Dossier décos : Mondrian, la génèse... Imprimer Envoyer
Samedi, 25 Septembre 2010 16:45

Deco_Oreca_Theme_MondrianLe professionnalisme d'une série ou championnat, l'image de sérieux qu'elle renvoie, passe évidemment par ceux de toutes ses composantes. Organisateurs, Pilotes, Teams, tout le monde se doit d'être au diapason. Si l'on s'attarde plus particulièrement sur le cas des teams, il faut reconnaître que peu d'entre eux, dans le monde des Le Mans Series, méritent des griefs quant au niveau de préparation des voitures. Toutefois, il reste un point trop souvent négligé à mon goût par beaucoup d'équipes et qui pourtant joue immédiatement sur l'image que renvoie l'équipe : je parle de la décoration de la voiture, le look qu'on lui confectionne. Si l'on compare le monde des LMS avec celui de séries concurrentes et très professionnelles, telles que le DTM, le SUPER GT, le V8 Supercars Australia, on sent que l'on n'est pas au même niveau. Peut-être me direz-vous parce que des usines y sont engagées ? Oui et non. J'en veux pour exemple qu'il a fallu attendre 2010 pour voir les 908 officielles parées d'une décoration digne de ce nom et qui soit plaisante à l'œil...

Il y a pourtant eu, en cette année 2010, un très gros pas en avant. Peugeot donc, mais Audi également avec l'arrivée de cette déco volontairement déstructurée sur les R15+ et finalement très réussie, qui permettait peut-être aussi de cacher certaines formes disgracieuses d'une auto étonnante. Dans le clan des privés aussi, on s'est occupé de cet aspect des choses. Signature a ainsi fait appel à un créateur, Raphaël Young, pour habiller de noir et blanc sa Lola Aston Martin. IMSA Performance fait évoluer le look de ses Porsche à chaque saison depuis son implication en endurance. WR a mis en place une véritable démarche pour le look de sa LMP2 depuis 2009 avec le même créateur retenu cette année par Luc Alphand Aventures pour ses Corvette. Au Mans, évidemment, il y a eu celle qui a tant fait parler d'elle, la BMW Art-Car de Jeff Koons. Dunlop lance depuis deux saisons un concours ouvert à tous pour « dessiner » une auto à ses couleurs. Il s'agissait de l'Aston Martin Vantage du team JMW cette année. Tout cela est donc très bien mais on trouve encore, principalement sur nos grilles de départ européennes, certaines autos ou l'on sent que cette démarche n'a pas été réellement au centre des préoccupations. AF Corse, Young Driver, Race Performance, Regasus Racing, les teams engageant des FLM dans leurs ensemble, par exemple, ne se sont pas fendus de looks particulièrement chatoyants ou étudiés. Et je trouve cela bien dommage, justement pour l'image que cela dégage. Si l'on veut réussir à attirer de nouveau les medias vers le petit monde de l'endurance (éternel serpent de mer...) il faut que tout le monde y mette du sien. Une belle déco ou un look original permet de faire parler de soi, dégage une image positive, à la fois du team, mais aussi et probablement plus important, des partenaires... Et ce n'est pas nouveau. La première à avoir probablement défrayé la chronique en ce domaine, est probablement la Porsche 917 Hippie de 1970. Elle continue à frapper les imaginations aujourd'hui et les artistes sont nombreux à les représenter sous toutes ses formes. (un exemple ici) Le symbole même d'une décoration totalement réussie : probablement dérangeante à l'époque mais inscrite de manière durable dans l'imaginaire collectif...

th_Dijon_1998_Chrysler_Viper_Oreca
Chez Oreca, on n'a pas attendu le thème Mondrian pour s'occuper du look de ses autos. Ici les Viper de 1998.
Dallara Oreca LM 2002
Autre bel exemple avec les superbes Dallara Oreca du Mans en 2002.

Je vous propose donc un gros plan sur une écurie qui a compris de longue date, l'importance de la décoration de ses autos. On se souvient notamment des Dallara-Judd de 2002, absolument magnifiques, ou des belles Viper bleu-blanc-rouge de 1998 et 1999. Après le rachat de Courage Compétition, fin 2007, les Courage LC70E ont été parées d'une déco qui n'a laissé personne indifférent. Au risque de déplaire à certains. Mais on remarque immédiatement les voitures du team Oreca. Immanquablement. Rencontre avec Jean-Philippe Eddaikra, celui par qui Mondrian est passé du monde de l'art contemporrain à celui des circuits...

