Daniel Poissenot : 11 éditions au drapeau vert ! Imprimer Envoyer
Samedi, 10 Septembre 2011 10:14

th_D_Poissenot_7Poursuivons cette rencontre avec le cinquième directeur de course en charge des 24 Heures du Mans depuis 1923. Daniel Poissenot, qui en fut le directeur des sports puis le directeur général adjoint a désormais pris sa retraite de l'ACO. Et si, par conséquent, il n'assistera pas, pour la première fois depuis bien longtemps, au prochain Petit Le Mans, il reste toutefois à la barre de la plus célèbre course d'endurance, encadrant des bénévoles précieux, sans qui jamais le sport automobile ne pourrait exister...

Daniel, parlons chiffres maintenant. Combien de commissaires as-tu sous tes ordres ?

« Avant de parler chiffres, je voudrai parler des hommes. Les commissaires sont mes yeux, mes bras pendant la course. Plus qu'une "relation de travail", nous avons une relation beaucoup plus forte. Tout d'abord, ils sont ma deuxième famille. J'aime ces femmes, ces hommes qui se dévouent à chaque course pour que le sport automobile puisse exister. Et ils me le rendent bien ! Chaque chef de poste (avec ses équipiers) est responsable de sa zone : il signale un danger aux concurrents, il rend compte à la direction de course et surtout, ils interviennent en cas de panne ou d'accident. Je n'interfère jamais sur leur intervention sauf lorsque la sécurité commence à être en cause. De leur côté, ils savent que je veille sur eux et que, bien que n'appréciant pas la mise en œuvre des safety-cars qui modifient le déroulement sportif de la course, je n'hésiterais pas une seconde afin d'assurer leur sécurité pendant qu'ils travaillent.

Comment le diesel revint au Mans...

th_D_Poissenot_6Les plus jeunes l'ignorent probablement mais Audi n'a pas été la première marque à engager des voitures à moteur diesel lors des 24 Heures du Mans. En 1949, une voiture française, la Delettrez, fut la pionnière de cette technologie. Avec 70 chevaux sous un capot emprunté aux Delage, il est inutile d'espérer affronter les puissantes Talbot ou la toute nouvelle Ferrari 166MM victorieuse. Malgré l'abandon de la voiture, une autre firme française, spécialisée dans les tracteurs, suit la trace laissée par la Delettrez et tente l'aventure sans plus de succès en 1950. Plus aucun constructeur n'imagina alors revenir au Mans avec un tel moteur. Jusqu'à cette année 2006 ou Biela, Werner et Pirro firent triompher l'Audi R10 débutante, un V12 turbo diesel dans leur dos. Comment en était-on arrivé là ? Daniel Poissenot se souvient...

« A chaque réunion technique avec Audi Sport à Ingolstadt, un dîner organisé la veille permet de réunir le ou les représentants ACO - en l'occurrence Daniel Perdrix et moi-même - ainsi que les principaux ingénieurs Audi autour du Docteur Ullrich. Un soir, après l'excellent repas, Mr Baretzky, responsable de la production des moteurs, restant à l'hôtel car venant de Neckarsulm, propose de prendre une bière avant de remonter à la chambre. S'ensuit une discussion sur les moteurs (évidemment) jusqu'au moment où je pose la question de savoir pourquoi il n'y avait pas de moteur diesel en course alors que la grande majorité des français et des européens utilisent cette motorisation.

Après un temps d'arrêt et une petit lumière dans les yeux, il me répond "Daniel, je t'appelle d'ici 15 jours". Deux semaines plus tard, il me rappelait en me précisant que la décision était prise de faire des recherches sur le moteur diesel de course ! Nous connaissons la suite avec ses victoires aux 24 Heures du Mans. Comme quoi d'une petite question peut naître une grande page du sport automobile. Depuis, à chaque fois que nous nous retrouvons à l'hôtel Ambassador, Mr Baretzky me dit qu'une plaque devrait être apposée pour commémorer cet événement. Ces faits ont d'ailleurs été relatés dans le journal interne de Audi. Il faut savoir qu'un an après les débuts en course, le Doktor Ullrich me disait qu'à ce stade, s'ils avaient imaginé au départ les difficultés techniques, l'engagement financier nécessaire, ils ne se seraient pas lancés dans cette aventure... Et nous aurions été privés de ces beaux duels avec Peugeot Sport ! »

Sur le circuit des 24 Heures du Mans, il y a 50 postes de commissaires. Chaque poste est composé de 30 à 40 commissaires. Au total, ce sont donc 1700 commissaires qui sont présents dont 150 dans les stands pour contrôler les arrêts des voitures. Généralement, ils divisent leur activité en trois groupes : une en fonction, une en réserve et une en repos compte tenu de la durée de la course. Cette année, il y avait plus de 300 commissaires étrangers : des belges, suisses, anglais, hollandais mais aussi des américains que j'ai plaisir à retrouver sur les courses de l'American Le Mans Series. Une réunion de briefing est organisée avant chaque séance d'essai ainsi que le samedi matin de la course.

