Frédéric Henry-Biabaud : L'endurance a une vraie carte à jouer. Imprimer Envoyer
Jeudi, 09 Juin 2011 17:00

Frederic Henry-BiabaudA l'issue de la conférence de presse de l'ACO, il était utile de creuser certains sujets avec celui qui reste en charge de la gestion de l'ILMC cette année, et qui deviendra en fin d'année responsable de la cellule d'organisation du Championnat du Monde d'Endurance, à savoir Frédéric Henry-Biabaud. Calendrier, promotion, concurrents, voilà autant de sujets qui restent avec des questions en suspens.

Frédéric Henry-Biabaud, après avoir discuté avec nombre de concurrents cette semaine, il s'avère que parmi les privés, notamment en LMP1 essence, plusieurs ne voient pas l'intérêt pour eux de venir rouler en Championnat du Monde pour y affronter des teams usine possédant bien plus de moyens qu'eux et qui les relèguent à plusieurs secondes au tout, les privant de tout espoir de résultat correct à la régulière. Or il est évident que le championnat aura besoin d'eux. L'un de vos premiers chantiers ne sera-t-il pas, de tenter de les remettre un peu plus à niveau pour leur donner envie de franchir le pas ?

« Vous savez, il y a quelques années, les différences entre les voitures d'usine et les privées étaient également très importantes, quasiment du même ordre or tout le monde roulait à l'essence. Nous attendons la fin de la course du Mans pour voir ou nous en sommes. C'est relativement courageux de vouloir revoir ces règles d'équivalence mais il ne faut pas non plus avantager les uns pour désavantager es autres. Mais ceci dit, on apprend en marchant et nous savons que c'est une question absolument prioritaire pour pouvoir faire en sorte que des privés puissent nous rejoindre. Ce n'est pas qu'ils ne souhaitent pas affronter les usines quitte à ne pas gagner mais ils veulent pouvoir briller. »

Puisqu'il est difficile de parler d'une équivalence technique entre des usines aux moyens très importants et des privés qui reconduisent des voitures dont la base technique est plus ancienne, ne pourrait-on pas imaginer de leur donner, dans un cadre très précis, un petit bonus par quelque biais que ce soit, qui leur permette de combler une partie suffisante de l'écart ?

« Cette notion de bonus est compliquée à mettre en place, difficile à contrôler. Ce n'est pas évident. L'idée à terme est de dire que selon l'énergie choisie par les uns ou les autres, ils disposeront d'une quantité limitée de cette énergie à utiliser durant la course. Cela demande un certain nombre de travaux en amont, qui ne sont pas que de la recherche théorique. Ils doivent aussi s'appuyer sur des données réelles recueillies durant la compétition. Jusqu'à maintenant, les gens ont plutôt soutenu cette démarche mais nous ne sommes pas au bout du chemin. Est-ce qu'aujourd'hui, la situation est catastrophique, franchement non, mais cela reste une priorité. »

Cette annonce de la mise en place d'un Championnat du Monde d'Endurance est certes très récente mais a-t-elle déjà un impact sur d'éventuels nouveaux constructeurs ?

« Ca marche à double-sens en fait. L'une des raisons pour lesquelles nous l'avons fait est liée à la demande de certains constructeurs de ne pas avoir à créer une voiture pour une seule course et ce même si elle dispose d'un très fort impact médiatique. Pour défendre leurs projets auprès des directions ou conseil d'administration, il leur fallait cette caution d'un Championnat du Monde disposant du label FIA.

Une fois la création du championnat entérinée, ça fait boule de neige. Certes, il n'y a pas eu de constructeur qui nous ait appelé immédiatement en nous disant, maintenant que vous avez le label FIA, nous arrivons. Non, ils veulent connaître avec précision la manière dont cela va se mettre en place. Mais je crois que cette volonté de mettre en place une véritable plate-forme technologique répond à une véritable demande des constructeurs dont l'endurance a un très beau rôle à jouer. J'ajouterai que la fenêtre de tir n'est pas très longue donc il fallait saisir l'opportunité. Je connais bien la FIA de par mon passé dans le sport automobile et je pense qu'il y a une réelle volonté à l'heure actuelle de promouvoir l'endurance. En s'appuyant sur l'organisateur qui a su créer la plus belle course du Monde, on a de belles cartes en main. Maintenant, nous sommes au pied du mur et il va falloir le franchir mais c'est un challenge que nous ne pouvions pas refuser. Je pense que les constructeurs nous suivront. Ainsi que les privés. »

Olivier Quesnel : un bonus pour les privés, pourquoi pas ?

