Toyota is back ! Imprimer
Samedi, 15 Octobre 2011 15:31

LM1999_Toyota_GT_One_3Il est 15H00 en ce dimanche 13 Juin. Ukyo Katayama donne le maximum à bord de sa GT-One. La V12 LMR n'est pas si loin devant surtout après son ravitaillement, il reste 60 minutes de course, pourquoi pas ? Ca sera difficile, voire improbable mais ça peut encore le faire. Après une édition déjà riche en émotions fortes, voire très fortes, la foule est plus que jamais accro aux écrans géants. La rouge remonte sur la blanche. Lentement mais sûrement. On se dirige peut-être vers un suspense type 1969. En tout cas, on ne ressent plus la moindre fatigue, l'adrénaline fait son effet...


15H05, Ukyo attaque les Hunaudières et remonte sur la BMW privée de Thomas Bscher, un modèle de l'année précédente, moins rapide que la n°15 de PierLuigi Martini actuellement en tête. Au freinage de la première chicane, le japonais porte une attaque pour se débarrasser de l'attardé. Attaque insuffisamment franche. Bscher ferme la porte et Ukyo doit escalader violemment les vibreurs. A la sortie de la chicane, l'allemand bloque la trajectoire du nippon. Celui-ci doit attendre le freinage de la deuxième chicane pour s'imposer et reprendre sa chasse. On oublie l'évènement, les quelques secondes perdues dans la manœuvre et on se replonge dans ce suspense. 15H06, Ukyo file maintenant vers Indy, là même ou la veille au soir, Peter Dumbreck, en prenant son envol à bord d'une Mercedes CLR bien instable, a plongé la foule dans une stupeur absolue. La caméra de bord pivote soudainement, nous donnant un gros plan du pilote. Ukyo se débat avec son volant, semblant lutter pour maintenir sa trajectoire. Il est pourtant en pleine ligne droite... Le réalisateur change de plan instantanément, nous offrant une vue extérieure. Quelque éléments de carrosserie se détachent sous les assauts d'un pneu arrière gauche qui se déchiquette. La voiture est devenue totalement instable. Est-une conséquence de l'épisode de la première chicane, quelques kilomètres auparavant ?

LM1999_Equipe_ToyotaDans le stand, André De Cortanze a compris. Compris que sa belle armada ne viendra pas à bout du Mans. La n°1 a péri la veille au soir, faisant peine à voir. Elle si brillante quelques minutes auparavant a échoué en pleine piste, privée de toute propulsion par la faute de deux pneumatiques arrières explosés dans les murs de pneus de la première chicane (encore elle). Martin Brundle, fer de lance de l'équipe, pleure ses espoirs perdus du côté d'Arnage. La n°2 avait repris le flambeau mais à mi-course, Thierry Boutsen a quitté le sol à plus de 200 km/h du côté de la Dunlop après un contact avec une Porsche. Sol qu'il n'a plus touché avant de se fracasser dans le mur de pneus... Le pilote belge, durement touché aux vertèbres dans l'accident, mettra d'ailleurs là un terme à sa carrière. Le trio nippon aux commandes de la n°3 était alors l'ultime espoir de Toyota Motorsports.

Sublime défaite...

L'espoir de donner enfin à Toyota Motorsports une victoire au Mans, huit années après la première et unique victoire nippone en terre sarthoise. Sept années après la première deuxième place de Toyota, cinq années après sa deuxième, dans un suspense déjà haletant face à de « drôles » de GT venus de Stuttgart. La GT-One est également une « drôle » de GT, plutôt un proto habilement homologué... Mais elle n'aura pas droit à sa part de Panthéon. Oh certes, Ukyo, brillant pilote, a contrôlé sa GT-One devenue folle à vitesse maxi. Il l'a ramenée aux stands, on a changé la roue, remis du carburant. Mais la chasse a cessé. La n°3 a un peu souffert de l'incident et l'écart est désormais trop grand. Pour la troisième fois, Toyota échoue sur la deuxième marche du podium. Et l'on sait déjà que la firme ne prendra pas sa revanche l'année suivante. Voiture fabuleuse à tout point de vue, la GT-One restera une reine sans couronne et va maintenant devenir un mulet testant certaines des futures solutions utilisées en F1. Les fans du Mans ont un goût amer...

