Henri Pescarolo : "J'attends 2012 avec curiosité" Imprimer Envoyer
Mercredi, 19 Octobre 2011 19:04

Henri_Pescarolo7% de moins. C'est le chiffre annoncé par l'Automobile Club de l'Ouest. 7% de puissance en moins pour les tenants du moteur diesel. 7% destinés à redonner un peu de vigueur au « clan de l' essence ». Mais 7%, est-ce suffisant ? Qu'est-ce que cela représente en secondes, sur un tour au Mans ? Henri Pescarolo a accepté de répondre une nouvelle fois sur ce sujet. De répondre longuement...

Henri, l'ACO annonce une réduction de puissance des moteurs diesels pour 2012 de 7%. Cela te parait-il cohérent avec les chiffres annoncés de réduction du diamètre des brides d'air d'admission et de la pression de turbo ?

« Malheureusement, je n'en sais rien. Il n'y a qu'un diéséliste qui puisse répondre. Le problème de ces moteurs est que personne n'est en mesure d'en évaluer leur potentiel de développement. Car des diminutions de puissance, il y en a eu tous les ans. Mais chaque année, ils reviennent avec au moins la même puissance. Autant avec un moteur essence, on sait qu'une diminution du diamètre des brides de 10% implique une perte de puissance de 10%, c'est mathématique. Autant avec un diesel, si on réduit le diamètre des brides et la pression de 10%, on ne sait pas avec précision ce que cela signifie en terme de perte de puissance. Nous n'aurons la réponse que lors de la première course. Le problème est que le potentiel de développement des diesels est considérable. Et ce n'est pas moi qui le dit mais Ullrich Baretzky, le responsable des moteurs chez Audi. Si l'on parvenait à verrouiller leur développement et à baisser leurs brides et pression de turbo, je ne sais même pas si on parviendrait à baisser leur puissance car on ne contrôle pas la pression d'injection. Donc je suis incapable de répondre à cette question.

Ce que je suis capable de dire, c'est que je pense que l'arrivée de gens tels que Denis Chevrier, ex-Renault F1, ont permis de mieux comprendre ce qu'il se passe plus précisément. Toutefois, je sais que le premier règlement de l'ACO partait sur une réduction de 10%. Maintenant, il n'est plus question que de 7%. Je reste positif mais je demande à voir...

D'autant que Claude Galopin, le responsable technique de Pescarolo Team, a fait ses petits calculs. Pour compenser ces 3% « manquants », on a décidé de diminuer la capacité des réservoirs des diesels de cinq litres. Parallèlement à cela, on a remis des diamètres de brides de ravitaillement identiques pour les essences et les diesels. Et bien lorsque l'on fait la somme de tous ces facteurs, sur la durée de la course, assez bizarrement, c'est à l'avantage des diesels. Ce serait un peu du même niveau que la modification du mois de mai dernier, qui était censée nous redonner 22 secondes d'avantage lors des ravitaillements et qui ne s'était traduite dans les faits que par 3 secondes... Pour autant, je ne fais aucun procès d'intention dans l'absolu et a priori. Je ne dis pas que ce qui a été décidé est négatif. J'attends simplement de voir ce qu'il va advenir avec curiosité.

Mais pour en revenir aux progrès des moteurs diesels, ils sont très difficiles à chiffrer. Des réductions de 10% de leur puissance, il y en a déjà eu par le passé. Mais dès que les Peugeot ont pris la piste, les gens de l'ACO, qui pensaient vraiment leur avoir coupé les ailes, ont été extrêmement surpris devant leurs chronos. Même en étant animés de bonnes intentions, les responsables du règlement n'ont pas pu rétablir l'équilibre, preuve que ces moteurs évoluent très vite...

Les vraies équivalences, on devrait les avoir en 2014 lorsque l'on contrôlera la quantité d'énergie envoyée dans les cylindres. Et encore, les hybrides vont venir jeter le trouble dans ce règlement... »

On a récemment entendu parler d'une possible évolution de cylindrée des moteurs essence à 4 litres. Tu étais au courant ?

« Oui, c'était une possibilité pour nous redonner plus de puissance car aujourd'hui, personne ne peut en sortir plus des 3,4 litres. Judd était d'accord pour cela, Honda semblait également être OK, Toyota peut-être. Mais finalement, malheureusement, on n'augmente pas la puissance des moteurs essence. »

Judd pensait à quel moteur pour passer en 4 litres ?

« Il y avait deux possibilités. Repasser le V10 à 4 litres, cylindrée qu'il avait déjà il y a quelques années donc c'était très facile. Ou refaire un embiellage pour augmenter la course du V8 et l'amener à 4 litres. »

Et finalement Toyota arrive en LMP1 avec le 3,4 litres...

