Lorsque les V12 ne miauleront plus... Imprimer
Mercredi, 26 Novembre 2008 22:46

th_1949_LM_Ferrari_166MMD’un simple trait de plume, le législateur des 24 Heures du Mans a rompu avec 50 ans de tradition en endurance. Les prototypes de 2011 ne pourront plus accueillir, dans leurs entrailles, des moteurs comptant plus de 8 cylindres.

Pour les 10 et encore plus emblématiques 12 cylindres, c’est « par ici la sortie ». Enzo Ferrari doit en faire une volte dans sa dernière demeure ! Pauvre Commendatore, lui qui, par l’entremise de Luigi Chinetti, avait offert au V12, cette architecture moteur mythique, sa première victoire mancelle dès l’édition de la reprise en 1949… Les V10, Flat 12 et V12 remisés au musée, c’est Le Mans qui tourne le dos à son passé : Ferrari, Porsche, Matra, Jaguar, Peugeot, BMW et… Audi avec son V12 turbo diesel pour ne citer que les marques victorieuses ! Alors pourquoi en est-on arrivé là ?

De tous temps, les législateurs du sport automobile sont obligés de détricoter d’une main ce que les ingénieurs tissent de l’autre. C’est la lutte contre la vitesse. Cela peut paraître incroyable dans un sport où, justement, la vitesse est reine mais c’est également logique si l’on tient un tant soit peu à la sécurité des pilotes, des commissaires mais également du public. On ne compte donc plus, toutes disciplines confondues, les multiples réformes destinées à freiner les voitures. Si l’on s’en tient strictement à l’endurance, après les moyennes records de 1967, la CSI (la FIA de l’époque) décide d’interdire les 7 litres en compétition, boutant Ford hors de la compétition. Seules les Sport 5 litres et les Prototypes 3 litres sont admis. Mais Porsche et Ferrari trouvent une faille dans le règlement, créent alors la 917 et la 512 et les records explosent de nouveau en 1971 ! Les Sport sont définitivement rayés de la carte et les Prototypes 3 litres prennent le premier rôle. En 4 ans, la cylindrée maxi a perdu 4000 cm3 !

L'éternel défi des ingénieurs aux législateurs...

Au début des années 90, les Sport 3,5 litres offrent des performances phénoménales avec un niveau d’adhérence énorme grâce à des appendices aéros très efficaces. En 1993, sous un soleil radieux, les trois Peugeot 905 s’imposent et la n°3 atteint de nouveau la barre des 5100 km parcourus en 24 Heures. Dès 1994, le règlement ralentit furieusement les voitures. Un peu trop probablement. De 3’27" en 1993, le record du tour en course chute à 3’52" en 1994 ! 25 secondes, excusez du peu. Il faut dire que le règlement agit à la fois sur l’aéro et sur la puissance en introduisant un élément que nous connaissons aujourd’hui très bien : les brides d’air à l’admission…

L’histoire, en endurance comme ailleurs, est un éternel recommencement. Et après les chronos records vus en cette édition 2008 des 24 Heures, nous voici donc, pour des raisons de sécurité, de nouveau plongés dans une période de « ralentissement ». De 5,5 litres aujourd’hui, les turbo diesel ne pourront plus cuber « que » 3,7 litres en 2011. De 6 litres en atmo et 4 litres en turbo, les moteurs essence devront se contenter de 3,4 litres pour les premiers et 2 litres pour les seconds. Soient les valeurs du LM P2 actuel mais avec un poids qui reste à 900 kg, celui des LM P1... En attendant de connaître les lois aérodynamiques qui seront imposées, on peut d’ores et déjà penser que les performances seront donc sérieusement revues à la baisse en 2011. Prenons pour base de calcul la meilleure LM P2 européenne de cette saison, la Porsche Van Merksteijn. Elle a tourné durant la course des 24 Heures du Mans en 3’34"188. Avec 9% de masse en plus soit 900 kg en 2011 au lieu des 825 de 2008, des pneus de 16 pouces de large au lieu des 14 actuels, un aileron de 1,6m de large au lieu de 2, quel chrono serait-elle en mesure de réaliser ?

