Eux aussi, ils ont perdu leurs espoirs sous la pluie... Imprimer
Samedi, 09 Août 2014 11:48

Le Mans 2014 Audi #3 vs Toyota #8Samedi 13 juin 2014. 16H31. Les cameramen nous montrent une Audi arrêtée sur le bas-côté. Salement touchée. Quelques secondes plus tard, on découvre également une Toyota de l'autre côté. Bien touchée aussi... Deux équipes de pilotes et de mécanos viennent de perdre tous leurs espoirs de victoire concernant leur auto. La Toyota repartira mais avec trop de retard. L'Audi sera chargée sur un camion... La pluie mancelle vient de frapper. A nouveau...

Il ne s'agit pas là d'une première. Bien au contraire... Régulièrement, les nuages décident de jouer un rôle actif au-dessus du circuit et viennent doucher les espoirs des équipes d'usine. Sans prétendre dresser une liste exhaustive, revivons ensemble quelques uns de ces événements majeurs qui changent le cours d'une épreuve.

1956. 2ème tour et 3 de chute !

1956_LM_accident_JaguarAprès l'impensable drame de l'année précédente, il a fallu repenser intégralement la ligne droite des stands. Des travaux colossaux de terrassement et de construction ont imposé un déplacement de l'épreuve au mois de Juillet, fait unique dans l'histoire de la course (voir encadré). La piste a été refaite depuis Maison Blanche jusqu'au Tertre-Rouge. Paul Frère, le fameux pilote-journaliste va négliger un peu trop ce fait... Sa Jaguar Type D n°2 fait partie des indiscutables favorites. Mais un départ raté oblige le pilote belge à forcer la cadence afin de ramarrer ses adversaires directs. Il y parvient rapidement mais dès l'amorce du deuxième tour, il sur-estime l'adhérence du nouveau revêtement dans la descente vers les Esses du Tertre-Rouge. Ses freins à disque se bloquent et il part en tête à queue. Il percute violemment les fascines de l'arrière. Sa voiture immobilisée jette une sorte de panique parmi les poursuivants et si son coéquipier Jack Fairman parvient à l'éviter, il est malgré tout lui-même heurté par la Ferrari officielle n°11 d'Alfonso de Portago. 15 kilomètres de course et trois voitures officielles sont hors de combat, deux Jaguar et une Ferrari. Heureusement pour les anglais, des « écossais » viendront à leur rescousse en imposant une Type D privée bleu nuit à bande blanche...

On a pris l'habitude que les 24 Heures se déroulent toujours à la mi-juin. Pourtant, l'édition initiale, celle de 1923, prit place les 26 et 27 mai. C'est la météo peu clémente de cette première qui incita à décaler l'épreuve de 2 semaines dès 1924. Petit tour d'horizon de ces 24 Heures hors-norme :

En 1936, l'épreuve fut annulée en raison des événements sociaux liés à l'avènement du Front Populaire de Léon Blum au pouvoir. Il fut envisagé de décaler l'épreuve au 1er & 2 août mais les anglais s'y opposèrent en raison de la tenue, en cette même date, d'une épreuve à Brooklands, qui se tenait chaque année depuis 1908...

1956, on reconstruit... Après le drame de l'année précédente, il a été décidé d'effectuer de gigantesques travaux de terrassement. Afin de créer des gradins véritables, on a donc décidé de... creuser ! La ligne droite des stands descend ainsi de 2 mètres au niveau de la tribune centrale. Les stands, qui ne dataient que de 1949 ont été détruits et reconstruits en intégrant un étage supplémentaire. Il faut du temps pour réaliser l'intégralité des travaux et l'épreuve est donc décalée aux 28 & 29 juillet.

1968, c'est la chienlit. Dany le Rouge met la France sans dessus-dessous. Le mois de mai est chômé quasiment partout et même si les mécanos Alpine préparent les A210 et 220 dans les champs en se servant des branches des pommiers tels des palans, il est évident que les 24 Heures ne pourront avoir lieu en juin. Elles sont donc repoussées aux 28 & 29 septembre et à une date aussi automnale, elle seront, sans surprise, marquée par la pluie. N'est-ce pas, Henri ?

1986. Des problèmes sociaux ? Des travaux d’envergure ? Comment expliquer que la date traditionnelle soit avancée de deux semaines ? La raison est bien plus terre à terre. Ce décalage est simplement la volonté de l'ACO de ne plus subir la concurrence du GP du Canada de F1 qui depuis quelques années, a été placé pile à la date des 24 Heures (et ce n'est probablement pas un hasard...) Pour la première fois depuis 1923, le départ est donc donné en mai (épreuve disputée les 31 mai & 1er juin) mais dès 1987, on reviendra à la date traditionnelle de la mi-juin. L'expérience n'étant pas très concluante avec la concurrence de... Roland Garros qui monopolise les télés !