Jean-Philippe, comment aboutit-on au concept Mondrian. Quelle est la démarche qui vous a amenée à ce résultat ?

« L'idée de départ, durant l'hiver 2007, était de symboliser ce défi sur trois ans dans lequel se lançait Oreca avec la construction d'une nouvelle voiture. Nous voulions offrir une identité propre à ce projet avec un cahier des charges assez précis.

- Favoriser l'émergence du team et de ses partenaires
- Offrir une identité un peu décalée par rapport à ce qui se fait habituellement dans le monde de l'automobile et sur ce sujet, Hugues de Chaunac a souvent pour référence le Stade Français de Rugby qui a brisé les codes de ce sport
- Installer des codes couleurs relativement gais qui symbolise la fête du Mans. Nous ne voulions pas d'une voiture sombre.
- Rester dans une image assez qualitative, relativement haut de gamme et l'image de l'art contemporain correspond assez bien à cela et cela parlait à nos partenaires.

Nous avons donc travaillé avec l'agence Sparring Partner, sur la base de ce cahier des charges. Nous avons suivi plusieurs pistes, de la plus sage à la plus audacieuse, la Mondrian se rangeant plutôt du côté des secondes... C'est celle que l'on a choisi avec véritablement pour objectif d'émerger et de briser les codes.

Pour moi, cette déco a trois caractéristiques : asymétrique, déstructurée et multicolore. Ce sont trois caractéristiques fortes qui permettent vraiment à la voiture de se démarquer. Les gens adorent ou détestent mais on en parle. Nous avons donc lancé cela en 2008 avec à mon avis, l'atteinte de nos objectifs en terme de communication ou de marketing. Dès la première saison, on a assimilé le team à cette identité. Et puis, clairement ce thème graphique ne laisse pas indifférent que ce soit en interne ou en externe. Il ne faut pas faire quelque chose qui soit sans saveur ou sans odeur. Je dis souvent qu'une personne qui n'aime pas, en parle au moins à trois personnes. Mais du coup, elle en parle... Toutes proportions gardées, Benetton, avec ses pubs plus ou moins scandaleuses, ne faisait pas autrement. On en parlait abondamment, le coup était réussi. »

Est-ce qu'il a été difficile d'y faire adhérer les partenaires ?

« Non, vraiment pas. Tout d'abord parce qu'ils ont apprécié d'avoir un vrai concept graphique, une cohérence dans l'identité de la voiture et du team. C'était une valeur ajoutée pour eux. Un vrai retour sur investissement. Le fait d'être sur le terrain de l'art contemporain (même si toutes nos pistes n'étaient pas sur ce thème) leur convenait également très bien. Souvent nos partenaires sont partie prenante dans des fondations, des galeries par exemple, qui soutiennent l'art contemporain. Et puis le dessin très carré, leur a aussi permis d'avoir chacun leur espace propre, leur propre couleur et donc chacun émerge en favorisant leur visibilité. »

Ils ont été associés au processus de décision ?

« Absolument. On ne s'engage pas sur ces projets sans leur validation. Nous, Oreca, nous devons d'être le plus innovant possible, certes mais il est évidemment primordial que nous ayons l'adhésion de nos partenaires au concept. »

th_Decos-908-Oreca
La Peugeot 908 Arlequin était en compétition avec ces trois autres thèmes pour la déco 2010. Alors, à votre avis ?
th_LM_2010_Peugeot_Oreca

Parfois lorsque les équipes ont trouvé un thème graphique fort, par exemple, les McLaren chromées en F1, elles y restent fidèles durant plusieurs années sans vraiment le faire évoluer. Vous au contraire, dès 2009, tout en restant dans le même thème, vous avez bien fait évoluer le graphisme. Puis, nouvelle grosse évolution en 2010 sur la Peugeot. Pourquoi ce choix ?