Les ingénieurs tablent, pour une LM P1 actuelle de 900 kg, sur un déficit de 0,4 seconde au tour au Mans par dizaine de kilogrammes supplémentaire. Autrement dit, une voiture de 910 kg roulera, toutes choses égales par ailleurs, 4 dixièmes de seconde moins vite qu’une de 900. Une règle de trois indique donc qu’une P1 de 975 kg perdrait 3 secondes pleines pour couvrir les 13,6 km du Mans. Appliquée à une LM P2, cette règle devrait être encore un peu plus pénalisante car sa masse initiale est plus faible. Chaque dizaine de kilogrammes supplémentaire prendra donc une importance encore plus grande qu’avec une P1. Si l’on ajoute à cela le déficit aérodynamique imposé par les pneus plus larges et la diminution de la largeur de l’aileron, on peut imaginer que notre RS Spyder 2008 embarquant 75 kg de plomb, devrait rouler entre 5 et 6 secondes moins vite par tour, toujours sur la piste sarthoise. Ce qui placerait le meilleur tour en course aux alentours de 3’39"-3’40".

Entre 3'36" et 3'37" au tour dès 2011 ?

Le calcul vaut ce qu’il vaut. Il n’inclue pas les progrès que les ingénieurs apportent chaque année à leur voiture et qui, en spéculant un peu, pourraient ramener ce chrono aux environs des 3’36"-3’37" en course dès 2011. Il n’y a là rien d’infamant même si c’est évidemment très loin des sommets atteints cette année. Cela nous ramène tout simplement au niveau de 2005… Mais il ne faudrait pas que l’ACO ajoute à cela des mesures aérodynamiques particulièrement restrictives, ralentissant plus encore les voitures. L’on sait que le seuil de sécurité fixé par le club sarthois est fixé aux alentours des 3’30" au tour. On est là au-dessus, il est inutile de s’en écarter encore plus. Il est donc urgent maintenant de connaître cette définition aéro des futurs LM P1 2011, histoire de s’assurer que l’on ne connaîtra pas un saut en arrière comparable à celui de 1994. Ce serait par trop dommageable pour le spectacle…

Une chose est sûre en tout cas, un tel recul des performances risque de redonner aux GT1 un bon niveau de compétitivité. Certes, pour en juger avec acuité, il faut encore attendre de connaître le prochain règlement de cette catégorie applicable en 2010. Mais cette année, cette fameuse Porsche Van Merksteijn a terminé avec 10 tours d’avance sur l’Aston Martin DBR9 victorieuse du GT1… Ces deux voitures ont connu une course assez claire et donc comparable. De combien cette marge sera-elle réduite en 2011 ? Surtout si les GT1 conservaient leur capacité actuelle de 90 litres de carburant contre 75 aux protos essence de 2011 (68 pour les diesel). Elles repasseraient donc bien moins souvent par les stands que les prototypes ce qui n’est pas un mince avantage. Il nous manque toutefois encore trop de données à ce jour pour aller plus loin dans nos projections.

Lighter is better, isn't it ?

