24H du Mans 2010 : Inquiétude chez Audi Imprimer
Jeudi, 10 Juin 2010 16:10

th_Audi_8_offOn ne s'attendait pas à ça. Que la « vieille 908 » domine à ce point la première journée d'essais sur le circuit du Mans en a surpris plus d'un. Qu'elle demeure une excellente voiture pour Le Mans, nul n'en doutait mais qu'elle creuse un tel écart (3"8 après 6 heures d'essais entre la meilleure Peugeot et la meilleure Audi) était pour le moins inattendu. La faute à une 908 souveraine ou à une R15+ encore mal adaptée à ce tracé si particulier ? Un peu des deux probablement, mais hier, en bord de piste, l'impression visuelle laissait à croire que la R15+ demeurait plus « sautillante » que la 908. Aux mains de Benoît Tréluyer, la n°8 a même effectué un belle embardée à l'endroit même ou Benoit avait connu sa mésaventure fatale avec la 908 Pescarolo. Au passage de la bosse située à l'endroit ou le circuit Bugatti se sépare du grand tracé, la R15+ partait subitement dans un immense 360°. Coup de chance, Benoit pouvait récupérer le contrôle de son auto dès qu'elle recroisait la piste et tirer droit dans le long bac à graviers sans rien toucher. Il repartait sans encombre. Ouf...

Pour mieux comprendre cette soirée compliquée, rencontre avec les deux pilotes français du clan Audi, Romain Dumas et Benoit Tréluyer.

Vue de l'extérieur, votre séance d'essais a été compliquée. Et de l'intérieur ?

Romain : « Non, pas vraiment. Le point positif, c'est que l'on a connu une séance vierge de tout problème, les voitures ont pu rouler et effectuer le programme prévu. La voiture va plus vite que l'an passé. Elle est plus sympa à conduire alors qu'elle était délicate en 2009. Maintenant, c'est difficile de comparer entre Peugeot et nous. Eux, ils posent l'auto sur la piste et ils connaissent le set-up par cœur. Nous, on la découvre car elle a été beaucoup modifiée par rapport à 2009. Ils peuvent donc se permettre de partir à la chasse à la Pole en fin de séance sans risque. Nous, cela nous ferait perdre du temps sur notre planning. »

Benoît : « Je trouve qu'on est très bien dans les chicanes. La voiture y est vraiment efficace. Un autre point positif, c'est que l'on est économe avec nos pneus. J'ai fait un relais complet hier et mes pneus étaient encore très bien à la fin. C'est un atout important ici. »

Mais comment expliquez-vous l'écart avec la 908 alors ?

Romain : « Moi, je dis chapeau à Peugeot car c'est en ligne droite qu'ils creusent l'écart. C'est assez frustrant car moi, je trouve que notre auto est vraiment bien, agréable à conduire. Il reste le comportement sur les bosses à régler mais sinon, c'est sympa. Sur les bouts droits,ils creusent l'écart. Je ne les pensais pas capables de trouver autant de chevaux sur une auto vieille de 4 ans. Déjà l'année dernière, c'était incroyable mais là, ils ont gagné des chevaux par dizaine et dizaine. » (NDLR : l'auto de Romain a été chronométrée officiellement à 335 km/h mais Romain parle lui plutôt de 340 contre 347-346 aux 4 Peugeot. L'Audi n°7, quant à elle est aussi à 346 km/h comme les Peugeot.)

Benoit : « Il faut aussi voir qu'avec cette auto, à chaque fois que l'on est arrivé sur un nouveau circuit, on n'était pas bien le premier jour. Et puis, après avoir donné notre feeling aux ingénieurs et après une journée de travail des techniciens, on retrouvait une auto bien plus performante, capable de sortir des chronos très satisfaisants. »

Romain : « Etant donné qu'on n'a posé la voiture qu'hier sur la piste, je pense que l'on peut encore l'améliorer. On peut notamment travailler le freinage, tenter de gommer le sous-virage. Mais pour avoir le temps de travailler cela, il faut que la météo soit de notre côté. On prévoit une course sèche donc on n'a rien à apprendre sur le mouillé. Or pour ce soir, on attend la pluie... Ce ne serait pas bon pour nous, ça... » (Au moment ou ces lignes sont écrites, c'est le déluge dehors !)

Benoit : « On a peut-être un problème d'amortissement aussi. Et le fait de n'avoir qu'une boite à 5 rapports, je ne sais pas, il faut voir mais peut-être que cela nous handicape aussi face aux 908 qui en ont 6. La boite ou un petit manque de puissance moteur, c'est à voir. »

Benoit, tu m'as fait une frayeur hier en partant en tête à queue juste devant moi...