« Oui mais ils auront l'hybride aussi. Et cela devrait leur procurer un bel avantage. Le règlement de l'année à venir va devenir extrêmement difficile à mettre au point. Il était déjà difficile d'équilibrer les essences et les diesels, mais maintenant que l'on y ajoute un nouvel équilibre à trouver avec les hybrides essence, les hybrides diesels, cela risque de devenir tout simplement impossible... »

th_Henri_PilotesJe pensais que l'arrivée de Toyota avec un moteur essence était de nature à te réjouir. Car elle aurait pu te permettre de prouver ce que tu dis depuis des années concernant l'équilibre entre les carburants. Désormais, il y aura en face des diesels, une usine disposant de moyens identiques et qui a fait le choix de l'essence...

« Ah, mais je suis ravi que Toyota revienne. Tout d'abord parce que j'ai toujours été de ceux qui pensent que l'on a besoin d'un Championnat du Monde très fort. Je me suis beaucoup impliqué auprès de l'ACO et de la FIA pour le faire renaitre. C'est un point à mettre à l'actif des Présidents Plassart et Todt. Ils sont parvenus à s'entendre et cela a été fait. Nous avons besoin d'un championnat de haut niveau, j'en suis convaincu, et de ce point de vue, le retour de Toyota ne peut être que bénéfique.

Maintenant, un retour des constructeurs amène aussi à se demander ce que vont devenir les écuries privées. On pourrait par exemple inciter les constructeurs à leur fournir des voitures. D'ailleurs le règlement n'autorise pas une équipe à avoir plus de deux voitures au départ. Or ils en ont trois... Appliquer le règlement pourrait les pousser à nous confier des moteurs ou des groupes moto-propulseurs, voire des voitures...

Ou alors, on nous dit que l'on va faire une réelle équivalence entre les hybrides et les motorisations classiques. Et des équipes telles que OAK, Oreca ou nous-mêmes, nous pourrons alors faire ce que nous avons su faire pendant quelques années face à Audi : n'être pas trop loin derrière pour leur mettre la pression. Mais il faut le faire vite. Car je rappelle une chose. Lorsque nous nous sommes aperçus de l'avantage des diesels, nous étions prêts, avec Ricardo et Judd, à nous lancer dans la réalisation d'un moteur diesel. Le projet était dans les cartons. Mais devant les assurances que nous avions reçus de disposer d'une équivalence à court terme, nous ne l'avons pas lancé. Si les hybrides doivent être devant, il faut qu'on le sache pour que l'on réfléchisse à ce qu'il est possible pour nous privés, de faire. Des solutions existent, notamment le flybrid qu'utilisait Hope Racing par exemple, même s'il faut certainement lui accorder du développement.

Quant à prouver que l'équivalence essence-diesel est bonne grâce au retour de Toyota, je n'y crois pas car même si ils utilisent le V8 dont dispose aujourd'hui Rebellion, tout va être faussé par son système hybride. »

Mais Peugeot Sport semble travailler activement sur sa 908 Hybrid4. On pourrait donc avoir une essence-hybride opposée à une diesel-hybride, deux voitures d'usine développées avec des moyens très importants et probablement assez comparables. Cela permettrait tout de même de tirer des conclusions valables sur l'équivalence, non ?

« Je n'en suis pas si sûr car l'hybride n'en est qu'à ses débuts et il faudra que ces systèmes fonctionnent aussi bien les uns que les autres. On ne sait rien de ces systèmes à l'heure actuelle. C'est tellement complexe. Certains l'auront sur les roues avant, d'autres sur la transmission à l'arrière. Certains auront des systèmes d'accumulation électrique, d'autres, des systèmes de récupération de l'énergie cinétique. Il me semble que l'on risque d'aller vers une usine à gaz incontrôlable. Le seul juge de paix, ce sont les 390 mètres de la ligne droite des stands. Si sur cette courte distance, les usines ont le temps, en arrivant derrière nous, de nous déborder et même de reprendre leur ligne avant le Dunlop comme c'est le cas aujourd'hui, alors c'est qu'il y aura un loup dans le règlement. Car un moteur essence bridé voit sa puissance plafonnée dans une fourchette de valeurs très étroite, quel que soit le constructeur. C'est automatique ! Et si l'on veut une réelle équivalence entre toutes les motorisations, il faudra que l'on ne soit plus débordé ainsi en ligne droite sur la seule valeur de l'accélération. »

Henri, lorsque tu étais pilote d'une Porsche 962C privée et qu'une 962C usine te suivait, était-elle en mesure de te déborder ainsi ?