Une autre raison avancée par l’ACO pour introduire cette nouvelle réglementation est de s’aligner sur un phénomène qui se produit dans la grande série et qui vise à réduire les cylindrées pour réduire les consommations. Certes, mais cela s’accompagne également d’une prise de conscience (récente certes, mais réelle) de la part des constructeurs de la nécessité de réduire les masses. Or, ce règlement 2011, lui, ne va absolument pas dans ce sens. Au contraire finalement. Puisque une LM P2 actuelle pourra sans effort passer en P1 en 2011. Sans effort autre que celui de s’engraisser de 75 kg ! Voilà un « progrès » qui ne va ni dans le sens de l’histoire, ni dans celui de l’écologie. Puisque certains paramètres sont déjà prévus pour freiner les voitures, pourquoi avoir également maintenu cette valeur de 900 kg ? Autant, pour les LM P2, maintenir un poids élevé permet d’utiliser des matériaux moins légers et donc moins coûteux ce qui a du sens pour des autos réellement destinées aux privés, autant cela en a déjà beaucoup moins pour la catégorie de pointe. N’eut-il pas été possible de conserver une masse mini de 825 kg pour les LM P1 ? D’autres éléments sont déjà là pour freiner les autos, pourquoi avoir également agi sur le poids ? Les LM P1 de 2011 rouleront moins vite que les LM P2 de 2008. On peut s’en étonner.

Quant aux petites LM P2, elles se contenteront d’environ 420 chevaux pour remuer leurs 900 kg… Les GT1 vont probablement les croquer comme des flèches sur les portions rapides ! Voilà qui va un peu à l’encontre de la hiérarchie des chronos souhaitée, il y a peu de temps encore, par les responsables de l’ACO : les P1 devant les P2 puis les GT1 et enfin les GT2. Là encore, il nous faut prendre connaissance des futures normes du GT1 mais il va falloir sérieusement les ralentir elles aussi si l’on veut se tenir à cette échelle des valeurs.

L’écologie est à la mode à notre époque et à Silverstone, il nous a été annoncé que ce règlement se voulait également plus respectueux de l’environnement. Nous ne le contestons pas. En cette période assez autophobe, on souhaite éviter de se mettre à dos les « verts ». Mais autant, on peut comprendre que la baisse imposée du volume sonore des voitures permettent de se faire moins d’ennemis parmi les non-amateurs de la course automobile (et notamment les riverains), autant diminuer la cylindrée maxi semble être une mesure vaine. Pour un écologiste convaincu et activiste, faire des ronds sur un circuit sera toujours inutile, voire incivique, qu’on le fasse avec un V12 de 6 litres ou un V8 de 3,4 litres. Si les verts décident un jour que la course automobile est un « ennemi à abattre », ce n’est malheureusement pas ce règlement qui y changera quelque chose car à leur goût, on continuera d’utiliser du pétrole pour des futilités. Il est difficile de croire que cela permette à la course de retrouver un côté « politiquement correct ». On peut, de ce point de vue, croire un peu plus en l’acceptation des hybrides qui ont le vent en poupe dans l’opinion publique.

Cela ne signifie pas qu’il ne faille rien faire pour consommer moins d’or noir. Mais il nous semble dommage, surtout en cette période économiquement troublée, de changer aussi fondamentalement, des règles qui fonctionnent ! Et de forcer les équipes à des investissements lourds. Tout en créant une nouvelle période de transition de deux ans ! Il est à cet égard, assez incroyable et admirable, que Acura ait persévéré dans son envie de s’impliquer en LM P1 avec une voiture qui ne pourra rouler que durant deux saisons. Audi va-t-il en faire de même ? La réponse ne devrait plus tarder…

Vive la diversité !

Et puis, à une époque où la F1 est tombée dans la monoculture du V8, fallait-il absolument la copier ? Il y a tout de même quelque chose de flatteur pour un constructeur à vanter dans des pages de pub, son V12 de compétition. On n’enlèvera pas de sitôt l’image glamour de ces moteurs et l’attrait marketing qu’ils auraient pu offrir pour de nouveaux constructeurs. Au lieu de ça, il leur faudra s’aligner sur ce que fait la concurrence avec peu de chance de se démarquer. Est-ce réellement intéressant et attractif pour des décideurs ?

