. Elle est encore hideuse, son CX a pris une claque (il passe de 0,40 à 0,46 !) mais tous ces aménagements ainsi que quelques progrès de Firestone et des réglages châssis ont fini par amener un progrès de 5 secondes ! Tout en redonnant confiance aux pilotes…

5 secondes pour convaincre...

Musee_Porsche_917_gulf_003Les ingénieurs allemands, redoutant de devoir convaincre Piech du bien fondé de telles modifications apportées à son bébé, rentrent donc à Zuffenhausen. Mais les chiffres parlent et Piech accepte sans trop broncher. Il déclarera plus tard à John Wyer. « Vos modifications nous font gagner 3 secondes donc c’est ce que nous devons faire ». Les ingénieurs passent le reste de l’hiver à raffiner cette solution. Le CX redescend un peu (0,447) sans dégrader l’appui. On gagne également en poids en libérant totalement l’arrière des roues de la présence de toute carrosserie. Et tant pis pour les poursuivants en cas de pluie ! Le gain de poids achève de convaincre Piech et ses ingénieurs, eux qui chassent avec vigueur le moindre gramme depuis des décennies…

Ce travail hivernal a fait du « laideron aux bouts d’alu » une vraie beauté atypique. La queue arrière courte surélevée de la 917 va s’avérer payante dès sa première course aux 24 Heures de Daytona, la n°2 aux couleurs Gulf s’impose. Elle inspirera d’autres ingénieurs, d’autres marques qui l’adopteront très vite. (Même les Vaillante rouleront en mini-jupe…) Et surtout, surtout, 9 mois après ces essais mythiques de Zeltweg, la 917 offrira enfin à Porsche sa toute première victoire au Mans. Et c’est bien la queue courte et haute qui s’imposera, profitant au passage de sa meilleure stabilité sous les orages manceaux. Mais l’équipe de John Wyer ne fut pas celle qui bénéficia du bien fondé de ses modifications. Contrairement à ce qu’essaie de nous faire croire Steve McQueen, les trois 917K bleues et oranges se retireront de la course. Et c’est l’écurie Salzburg, satellite de l’usine, qui permettra à Hans Hermmann et Richard Attwood d’apporter l’immense bonheur à Stuttgart. La n°23 rouge et blanche (châssis 023) s’impose devant la queue longue hippie de l’écurie Martini pourtant taillée pour les Hunaudières. CQFD… La queue courte est en route vers son propre mythe. 50 ans plus tard, elle fascine toujours…

Laurent Chauveau (avec l'aide de ses nombreuses archives...)

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*Le circuit se nomme aujourd’hui Red Bull Ring après être devenu au cours des années 90 le A1-Ring... La plupart de ses longues courbes ont totalement disparu pour des virages serrés, il faut bien que les F1 puissent se dépasser. Ou se harponner !

**Rivalité oblige, les ingénieurs allemands ont une vision moins « britannique » de cette séance de Zeltweg. Peter Falk notamment, considère vraiment qu’il s’agit d’un travail d’équipe entre tous ces ingénieurs allemands et anglais qui apprenaient à se connaître. De toute évidence, la solution a tout de même été trouvée une fois l’équipe de John Wyer arrivée sur place. Toujours est-il que cette collaboration demeurera tendue durant deux années pleines... Se souvenant des défaites de 1968 et 1969 face aux GT40 Gulf, Ferdinand Piech n’a jamais réellement apprécié que les ennemis d’hier qui plus est anglais, deviennent les alliés du jour. Quant aux anglais, ils avaient une confiance limitée dans les expérimentations des ingénieurs allemands et ces essais de Zeltweg n’avaient surement pas arrangé les choses…

Musee_Porsche_917_Martini_002Alors que Ferry Porsche avait décidé après les 24 Heures du Mans 1969, de retirer l’usine de la compétition en laissant des clients privilégiés la représenter (d’où le contrat avec JWA), Piech trouvera un subterfuge pour maintenir la présence de l’usine avec l’écurie Salzbourg. Il s’agit de la succursale autrichienne de Porsche, dirigée par sa propre mère et Ferry Porsche lui-même ! Durant toute la saison 1970, John Wyer trouvera donc face à ses 917 bleues et oranges, ces 917 « autrichiennes » issues très directement de l’usine elles aussi et qui permettent à Piech de continuer à défricher ses solutions... Et lorsque Salzbourg se retirera fin 1970, ce sera au tour de Martini de venir embêter John Wyer. Avec l’assentiment et l’aide de Piech ! Absente l’équipe officielle ? Voyons donc… Vous comprenez mieux pourquoi la 917 LH du musée du Mans cédée par Porsche est bien une Gulf des 24 Heures 1971 maquillée en Martini. Le patron avait la rancune tenace…