24H du Mans 2010 : Peugeot, amorce d'explications Imprimer Envoyer
Dimanche, 20 Juin 2010 16:18

th_LM_2010_Peugeot_3Comment cela a-t-il bien pu se produire ? Quatre Peugeot 908 au départ. Quatre voitures très rapides, les plus rapides en piste et qui nous ont donné une course palpitante. Mais quatre voitures qui ont dû se retirer avant le terme des 86400 secondes. Après un programme de préparation pourtant très dense, l'un des plus dense jamais vu pour Le Mans. Comment expliquer cela ? Je vous propose de tenter de comprendre ce qui a bien pu se passer pour terrasser ainsi l'équipe qui se présentait en tenant du titre.

La coque ? Pas normal.

Commençons par le cas de la 908 n°3 qui a abandonné la première à cause de cette faiblesse de la coque au niveau de l'ancrage de suspension. Notons qu'il s'agissait d'ailleurs de la coque victorieuse ici-même l'an passé : 908-06. C'est probablement le moins pardonnable des abandons des Peugeot car un problème similaire s'était déjà produit sur une coque de 908. C'était à Sebring en 2009 sur la n°07 et il avait fallu procéder à une réparation sur place qui avait fait manquer une journée complète d'essais. Coïncidence, la piste du Mans cette année, semblait avoir souffert de l'hiver rigoureux faisant surgir des bosses qui n'existaient pas, aggravant celles déjà connues. On s'en plaignait chez Audi, pas chez Peugeot. Mais même si les bosses, étaient restées ce qu'elles étaient en 2009, il semble probable que la coque aurait fini par lâcher car l'abandon est vraiment intervenu très tôt dans la course. Ni Bourdais, ni Pagenaud n'ayant eu le loisir de prendre le volant... Un problème déjà connu et pourtant non éradiqué : l'étude de 90X devra tenir compte de ces faiblesses enregistrées sur sa devancière.

Voyons maintenant le cas des problèmes moteurs. Ce n'est pas la première fois qu'un moteur Peugeot casse au Mans. En 2007 lors de la première participation, la n°7 avait abandonné à 2H30 de l'arrivée pour cette raison. Mais la voiture en était encore à ses débuts et surtout, depuis lors, cela ne s'était plus jamais produit. Le V12 HDi FAP s'avérait même être l'un des atouts maîtres de l'auto. Alors pourquoi cette série de problèmes cette année ? On peut tenter une première explication. Depuis début 2009, l'équipe Peugeot pensait que sa 908 pourrait être dominée par la toute nouvelle R15, plus récente. Trop jeune et trop peu éprouvée, cela ne s'était pas vérifié l'an passé et la R15 avait été clairement dominée par la 908. Audi ayant remis sur le métier son ouvrage dès l'après Le Mans 2009, Bruno Famin en tête pensait de nouveau que la R15 Plus pourrait être plus rapide que la 908. Et cela semble assez logique. D'autant plus si l'on songe que l'équipe Peugeot Sport, de par le report du nouveau règlement à 2011, devait donner une saison de plus que prévue à la 908. Celle-ci avait en effet été créée pour durer trois saisons : de 2007 à 2009. Le staff Peugeot Sport a donc dû tirer le parti ultime de la 908, rognant probablement encore un peu plus sur les marges de sécurité pour demeurer compétitif. Un peu trop visiblement.

Trop vite ? Non.

On reproche, ici et là, à Peugeot Sport d'avoir imprimé un rythme de fou à l'épreuve. Je ne partage pas ce point de vue. Si vous possédez une voiture un peu plus rapide que celle de la concurrence, il est normal de chercher à se donner une petite marge de sécurité pour mieux absorber les impondérables d'une course d'endurance. On a roulé fort chez Peugeot en début de course, certes, mais durant la nuit, on a réellement assuré dans la mesure du possible. Du moins avec les deux voitures qui avaient été épargnées par les pépins. D'ailleurs, pouvait-on assurer encore plus lorsqu'à mi-course, la première Audi se trouve toujours être dans le même tour que la Peugeot de tête ? Pas vraiment, il me semble. Il est vrai que le jour étant revenu, la n°2 venait de reprendre un rythme plus élevé mais avec une Audi si proche, cela semble légitime. Surtout que le petit matin est en général propice aux performances. Puisque problème il y a, il ne me semble être plutôt technique, pas tactique. Onze simulations avaient été menées avant ces 24 Heures (chiffre hallucinant par ailleurs...) et cela n'a pas suffi à faire apparaître ces problèmes moteurs. Preuve que Le Mans ne se simule pas aisément, ce circuit est vraiment trop particulier. Audi Sport l'avait d'ailleurs prouvé en 2009 malgré son immense expérience, il ne faut pas l'oublier. Il y a donc eu un problème de validation technique ce qui doit obliger à revoir les processus internes à l'avenir.