« Non, absolument pas car nous disposions de la même puissance à peu de choses près. Mais sans remonter si loin, à l'époque de l'Audi R8 TFSI, ils ne nous ont jamais déposé ainsi en ligne droite. Nous disposions de puissances très comparables, je pense même que le Judd était très légèrement plus puissant. Là ou ils étaient plus forts que nous, c'est qu'ils faisaient un tour de plus grâce à l'injection et ça, c'est de bonne guerre. Mais nous avons tout de même pu finir deux fois deuxièmes au Mans... »

Revenons à ces 7% de perte de puissance annoncés par l'ACO. Une voiture qui ne subirait aucune évolution tout en perdant 7% de puissance, perdrait combien de temps sur un tour au Mans ?

« Ca, c'est relativement facile à calculer car une perte de 20 à 25 chevaux entraîne une perte d'une seconde au tour. »

Oui mais pour parvenir à faire un calcul, il faudrait avoir une idée précise de la puissance actuelle des moteurs diesels...

« Ce que personne n'a vraiment. On peut toutefois estimer qu'ils disposaient cette année entre 600 et 620 chevaux. »

Pescarolo_16Donc tout au plus, on parle d'une perte d'une grosse quarantaine de chevaux et de deux secondes au tour au Mans... Sans tenir compte des développements hivernaux qu'ils vont forcément effectuer.

« Mais il y a un article du règlement qui dit que l'on peut revoir l'équivalence lors de la troisième course de la saison. Donc si on s'aperçoit que ces ajustements n'ont pas suffi, il faudra s'en servir. Et puis, il y a un autre point qui pose question. Pourquoi l'ACO a-t-elle fixé cette valeur de 2% de marge entre les différentes motorisations ? Si l'on veut une véritable équivalence, il ne faut pas parler de 2% mais de 0%... »

0% d'accord Henri, mais à niveau de développement technologique semblable. On ne peut pas mettre au même niveau un moteur dernier cri avec un ancien moteur qui ne dispose pas des dernières évolutions.

« Oui mais encore une fois, un moteur essence bridé, qu'il soit par exemple équipé de l'injection directe ou pas, ne sera pas plus puissant. Il consommera certainement moins permettant peut-être d'espacer les ravitaillements d'un tour supplémentaire. Mais il n'offrira pas plus de puissance. Or moi, ce que je veux, c'est que l'on permette à tout le monde d'accélérer de la même manière. Après, la différence se fera sur les qualités du châssis et je trouve cela tout à fait normal. D'ailleurs, je trouve illogique que l'équivalence se fasse sur les temps au tour. Ce n'est pas normal car cela peut gommer l'importance de facteurs importants tels que la qualité des pneus ou des pilotes. L'équivalence doit se faire sur une mesure d'accélération car là, c'est purement le moteur qui intervient. »

Dernière question Henri, la question rituelle. Tu en es où concernant tes projets pour la saison à venir ?

« Je cherche de l'argent. Mes projets sont assez fondamentalement différents en fonction du moment ou je trouverai cet argent et de la somme que je trouverai. J'ai des pistes assez sérieuses en ce moment mais je ne peux guère en dire plus. Je dirai simplement qu'il n'y a pas péril en la demeure pour l'instant. Cependant, plus le temps passe et moins les choix techniques seront variés car il faut tenir compte des délais de fabrication. »

Tu parlais du Flybrid, précédemment. C'est une piste que tu étudies ?

« En tout cas, pour un privé, c'est une solution plus adaptée car moins complexe qu'un système électrique avec des batteries par exemple. Cependant, je me pose beaucoup de questions, notamment parce que je ne connais pas la valeur réelle de ce système. Il n'a pas suffisamment pu être développé l'an passé pour en juger réellement. »

Au travers des propos d'Henri Pescarolo, on a la confirmation que l'arrivée des systèmes hybrides apportent encore plus d'inconnues à une équation qui n'avait pourtant pas encore trouvé sa solution. Le système de limitation de la puissance par des brides a fait preuve de sa valeur lorsqu'il n'y avait que des voitures essences au départ. Depuis le retour du diesel en compétition, il pose question et il s'en posera probablement encore plus lors des deux saisons à venir. Pourtant accepter les hybrides au départ a du sens. Cela a probablement largement joué dans la décisionde Toyota de revenir au Mans. On ne peut donc qu'être encore plus impatient d'être en 2014, année ou le règlement jugulera la puissance par la quantité d'énergie embarquée à bord. D'ici là, il faut espérer que les concurrents privés tels que Pescarolo Team auront trouvé un moyen de rester au contact des usines.

Laurent Chauveau