Il faut avoir fait au moins une fois, "la fermeture" du circuit après la course avec la présentation des drapeaux, pour comprendre l'émotion très forte qui nous unit avec la sensation d'avoir construit une manifestation mondiale. Surtout lorsque de nombreux évènements sont venus ponctuer la course, la rendant encore plus difficile à réaliser.

Au total autour du circuit, ce sont environ 2000 bénévoles incluant les médecins, infirmiers, secouristes qui assurent la sécurité des pilotes, directement sous la responsabilité du directeur de course. »

Et combien de personnes travaillent directement à tes côtés dans le PC direction de course durant les 24 Heures ?

« Deux équipes de quinze personnes. »

Et ces équipes se relaient toutes les ?

« Toutes les trois ou quatre heures. Ca dépend si on est de jour ou de nuit. Les relais de nuit sont plus longs pour permettre un meilleur repos à l'autre équipe. »


Etre directeur de course réserve quelques moments savoureux. Comme de libérer le peloton au drapeau vert...

...ou d'être accompagné du deuxième homme à avoir marché sur la Lune pour donner un départ (Buzz Aldrin, Le Mans Classic 2008)...

ou enfin, d'être accompagné sur la pré-grille d'Emmanuelle Brulon, Miss 24 Heures 2011 !

Est-ce que tu dors durant l'épreuve ?

« Non... L'année dernière, je me suis dit : allez, c'est ta dixième. Tu es entouré de gens compétents. Essaie d'aller dormir une heure. Mais je n'ai pas pu. Je n'ai pas pu faire les trois mètres qui me séparent du salon... Pourtant, je suis sur le circuit dès le samedi à 6 heures du matin pour effectuer le tour de piste d'inspection. Et cela dure jusqu'au dimanche 22 heures environ. »

Tu n'éprouves pas un petit coup de barre, un relâchement de l'attention ? Le dimanche matin est souvent difficile pour ceux qui comme toi, font la nuit blanche.

« Si, effectivement. Mais alors, je me lève, je marche un peu, je bois un verre d'eau (surtout pas de café, ni d'excitant) et ça repart. »

Tu n'as pas testé la nouvelle boisson énergisante qui porte le logo 24 ?

« Non, non... Il y a pas mal d'années, on m'avait dit qu'il fallait que j'essaie le Guronsan. Alors j'ai essayé et j'ai cru que mon cœur allait exploser. Il cognait à tout rompre ! Plus jamais ça. A l'eau claire ! »

Depuis quand exerces-tu la fonction de commissaire ?

« Mes premières 24 Heures, c'était en 1973, date à laquelle nous avons commencé à prodiguer des formations incendie aux commissaires. C'était mon métier, la sécurité incendie et c'est ce qui m'a amené au Mans. En 1988, je suis devenu responsable de la sécurité piste, l'année de la victoire Jaguar donc c'est mémorable. Puis, en 1993, avec Jean-Pierre Moreau, nous avons créé une équipe spécialisée dans les incendies aux stands. »

De tous ces moments passés en tant que directeur de course, quel est aujourd'hui le plus fort dans ta mémoire ?

« Difficile à dire. Il y en a eu beaucoup. Mais cela serait sûrement ce moment de ma première édition lorsque j'agite le drapeau vert pour le tour de chauffe. Je suis seul au milieu de la piste, face à tous ces spectateurs et les voitures passent sur ma gauche et sur ma droite. Là, je n'ai pas pu m'empêcher de penser : est-ce que c'est bien moi qui suis là ? Et ce sentiment reste présent chaque année, toujours aussi fort. Il y a aussi l'arrivée surtout depuis 2003, moment ou je suis redescendu agiter les damiers sur la piste, pour renouer avec le passé à l'occasion de la victoire Bentley. C'est un moment ou il y a un échange avec les pilotes, via le regard. Chacun m'envoie un petit merci, ils sont tellement heureux d'en finir. C'est différent du départ mais c'est très fort également. »

L'ultime question. Combien de temps te vois-tu encore occuper ce poste ?

« Ah, ça ne dépend pas de moi... Mais tant que je tiens la forme physique et intellectuelle, pourquoi arrêter ? Il n'y a pas de problème. Marcel Martin a tenu le poste jusqu'à 70 ans or maintenant, avec l'age de la retraite qui recule, celui des commissaires de course peut reculer également ! »

On pourrait donc résumer ainsi la maxime de Daniel Poissenot : Travailler plus pour gagner plus... de souvenirs !

Laurent Chauveau

Retrouvez ici le premier article consacré à Daniel.