24H 2011 : Mais ou sont passées ces 22 secondes ? Imprimer
Vendredi, 24 Juin 2011 17:01

22 secondes ?Allez, après deux articles fleuves, terminons en avec l'analyse de ces 79èmes 24 Heures du Mans en étudiant de près quelques uns des chiffres importants de cette course. Faute de disposer des chronos tour par tour et voiture par voiture (ce qui est pourtant éminemment instructif...), je me suis contenté de regarder de près les temps d'arrêts aux stands pour toutes les LMP1 diesels et les essences ayant réellement joué un rôle important durant la course. Cette étude permet de mettre en avant un point qui surprend. Qui surprend beaucoup ! Mais que personne n'a semblé relever...

Souvenez-vous, en 2010, quel que soit votre carburant, celui-ci passait de la cuve du stand jusqu'au réservoir de la voiture à travers un trou de Ø28 mm. Mais cette année, suite à une décision de l'ACO intervenue trois semaines avant la course, les LMP1 diesel et essence disposaient de brides contrôlant le débit de ravitaillement en carburant de diamètres très différents. Cette décision prise afin d'équilibrer le débat essence-diesel permettait aux P1 essence de ravitailler à travers un trou de Ø38 mm contre Ø25 mm aux P1 diesel. Le communiqué accompagnant alors cette information parlait d'un spectaculaire différentiel de 22 secondes entre les voitures essence et les diesel sur le simple fait de ravitailler. 22 secondes sur un avitaillement, cela revenait à faire rouler 2 secondes plus vite au tour, les P1 essence. Sur le papier, voilà un bel effort d'équilibrage, en effet. Mais alors où sont donc passées ces 22 secondes ? Car lorsque l'on compare les chiffres réels, ceux qui ont marqué ces 79èmes 24 Heures, ils sont quasi égaux...

3 secondes et demie, pas 22 !

Efficacité dans les stands

La voiture qui gagne Le Mans est souvent celle qui stoppe le moins longtemps aux stands. Ce fut encore le cas en 2011. Comparons donc les temps d'arrêts aux stands et commençons par les LMP1 essence.

Dans le duel Pescarolo-Rebellion, il apparaît clairement que la Pescarolo restait moins longtemps lors de chaque arrêt ravitaillement à son stand : en moyenne 48, 9 secondes contre 50,7 à la Lola n°12 et 50,4 à la n°13. Toutefois, cela est assez logique car les Lola ont pu assez souvent, effectuer des relais de 12 tours alors que la Pescarolo ne le pouvait pas. « De peu mais ça ne passait pas » aux dires d'Henri. Donc, lorsque la Pescarolo s'arrêtait, il lui restait quelques litres de plus que dans les réservoirs des Lola Toyota. D'où les 2 petites secondes gagnées lors du refuelling. Cet avantage s'accroit légèrement lors des arrêts avec changement de pneus : 85,6" pour la n°16 contre 88,7 pour la n°12 et 88,9 pour la n°13. Là, c'est donc la dextérité des mécaniciens qui est mise en valeur. Bravo aux verts !

Dans le duel Audi-Peugeot, c'est le même constat. Les arrêts pour le gazole sont plus longs chez les bleus (53"6 pour les n°8 et 9 contre 52"6 pour les n°1 et 2) mais les gris ne restaient que 11 tours en piste. Par contre, il y a des disparités chez Peugeot Sport lors des changements de pneus. Bravo d'ailleurs aux mécanos de la n°9 qui en moyenne, regagnait un tout petit peu de temps lors de ces arrêts face à l'Audi malgré le déficit d'une seconde lors du refuelling ! 79"9 contre 80"2. La n°7 perdait par contre 2 secondes lors de chaque arrêt gazole only, la n°8 en perdant presque 3 lors des changements de pneus... Et c'était encore un tout petit peu moins rapide chez Oreca : 55" et 84"7.

NDLA : Les chiffres fournis par les organisateurs donnent en fait le temps mis par la voiture pour traverser les 300 mètres de la voie des stands. La mesure tient donc également compte du roulage de la voiture dans cette zone, de la distance de freinage pour s'arrêter puis de la remise en vitesse. Pour effectuer les calculs, je n'ai pas tenu compte des arrêts dont la durée était manifestement hors-norme par rapport aux autres. Le but était de mettre en évidence la célérité des mécaniciens ou les besoins réels en carburant.