1970. Auto-destruction...

th_1970_LM_Ferrari_512S_8Avec un an de retard, Enzo Ferrari a répondu à Ferdinand Piech. La débutante 512 affronte donc la plus mature 917 pour ce qui promet d'être un duel au sommet entre Ferrari et Porsche. Quatre 512 officielles, sept privées, trois 917 Gulf, deux Salzburg (alias l'usine) et deux privées dont une Martini longue queue affriolante par ses couleurs hippies, le plateau est absolument grandiose d'autant que ce sont près de 600 chevaux qui animent désormais toutes ces reines des Hunaudières... Pour bien filmer Le Mans, Steve McQueen doit prendre soin de correctement protéger les objectifs de ses caméras car les orages noient régulièrement la piste, rendant les conditions très piégeuses. Porsche domine le début de course mais Ferrari s'accroche malgré la perte très précoce, par la faute du V12, de Giunti et Vaccarella. A 18H25, l'impensable se produit à l'approche de Maison Blanche. Alors qu'une averse s'abat sur la piste, Ferrari se lance dans un véritable demolition derby ! Beaucoup de versions du carambolage rouge ont été données. Il semble toutefois que ce soit la Porsche de Gérard Larousse qui en dégageant de l'huile ait maculé le pare-brise de Reine Wisell (Ferrari Filipinetti n°14). Celui-ci, aveuglé, doit ralentir. Andrea De Adamich (Alfa Romeo) survient derrière et doit brutalement changer de trajectoire pour l'éviter mais Derek Bell (Ferrari officielle n°7) qui avait ainticipé le dépassement d'Adamich doit alors freiner à mort. Derrière Derek se trouve Clay Regazzoni (Ferrari officielle n°8) qui est surpris par le puissant freinage de l'anglais. Il doit dévier brutalement pour ne pas le percuter mais tombe alors sur Wisell et ne peut l'éviter. Les deux 512S obstruent le passage et c'est alors que survient Mike Parkes (Ferrari Filipinetti n°15) qui n'a pas d'issue. Il les percute... Il parvient à rentrer aux stands malgré tout avec un début d'incendie mais la 15 n'en repartira pas. Trois 512S viennent de s'auto-détruire ! Quant à Bell, il s'éloigne sans toucher qui que ce soit et visualise le carnage dans ses rétros. Mais aurait-il commis un surrégime pendant la manœuvre ? Son V12 n'ira guère plus loin... Ce sont donc quatre Ferrari qui viennent de quitter la course. Il ne reste donc plus qu'une seule Ferrari officielle en course, celle de Jacky Ickx qui change de stratégie et sonne la charge. Mais à 1H35 du matin, le belge, peut-être victime de freins défaillants, bloque une roue arrière, part en tête à queue au Ford, décolle sur un banc de sable et retombe lourdement, tuant malheureusement un commissaire de piste... Ferrari est décimée d'autant que deux autres 512 privées abandonneront par la faute de sorties de piste !

1972. La pluie à la rescousse de Lagardère !

1972_LM_Matra_15_14Les « monstrueuses » Sport 5 litres aux performances hallucinantes ont trop inquiété les autorités. Elles sont désormais interdites en endurance et vont faire le bonheur de la Canam. Les Prototypes 3 litres deviennent dont les reines du Mans. Le duel Ferrari-Matra promet monts et merveilles. Mais les 312 PB ne sont peut-être pas encore suffisamment aguerries. La Sefac d'Enzo Ferrari renonce donc à quelques jours de l'épreuve laissant les hommes de Jean-Luc Lagardère seuls face à la victoire. Mirage ayant renoncé également, les seules adversaires des trois 670 et de la 660 sont les deux Lola de Jo Bonnier qui ne semblent pas être en mesure de les inquiéter sur la distance. La pression est maximale sur les hommes de Vélizy. Il n'y a pas d'autre option que le succès. Mais patatras, dès le troisième tour, le bel ordonnancement bleu est mis à mal par le V12 agonisant de Jean-Pierre Beltoise. Il vient juste de prendre le commandement lorsque son MS72 voit une bielle le traverser provoquant un début d'incendie. Tout cela devant les yeux du président Pompidou ! Il s'immobilise dans la descente du Dunlop et y subit l'ire de la foule. Pourtant Jean-Pierre et Chris Amon avaient bien averti les mécanos des vibrations que leur moteur leur donnait dès les essais. N'ayant rien trouvé, il avait été décidé de le conserver malgré tout. Ebranlés par l'incident, Pescarolo, Cevert et Jabouille laissent les Lola prendre le dessus avant de repartir au combat. S'engage alors un duel homérique entre deux équipages qui se moquent des consignes d'équipe. Handicapés par une MS670 au capot arrière court, non équipée du tout dernier MS72 mais du M12, Henri Pescarolo et Graham Hill sur la n°15 doivent également composer avec des freins défaillants dès les essais. Le problème est toujours là durant la course et Henri-Graham bouffent des plaquettes ! Cevert et Ganley semblent avantagés avec leur 670 n°14 à longue queue et MS72 plus puissant de 30 chevaux mais les averses inversent régulièrement la tendance en faveur de la n°15. Tout ce petit monde ignore les appels au calme de Lagardère et se livre un duel sans merci tout au long de la nuit. Au matin, la situation n'est toujours pas décantée et les deux 670 se disputent toujours la victoire. Sur le coup de midi, les éléments vont se charger d'éviter les maux de crane aux hommes de Matra Sports. Plus avisé que Ganley, Hill a fait monter une heure plus tôt, des pneus mixtes sous la pluie fine. Il a pu revenir à deux minutes de la n°14. Howden se décide à l'imiter et son arrêt lui coute la tête, des problèmes d'allumage le relègue même à un tour complet de la 15. La pression vient donc une nouvelle fois de changer de camp. Il met la pression sur Graham pour se dédoubler lorsqu'une averse plus forte survient. Aveuglé, Graham doit ralentir, Howden freine et une Corvette le percute violemment à l'arrière gauche ! Malgré le pneu arrière gauche crevé et un bras de suspension ayant bien souffert, il parvient à ramener sa 670 aux stands mais la n°15 s'enfuit. La victoire a choisi son camp, Cevert et Ganley se contenteront de la troisième place. Le beau François, très fair-play, lèvera même les bras bien haut sur la ligne en l'honneur de la première victoire Matra !