« Je dirai que nous y étions quasiment obligés. Tout d'abord, entre la Courage LC70E de 2008 et la Oreca 01 de 2009, l'aéro a changé à 100%. Nous avions aussi une vraie volonté d'apporter de la nouveauté. Le concept Mondrian, en sport finalement n'est pas vraiment nouveau. Il l'est en sport auto mais il a déjà été utilisé dans d'autres sports (en cyclisme notamment avec La vie claire et Look). Donc nous voulions apporter chaque année par étape, de la modernité dans le concept. En 2009, en le traitant de manière oblique, on a ajouté un dynamisme supplémentaire à la voiture. On a également retrouvé un peu plus lignes de la voiture que l'on avait volontairement déstructurées en 2008.

Et pour 2010, l'idée a été de se dire : Si Mondrian était encore vivant cette année, sachant qu'il devrait composer avec le chrome, comment lui aurait pu imaginer faire cette voiture ? Bien sûr, c'est totalement imaginaire mais c'est ce qui a sous-tendu notre travail. Tout en tenant compte aussi du fait que la 908 étant une voiture fermée, elle se prêtait moins à une déco déstructurée. »

L'un des paramètres aussi dont vous devez tenir compte est le rendu que la voiture donnera en photographie ou sur les images télé ?

« Oui, évidemment et là, c'est le rôle de l'agence. Ce sont des professionnels de l'image et ils nous ont dit : avec ce thème, vous serez dans le vrai. Effectivement, nous avons eu d'excellents retours des gens d'Eurosport ou des photographes. D'ailleurs, il y a des parutions qui, même si cela peut paraître anecdotique, comptent pour moi. Lorsque pour illustrer l'annonce des 55 engagés, trois journaux choisissent une photo de notre voiture, cela nous conforte dans notre choix. Et puis finalement, cette année, Audi a fait un choix qui recoupe les trois points que j'exposais plus tôt : coloré, asymétrique et déstructurant. Modestement, je me dis que nous ne sommes pas vraiment trompés puisque eux, qui prennent certainement plus de temps que nous pour mettre leur décoration au point se basent sur les même fondamentaux que nous. »

Alors justement, puisque l'on parle de temps, combien en a-t-il fallu pour générer ce thème ?

« C'est assez difficile à quantifier. Le plus difficile est sûrement de créer le thème sans disposer dès le début de l'aéro définitive pour travailler. Et puis même si on la connait, le bureau d'études est toujours assez réticent à l'idée de la laisser partir à l'extérieur. Donc souvent, les éléments aéros nous arrivent très tard en création et cela rallonge un peu le processus. Malgré tout, je dirai qu'en un mois, un mois et demi, le concept est globalement défini à quelques détails près. »

Et sur le plan technique, combien de temps pour faire un arlequin par exemple ?

« Ah ça, les poseurs ne sont plus vraiment mes copains (Rires) C'est vrai que nous ne leur facilitons pas la vie. La première est toujours plus compliquée à réaliser car il faut définir les patrons. Donc pour la première, il faut deux jours à trois personnes. Après, cela va un peu plus vite. Il ne faut qu'une journée pour les suivantes. Et puis chez nous, c'est un peu compliqué. Chez Audi, par exemple, ils ont plusieurs coques à leur disposition. Ils en prêtent une au marketing qui a le temps de travailler. Nous n'avons qu'une seule 908. Et les mécaniciens travaillent dessus. Donc, nous n'avons que quelques créneaux à notre disposition pour travailler sur la déco. Il est difficile d'avoir la voiture complète durant 48 heures. Il nous faut souvent travailler avec une partie de la voiture seulement. Mais je dirai que tout le monde joue le jeu au maximum, les techniciens, les poseurs d'Hexis, tout le monde fait en sorte que ça se passe bien. »

Oreca étant désormais arrivé au terme de ce projet de trois années, verra-t-on apparaître un thème complètement différent en 2011 ? Ou fera-t-on simplement évoluer Mondrian maintenant que l'image du team varois y est très fortement associé ? Nous verrons bien. Il est toutefois quasi certain que Oreca continuera de jouer la carte du « look ». Il y a bien plus à y gagner qu'à y perdre...

Laurent Chauveau

Après Petit Le Mans qui va bien nous occuper la semaine prochaine, je vous proposerai un second article sur ce sujet. Nous y verrons en détails, les contraintes, les vicissitudes et peut-être aussi les frustrations du métier de créateur...