Lors d'un simple arrêt pour ravitaillement en gazole, les P1 diesel ont mis en moyenne 53,8 secondes pour traverser la voie des stands. Pour effectuer le « plein de super », les P1 essence ne mettaient que 50,3 secondes en moyenne. L'écart vérifié en course est donc de 3,5 secondes entre les essence et les diesel. 3,5 secondes, pas 22 ! Soit 18,5 secondes d'écart pour un relais. En partant sur la base d'une trentaine d'arrêts ravitaillement sur 24 Heures, cela correspond à un déficit de 555 secondes sur l'ensemble de la course. 555 secondes soit un peu plus de 2 tours et demi : voilà qui aurait placé la Lola Rebellion devant la Peugeot Oreca puisque les deux voitures ne sont finalement séparées que d'un tour. Ce n'est donc pas sans conséquence !

Mais alors où sont donc passées ces 22 secondes ? Sachez tout d'abord que les modifications annoncées ont bel et bien été mises en application. Les diesels ont bien été restreints à 25 mm et les essences libérés à 38 mm. Mais alors pourquoi cette fameuse différence de 22 secondes n'a-t-elle pas été vérifiée ? Balayons tout d'abord les différences de viscosité et de masse des deux carburants. Ces différences étaient (évidemment) les mêmes l'an passé et les temps de ravitaillement étaient déjà extrêmement proches. Environ 55-57 secondes pour tout le monde, seules les Audi étant très légèrement plus rapides. Même en tenant compte de la diminution de capacité des réservoirs, cela n'explique pas « l'erreur de calcul ».

Pour comprendre, j'ai donc passé des coups de fil. Henri Pescarolo apporte une partie de la réponse : « Tout d'abord, l'augmentation du diamètre de bride n'avait qu'un incidence théorique. Car même si on passait bien le trou à Ø38 mm, en amont, nous avons un raccord qui se place à l'intérieur du tuyau et qui lui est plus petit que cet orifice de sortie. Donc ce n'est pas celui-ci qui donnait le débit maxi mais le raccord à l'intérieur du tuyau. Nous avons donc imaginé un raccord qui se place à l'extérieur du tuyau et non plus à l'intérieur. Je pense que nous sommes les seuls à l'avoir fait et cela n'a pas été facile car Nous avons rencontré des problèmes pour serrer le tuyau sur une pièce extérieure... (Le tout à trois semaines de la course, seulement, NDLA...) Mais cela nous a permis de bénéficier du diamètre maxi. Malheureusement, nous avons vite constaté que l'on ne gagnait pas grand-chose... En fait, le problème vient du diamètre des tuyaux qui amènent l'essence. Celui qui nous a été autorisé est trop petit, il est quasiment du même diamètre que la bride ! Les calculs de mécanique des fluides ne sont jamais simples et la moindre des choses aurait été de procéder à des essais physiques pour valider les calculs théoriques avant d'entériner la décision. »

Pertes de charge...

En fait, il semble que l'élément qui n'ait pas été suffisamment pris en compte dans le calcul, soit ce que l'on nomme en mécanique des fluides, les pertes de charge. Un fluide, qu'il soit gazeux ou liquide, perd de son énergie au fur et à mesure qu'il avance dans le tube qu'il traverse par le fait des frottements sur les parois. Voilà ce que sont ces pertes de charge. Or avec 3,5 mètres de tuyau amenant l'essence depuis la cuve installée dans le stand jusqu'au réservoir de l'auto, ces pertes de charge commencent à être importantes. Et ces pertes de charge ont neutralisé la quasi intégralité de l'avantage du plus grand diamètre de sortie. Pour pouvoir profiter pleinement de l'avantage théorique conféré aux P1 essence, il aurait donc fallu aussi autoriser des tuyaux de bien plus gros diamètre, histoire que le carburant arrive le plus librement possible jusqu'à la bride. On ne fait d'ailleurs pas autrement avec les fameuses brides d'air pour le moteur, elles sont toujours dans des zones dégagées, voire en surpression...

Bref, cet ajustement, à l'intention louable sur le fond, s'est malheureusement avéré quasiment inopérant, ce qui est tout de même dommageable pour les concurrents ! Une fois encore, cela s'est retourné contre les LMP1 essence qui n'ont pas disposé de l'avantage promis. Voilà qui ne peut qu'entretenir leur sentiment de frustration... La situation sera-t-elle rectifié dès Imola ? Cela serait hautement souhaitable même si les timings sont maintenant très serrés !

Laurent Chauveau