« Je me suis fait une frayeur aussi et je peux te dire que ça m'a calmé. En fait, je n'ai pris la piste que de nuit. Donc mes collègues m'avaient prévenu que cette bosse était un peu délicate. Premier tour, je me méfie, je passe cool et la voiture passe sans problème, pas la moindre réaction. Au second tour, je passe un peu plus fort et dès le passage sur la bosse, elle part. J'ai fait un 360°... Ca m'a rappelé de mauvais souvenirs mais ça s'est bien terminé. J'ai terminé mon relais en étant très prudent dans ce passage. Mais je ne suis pas inquiet pour la course. L'avantage, c'est que je connais bien la voiture. Quelques tours de jour pour retrouver mes repères et je serai dans le rythme. »

Romain : « De toute façon, il est clair que sur les deux bosses du circuit, la voiture est délicate, limite piégeuse. A cet endroit là et juste avant le virage Porsche, là ou Lucas Luhr est sorti l'an passé, c'est délicat. Mais on vient juste de poser la voiture sur cette piste, il nous faut encore un peu de temps donc vraiment si cette météo se confirme, cela ne nous arrange pas. A double titre. Parce qu'elle nous prive d'un roulage dans les conditions de course, tout d'abord. Mais aussi parce que la pluie va laver la piste et lui faire perdre de son grip offert par les dépots de gomme. Nous, on pourrait rouler avec moins d'appuis pour retrouver de la vitesse de pointe mais il faut pour ce la que la piste offre du grip mécanique, qu'elle se gomme. La pluie va enlever ce grip qui nous serait utile. »

Benoît : « Moi aussi, c'est clair que j'aimerai bien que la pluie ne tombe pas trop. Ne serait-ce que pour laisser Allan tenter un rapproché des Peugeot. Ca serait bon pour le moral. Et puis Allan, si tu le mets dans l'auto dans les bonnes conditions, il ne va pas pouvoir se retenir... »

On a vu hier, des situations assez « improbables » au niveau du trafic en piste, des trajectoires assez aléatoires, c'est votre avis aussi ?

Romain : « C'est clair que ça ne va pas en s'arrangeant. Certains pilotes sont vraiment très lents. Quand tu rentres dans le virage Porsche, qui est carrément aveugle, derrière le coéquipier de Bouchut qui est à 150 km/h, c'est carrément dangereux, tu n'as pas le temps de freiner ! Pareil en LMP2 avec le fait qu'ils imposent, en Europe, la présence de pilotes amateurs. Il y en a qui ne roulent même pas à la vitesse maxi en rentrant à leur box dans la pit-lane ! Ils se garent n'importe comment devant leurs stands. Il faut faire attention ! D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle je pense que la course n'est pas du tout jouée. C'est sûr que si il y a trop d'écart entre Peugeot et nous, l'un des deux va pouvoir gérer plus tranquillement ces dépassements mais sinon, franchement, ce n'est pas joué. La course n'est vraiment pas faite. »

Vous semblez déçus, surpris de la soirée d'hier.

Romain : « Déçu... Oui si on regarde les performances pures. Mais vraiment, je trouve que la voiture est bien mieux que l'an passé. J'ai fait un relais complet entre 3'25" et 3'27". C'est mieux que l'an passé. Mais le problème, c'est que dans le même temps, Peugeot fait des relais entre 3'22" et 3'25"... »

Benoit : « Hier à la pause, je pense que la Dr Ullrich était lui aussi un peu surpris par les performances de Peugeot. Allan a bien passé un train de pneus soft (Timo en a fait de même sur la 9) mais il a eu du trafic donc c'est difficile de comparer directement les deux autos. On n'a pas cherché à rouler à vide non plus. Bref. A priori, on a du travail mais il reste ce soir... »

A la sortie de cet entretien, on sent bien poindre une forme de frustration chez Romain, conscient de posséder une auto confortable pour la course mais qui manque de vitesse de pointe. Benoit est probablement un peu plus confiant dans la capacité de réaction des ingénieurs Audi. Bruno Famin quant à lui, pense que Audi a caché son jeu hier soir. Pour ma part, j'en doute sérieusement. Quel que soit le moment de la séance, les R15+ ont toujours été derrière les 908 et l'écart a toujours été là. Montagny et Duval ont sorti les chronos, lors de la séance libre, au cours d'une simulation de relais. Ils étaient en perpétuelle amélioration et Loïc, notamment, a signé son chrono lors de son 10ème tour environ. Il ne bluffait pas, lui qui pourtant est celui qui connait le moins la 908 des douze pilotes peugeot... La deuxième séance donnera-t-elle l'occasion à Audi d'améliorer le comportement de sa R15+ ? C'est à souhaiter. Autant pour la firme aux anneaux que pour nous. A la seule vue de la séance d'hier, la course pourrait bien ressembler à celle de 2009... Nul ne le souhaite, on la veut cette bagarre à couteaux tirés.

Laurent Chauveau