Depuis cet épisode resté dans toutes les mémoires, le retour de Toyota au Mans est un serpent de mer qui a souvent alimenté toutes les gazettes. D'autant que le géant japonais a déjà été défait par Peugeot en 1992 et 1993 ou que ses prestations à l'époque du Groupe C n'ont jamais été convaincantes. Le retrait de la F1 fin 2009, après dix années d'implication sans réelle réussite, donnait de nouveau une part de crédibliité à ce possible retour. Il était impensable de laisser dormir l'outil de travail fabuleux (intégrant notamment non pas une mais deux souffleries...) que Toyota s'était constitué du côté de Cologne : TMG. Mais ce n'est qu'hier, vendredi 14 octobre 2011, que ce phantasme est enfin redevenu une réalité. Toyota is back !

Cette fois-ci, ce n'est plus une rumeur et malgré le Tsunami du début d'année qui a ravagé une partie du pays du soleil levant avec des répercussions majeures sur son industrie, malgré une crise économique internationale inquiétante, Toyota prend une décision des plus courageuses et revient par la grande porte. Officiellement... Avec une LMP1 à propulsion hybride : un moteur essence et un moteur électrique, cet ensemble étant conçu au Japon par Toyota Motor Corporation sans que l'on ne connaisse pour l'instant plus de détails sur l'architecture moteur notamment ou sur l'imbrication du système hybride dans le moteur thermique. TMG utilisera-t-elle un système aussi sophistiqué et interdépendant électrique-thermique que le HSD utilisé sur les Prius de route par exemple ? Ou un système plus classique et moins risqué du point de vue technique de récupération-restitution d'énergie électrique couplée au moteur thermique ?

TMG_LMP1_illustrationLe châssis, lui, a été étudié, développé et produit directement par TMG, la voiture devant rouler pour la première fois au début de l'année à venir. TMG sera d'ailleurs le centre névralgique des opérations pour cet engagement. D'ores et déjà, le constructeur a confirmé sa présence au Mans en 2012 ainsi qu'au départ de plusieurs courses du Championnat du Monde d'Endurance. Il est amusant de constater que, hormis le nez de la voiture, le dessin présenté pour illustrer le communiqué officiel offre de nombreuses ressemblances avec la Dome S102, dont on subodorait à l'époque qu'elle pouvait bénéficier, en sous-marin, d'un soutien officieux de Toyota, première approche avant un éventuel retour. Ce n'est qu'un dessin d'artiste, à la valeur factuelle probablement proche du néant. Il suffit pour s'en convaincre de voir le premier dessin représentant l'Aston Martin AMR-One. Il était complètement à côté de la plaque. Il est peu probable que la future Toyota ressemble à cela...

L'apport du WEC

Cette annonce a de multiples répercussions. Tout d'abord sur le fameux WEC 2012. Pour un baptême, ce championnat part sous de très bons auspices. D'ores et déjà, Audi, Peugeot, HPD et Toyota sont partant certains en P1. Reste à savoir quels teams privés vont pouvoir s'offrir le luxe de suivre le mouvement dans un tel contexte... D'ailleurs, il n'y aura qu'une vingtaine de voitures à Zhuhaï dans un mois. Après les 53 voitures en piste au Petit Le Mans, l'on comprend qu'il y a encore du travail à accomplir... Mais il est néanmoins évident que le retour de Toyota est avant tout dû à la mise en place de ce championnat. Un grand bravo donc à l'ACO et à la FIA pour cette renaissance...