Enfin, il est un autre point également à aborder, probablement un peu plus futile mais non négligeable. Que vont penser les fans de cette uniformité au niveau sonore ? Certes, il n’y aura pas que des V8 atmos, il y aura également des 4 cylindres turbo. Mais ceux-ci n’ont jamais été enthousiasmant par le bruit qu’ils délivrent. Votre serviteur, comme nombre de fans, a été bercé par les moteurs du groupe C. La fin des années 80 offrait une richesse sonore incroyable. 20 ans plus tard, les souvenirs qu’elle laisse sont indélébiles. Le son rauque et vibrant du V8 Aston Martin de 6 litres, celui un peu plus feutré mais également très présent du V8 turbo Mercedes, les envolées incroyables du fabuleux quadrirotor Mazda, les feulements puissants du V12 Jaguar, les régimes fous pris les V10 3,5 litres atmos, le tout ponctué par les passages reposants du flat 6 turbo Porsche. La nostalgie n’est pas toujours bonne conseillère mais il est certain que l’univers sonore de 2011 sera moins agréable et varié à l’oreille que celui des eighties ou même d’aujourd’hui. Alors espérons que Lamborghini, Ferrari ou Aston Martin nous offrent encore des GT1 équipées de bon gros V10 ou V12 atmosphériques. Pour faire vibrer les fans… Mais il paraît dommage que la catégorie de pointe ne soit pas, elle, en mesure d’offrir ces sensations là. Si les spectateurs se souviennent avec émotion des petites Lola MG officielles de 2001 et 2002, c’est plus pour leur rôle de « poil à gratter » des Audi que pour le bruit de leur moteur…

Si nous regrettons certaines des mesures de cette réglementation 2011, nous ne prônons pas pour autant l’immobilisme. La diminution de la capacité des réservoirs impose d’une certaine manière, de mieux maîtriser encore sa consommation afin de ne pas perdre de temps dans les stands en y refaisant trop souvent le plein. Même si ce n’est pas cela qui convaincra un écologiste, cela reste un bon point. Ne serait-ce que pour notre bonne conscience de fan de la course auto…

Susciter l'attrait...

Comme nous l’avons déjà dit, l’acceptation des hybrides va également dans le bon sens. Elle peut être attractive pour les constructeurs cherchant à vanter leur système appliqué en série, on pense notamment à Toyota ou à sa filiale luxe, Lexus, mais également à Peugeot qui, à cette époque là, offrira des hybrides-diesels en série. Il faudrait également ouvrir rapidement le règlement aux autres motorisations du futur. Sans attendre qu’un constructeur n’en fasse la demande. Il faut précéder celle-ci afin de la susciter. Reste toutefois à définir une équivalence avec les motorisations classiques ne souffrant pas la moindre critique. Histoire de ne pas retomber dans certaines polémiques récentes et pas forcément tout à fait éteintes…

Il faut aussi et surtout s’attaquer au problème de l’aérodynamique, non pour freiner encore les autos, mais bel et bien pour éviter leurs envols vus en nombre cette année. En revoyant récemment l’explosion du pneu sur la Courage PBR de Yann Clairay en 2006 entre Mulsanne et Indianapolis, l’on se dit que le problème n’est pas nouveau. L’envol latéral n’était pas loin sur ce coup là déjà… La réduction de la largeur de l’aileron à 1,6 m dès 2009 a été introduite pour cela. Mais dans le cas d’une défaillance mécanique à 300 km/h suivie d’une mise en travers, elle n’empêchera probablement rien. La FIA travaille en ce moment sur le sujet. Certaines autres petites mesures pourraient être appliquées dès 2009. Il est, là aussi, urgent d’en prendre connaissance pour que les équipes aient le temps de les intégrer sans trop improviser. Toutes n’ont pas la capacité de réaction d’une équipe d’usine ou des meilleurs privés… Pour 2011, c’est probablement le concept global du fond actuel incliné à 7° qui devra être revu. Histoire d’empêcher l’air de s’engouffrer sous l’auto.

Il y a bel et bien des choses à faire, du côté du règlement, pour négocier au mieux le passage des années 2000 aux années 2010. Mais fallait-il pour autant se passer de nos beaux V10 et V12 ? La question méritait d’être posée…

Laurent Chauveau