Certains pensent également qu'il aurait fallu aligner au moins une 908 en configuration 2009, version connue et fiable, pour assurer le coup. C'est ce que faisaient souvent les équipes par le passé (Matra, Renault, Porsche, Mazda). Pourquoi pas même s'il semble difficile d'imaginer que cette version eut pu inquiéter les Audi. Le meilleur tour de 2009 est de 3'24"352 à l'actif de la 908. Le meilleur d'une Audi cette année est de 3'21"541. Certes, la zone du virage Porsche a été resurfacée, les pneus Michelin ont sensiblement évolué mais cela aurait il suffi ? Et surtout, sommes-nous si sûrs que cette version aurait mieux tenu ? N'oublions pas que, comme le disaient les pilotes Peugeot en 2009, la course n'avait duré que 12 heures. Lors de la seconde moitié, Audi étant distancé, les pilotes des 908 avaient roulé à leur main, sans forcer. Voilà qui n'a peut-être pas non plus permis de mettre en évidence un problème latent sur le moteur et surtout, fausser un peu plus les processus de validation hivernaux. Bien sûr, ce n'est que pures spéculations.

Après les pit-stops, ça coince...

th_LM_2010_Peugeot_2Les trois abandons qui mettent en cause le moteur se ressemblent au premier abord mais si l'on y regarde d'un peu plus près, il semble qu'il faille distinguer ceux des n°2 et 4 de celui de la n°1. Alexander Wurz connait son problème entre Mulsanne et Indianapolis mais parvient à ramener sa voiture fumante aux stands. Il est au beau milieu de son relais et il ne se dégage pas de flammes. Franck Montagny et Loïc Duval, quant à eux, venaient juste de repartir des stands, premier point commun. Leur auto dégage des flammes, second point commun. Ils ne peuvent même pas la ramener aux stands, troisième point commun. L'ensemble des moteurs est actuellement en démontage et analysé chez Peugeot Sport et il faudra encore une bonne semaine avant que l'équipe ne communique sur ce qu'elle va découvrir. En attendant, tentons une analyse, en sachant qu'un trou est apparu sur le carter moteur de l'une des 908 au moins. Un arrêt ravitaillement est un moment crucial et délicat pour un moteur. Alors qu'il était sollicité à plein, le moteur est soudainement stoppé. Cela a des conséquences évidentes sur le refroidissement. Bien que le circuit de refroidissement soit à l'arrêt, le bloc lui-même continue tout de même d'être refroidi par le liquide qu'il contient. Mais c'est moins vrai pour l'embiellage et notamment pour ce qui concerne le piston. Il se peut donc qu'un différentiel de dilatation se crée entre la chemise et le piston. Pour simplifier, disons que le logement devient trop petit pour le locataire. Lors du redémarrage, surtout lorsque l'on est à l'attaque, le piston pourrait donc frotter sur les parois au-delà de ce qui est coutumier créant des efforts hors-norme, voire dévastateurs dans le cas des 908. Ce problème est d'autant plus vrai pour Peugeot qui se trouve au début des stands. Le moteur passe véritablement sans transition de la pleine charge à l'arrêt. Dans le cas d'Audi, il y a les 230 mètres de la ligne droite des stands franchis à 60 km/h qui offrent une phase transitoire bienvenue. L'explication vaut ce qu'elle vaut. Elle sera peut-être bientôt infirmée par les explications de Peugeot. Toujours est-il que la n°2 et la n°4 me semblent avoir connu exactement le même problème. Un piston ou une bielle ont dû traverser le bloc, l'huile se répandre sur les turbos ce qui expliquerait les flammes. Dans le cas de la n°1, cela semble moins évident car, même si l'huile se répandait sur la piste et dans le stand, le moteur tournait encore. Malgré tout, il faut bien constater que la perte de puissance fut également brutale.