Ensuite, c'est bien évidemment l'équivalence essence-diesel qui va pouvoir livrer tous ses secrets. Enfin ! Celle-ci vient d'être revue par l'ACO, quatre jours avant que Toyota n'annonce son retour... L'on avait initialement parlé de 10% de puissance en moins pour les diesels en 2012. Finalement, le communiqué officiel de l'ACO en date du 10 octobre annonce une réduction de 7%. Quel que soit le chiffre retenu, on devrait maintenant enfin pouvoir juger de la validité de l'équivalence établie par les organisateurs. Car pour la première fois depuis l'arrivée des moteurs diesel en endurance, un constructeur engagé avec un moteur essence, disposera d'une puissance de feu comparable (si ce n'est supérieure...). Il va donc falloir être impeccable dans la gestion de cette équivalence pour ne pas prêter le flan à la critique. Dans un sens comme dans l'autre. L'exercice promet d'être hautement périlleux... D'autant que la récente habitude prise par le législateur technique, d'ajuster en dernière minute certains paramètres en faveur des uns, en défaveur des autres, ne plaide pas en faveur d'une grande rigueur. Toyota d'un côté, Audi ou Peugeot de l'autre, accepteront probablement assez mal des mesures rectificatives prises trois semaines avant Le Mans comme ce fut le cas cette année. Cette équilibre devra donc être trouvé du premier coup. Alors que la nouvelle Toyota n'a encore jamais roulé... Pas facile à estimer en amont !

Autre conséquence, cette arrivée va sans doute précipiter le mouvement vers l'hybride entrepris chez Peugeot Sport afin de ne pas se faire couper l'herbe sous le pied. La 908 Hybrid4 a apparemment roulé très récemment à Estoril. Pour autant, elle ne figure pas (pas encore ?) sur la liste des engagés de la dernière manche ILMC 2011 à Zhuhaï. Peugeot Sport a été le premier constructeur à communiquer sur une LMP1 hybride. La 908 HY a été présentée en 2008 à Silverstone. La 908 Hybrid4 au début de cette année à Genève. Mais aucune n'a encore roulé en compétition. Toyota semble presque plus avancé dans le domaine de l'hybridation. Sa Toyota Supra HV-R a en effet gagné les 24 Heures de Tokachi en 2007 grâce à l'appui de trois moteurs électriques, deux dans les roues avant, un à l'arrière... L'équipe Peugeot Sport sera-t-elle prête à répliquer dès le début de saison 2012 ?

Gaffe à l'inflation...

Autre point, on avait déjà constaté au Mans cette année, une nette inflation des moyens mis en jeu par les usines. L'arrivée d'un troisième larron dans la cour des constructeurs ne pourra que renforcer ce mouvement. Surtout que l'on s'appuie de plus en plus sur des arguments technologiques à des fins marketing. Il faudra veiller à ce que le système ne se brûle pas une nouvelle fois les ailes de lui-même, à la façon de l'après 1999... On peut également penser que cette annonce enterre les derniers et bien faibles espoirs de revoir l'Aston Martin AMR-One en piste... Le constructeur britannique n'a certainement plus les moyens de ses ambitions face à de tels opposants !

Ultime conséquence, il est évident que les journalistes japonais vont maintenant revenir en force au Mans et que la salle de presse risque d'exploser sous le nombre de demandes. L'affluence de spectateurs japonais sera certainement de moindre importance mais la course risque de retrouver rapidement une grande partie de son lustre des années 80-90 au Japon... Autre conséquence possible, toujours plus de VIP et toujours plus de bouchons à l'intérieur des 13,6 km du tracé manceau. La rançon du succès...

Cette annonce a mis du baume au cœur du petit monde de l'endurance qui semble reprendre encore un peu plus, du poil de la bête. Trois constructeurs officiellement engagés dès 2012, quatre peut-être en 2014 lors du retour annoncé de Porsche, une catégorie GTE très forte, tout cela promet. Reste maintenant à Toyota à nous présenter la belle, nous annoncer les pilotes retenus et le programme 2012 réel. Cela se fera dans les semaines à venir d'après le communiqué. On attend. Impatiemment !

Laurent Chauveau