1992. Toyota déjà...

th_1992_LM_Peugeot_3128 voitures seulement se présentent sur la grille de départ. Triste année, triste météo... Après les superbes années du Groupe C, la FISA a décidé de « détruire » l'endurance en imposant les Sport 3,5 litres trop coûteuses. Seules les usines peuvent réellement suivre l'inflation, Peugeot et Toyota s'annonçant en grands favoris de l'épreuve. Les 905 ont atomisé les essais et Philippe Alliot a claqué un incroyable 3'21"209 lui donnant la pole. Mais la pluie fine et persistante qui marque la première moitié de la course a détrempé la piste et incite les pilotes Peugeot à une certaine prudence. Volker Weidler sur sa Mazda à moteur Judd est bien plus incisif et prend la tête provoquant la colère de Derek Warwick inquiet de voir l'allemand froler ainsi sa 905... Les Toyota TS010 quant à elles ne sont pas à l'aise. Leurs pneus Good Year ne semblant pas aussi efficaces que les Michelin des Peugeot et des Mazda sous la pluie. 1992_LM_Toyota_7Toutefois, Geoff Lees sur la n°7, parvient à rester au contact de la deuxième 905 et juste devant celle d'Alain Ferté, la n°31. Ils abordent ensemble la ligne droite des Hunaudières derrière trois autres voitures dégageant un spray considérable. Totalement aveuglé, Geoff ralentit subitement mais Alain n'a pas le temps de l'éviter, l'avant-gauche de la 905 percutant l'arrière droit de la TS010. Les deux pilotes s'immobilisent immédiatement devant les platanes du début de la ligne droite. Geoff repart le premier mais Alain le repassera avant d'arriver aux stands sur sa 905 à trois roues ! Les deux hommes perdent 9 minutes sur la piste mais la 905 passera 50 minutes de plus dans son stand tandis que la TS010 y restera une heure. Même si la pluie ralentit le rythme des leaders, le retard est tout de même impossible à surmonter. De toute façon, ces deux voitures étaient réellement unies dans leur destinée. Elles abandonneront toutes deux sur casse moteur au petit matin et quasi simultanément !

A cette liste de malheureux s'en ajoutent d'autres, évidemment. Mike Rockenfeller et son Audi en 2007, Mario Andretti et sa Courage dans la nuit de 1995 auraient ainsi pu figurer ici. Le carnage de 2001 fut pas mal également dans le genre même si aucune voiture usine n'était impliquée. Mais pour finir sur une note plus positive, je préfère me rappeler d'une fin heureuse. Celle de 1980. Là aussi, les conditions furent dantesques. Là aussi, les nuages noyèrent la piste avec régularité. Là aussi, nombre de pilotes s'embarquèrent dans de folles valses. La Rondeau de tête aurait pu y perdre la victoire dans la dernière heure. Mais le (double) miracle eut lieu. Je vous propose de retrouver cette histoire ici.

Laurent Chauveau

PS : n'oubliez pas la page Facebook que j'alimente bien plus fréquemment que le site, avec du contenu qui lui est souvent propre et qui vous permet de garder le contact avec 86400. Donc, si vous souhaitez suivre au mieux mon univers, pensez au "j'aime" ;)

Lien_page_86400