Autre point, dans le cas de la n°2, l'abandon se produit alors qu'elle était en tête et loin de l'arrivée, preuve que ce moteur ci, de toute façon, devait lâcher. C'était écrit. Mais on peut en douter pour les n°1 et 4. Voyons pourquoi. Ces deux voitures étaient sollicités au maximum pour remonter le retard pris plus tôt sur d'autres problèmes techniques inédits. Un cardan apparemment sur celle du team Oreca et un court-circuit sur la n°1. Comment expliquer ces problèmes jamais survenus auparavant avec un programme de validation aussi dense ? Bruno Famin admet que c'est inacceptable et qu'il va falloir revoir les processus. Il faut tout de même nuancer car, dans le cas de la 908 Oreca, dix minutes avant son arrêt pour changer l'arbre de transmission, un contact était survenu vers le virage du karting avec la Lola Rebellion n°12. Ceci explique-t-il cela ? Fort possible... On se souvient qu'en 2009, peu de temps avant son arrêt pour changer la transmission, Sébastien Bourdais avait escaladé durement un vibreur au ralentisseur Ford. Il n'en reste pas moins vrai que l'on peut penser ces problèmes initiaux comme étant la cause réelle des problèmes moteurs de fin de course. Avec près d'un quart d'heure d'arrêt pour ces deux autos, il fallait forcer le rythme pour remonter. Surtout lorsque Audi a pris le contrôle de l'épreuve. Sans ces fameux problèmes techniques annexes, on peut tout imaginer. Que les n°1 et 4 aient pu contrôler la course comme l'an passé. Que les pilotes auraient eu la possibilité de ménager le moteur en repartant des stands. Il manque deux heures à la n°1 pour tenir les 24. Une seule à la n°4... Est-ce si utopique de penser que les moteurs auraient tenu si les pilotes n'avaient pas été contraints de les solliciter à fond si longtemps ? Certes, là, je suis en train de « refaire le match » mais ces bleus là, eux, ont vendu chèrement leur peau, n'ont pas manqué d'engagement. Ils ont fait le spectacle et nous ont donné l'un des plus beaux suspense de ces dernières années. Ils se sont juste trompés d'une petite décimale ici et là... C'est dramatique en terme de résultat brut mais étant donnés la complexité de l'épreuve et le niveau de la concurrence, cela me paraît excusable, ou à tout le moins, compréhensible. A condition d'en tirer toutes les leçons pour l'avenir.

Je l'ai dit dans mon article de dimanche dernier, je n'ai pas souvenir qu'une telle déroute se produise dans le camp des tenants du titre. Ferrari perd en 1966 face à Ford mais les P3 étaient moins rapides que les MkII. Porsche s'incline en 1988 face à Jaguar mais termine tout de même second. Je ne vois que 1952 ou Jaguar perd très vite ses trois Type C suite à des problèmes de refroidissement. Mais l'impact de cette défaite avait-il l'ampleur de celle survenue à Peugeot le week-end dernier. J'avoue être un peu jeune pour m'en rendre compte.

Il y a tout de même une similitude troublante. Avec 1977. A l'époque, Renault s'implique à fond au Mans et engage trois Renault Alpine A442 turbo. Gérard Larrousse, comme Olivier Quesnel, décide également d'en confier une quatrième à une équipe privée. 24 Heures plus tard, après avoir dominé l'épreuve jusqu'au matin, aucune des A442 n'est à l'arrivée. La quatrième était confiée à... Oreca ! Troublant, non ? Mais un moteur Renault sauvait l'honneur dans une Mirage en allant chercher la seconde place...

th_LM_2010_Peugeot_1Et si c'était plus simple ?

Et puisque l'on en est à évoquer l'histoire, il faut aussi se souvenir de 1970 et de la mésaventure des Matra cette année là. Deux MS650 sont alignées aux côtés de la toute nouvelle MS660. Le début de course se passe relativement bien jusqu'à ce que les moteurs commencent à perdre de leur puissance et à consommer de l'huile. A la 7ème heure, le sort en est jeté, il n'y a plus aucune Matra en piste. Les trois autos ont abandonné dans la même demie-heure. L'explication vient tout simplement des segments qui sont défaillants et qui, trop poreux, ont laissé l'huile remonter dans la chambre. Aussi, il ne faut pas oublier cet épisode et se dire que Peugeot Sport a peut-être également été victime, tout simplement, d'un lot de pièces défaillantes. Dans tous les cas, l'explication de la défaite de Peugeot ne me paraît être que technique. Pas tactique ou sportive.

Laurent Chauveau