Le patron de Peugeot Sport ne peut que se réjouir de cette annonce, lui qui a tant poussé pour cela. C'était une absolue nécessité. Maintenant que c'est fait, il va falloir s'assurer que les constructeurs ne soient pas les seuls à s'y impliquer.

Olivier, l'éternel problème de ces dernières années vient du gouffre qu'il y a entre les usines et les privés. Ne serait-il pas imaginable de leur accorder un petit bonus, afin de les rapprocher de vous, ce qui les aiderait à convaincre des partenaires et les aiderait donc à prendre la voie du Championnat du Monde ?

« Voilà qui me change ! On me parle sans cesse des problèmes d'équivalence et de ce qu'il faut faire pour les résoudre. Alors que je suis convaincu que les écarts enregistrés sont avant tout liés au boulot que nous sommes capables d'abattre et que les privés n'ont pas les moyens de faire. Si il n'y avait pas de tels écarts, nous n'aurions plus qu'à aller à la pêche. Mais si on déplace le problème sur un autre terrain, bien sûr que je pourrai être d'accord. Pas pour les mettre à notre niveau artificiellement. Mais pour leur permettre de briller un peu plus, oui. »

Olivier s'est cependant bien gardé de nous livrer d'éventuelles solutions à ce « bonus ». Toutefois si le futur responsable du championnat et le directeur de l'un des deux plus gros concurrents sont d'accord, on doit pouvoir trouver une solution...

Aujourd'hui, vous êtes directeur de l'ILMC. Dans ce Championnat du Monde, quelle place occuperez-vous ?

« Pour l'instant, je dois m'assurer de continuer à bien mettre en place l'équipe et la structurer sur quatre axes principaux.

1. La grille de départ, je dois m'assurer que nous disposerons d'un beau plateau.

2. La couverture de la télévision et d'internet, assurer de meilleures retombées médiatiques.

3. L'animation sur les circuits, s'assurer qu'un spectateur qui est venu une première fois, reviendra nous voir par la suite

4. Assurer le fil rouge et la continuité avec nos partenaires historiques, qui nous permettent de structurer une offre attirante pour les constructeurs.

Je travaille également au renforcement de l'équipe car je sais que nous devrons disposer d'un peu plus de ressources. »

Ce dernier point est imposé par le cahier des charges FIA ?

« Non, nous nous l'imposons à nous-mêmes car nous voulons réussir un beau championnat. »

Parlons un peu du calendrier, vous parlez deux courses par continent. On a une petite idée de celles qui pourraient constituer les manches européennes et américaines...

« Attention, nous parlons bien du continent américain, pas uniquement des USA. Le but est bien sûr d'intégrer Sebring car c'est une excellente course pour un début de saison. Elle a un côté historique notable, la plupart des constructeurs nous disent qu'il leur est absolument nécessaire d'aller à Sebring, donc nous ferons tout pour l'intégrer au championnat. Pour le reste, tout est ouvert. Et il en est de même en Europe. Les choix des courses ne sont pas encore entérinés. Nous devons aussi respecter un certain business model et nous adapter aux besoins des constructeurs, aux marchés qu'ils visent. C'est une question de logique économique. »

Et pour les deux courses en Asie, il s'agirait de deux courses en Chine ?

« Il y a plusieurs possibilités. Je ne peux pas être plus précis pour l'instant. Ce qu'il est important de préciser, c'est que ce calendrier pourra évoluer à l'avenir et surtout s'étoffer. Certes, nous ne monterons pas jusqu'à 20 courses comme c'est le cas en F1 car les concurrents nous signifient bien que Le Mans est tellement lourd et exigeant à préparer qu'ils ne pourraient pas accepter un nombre de courses trop important. Mais deux courses de plus, ce sera tout à fait possible en plein accord avec nos concurrents. Cela nous permettra de conserver nos bases tout en nous développant. Sans trahir de secret, l'inde, l'Amérique du Sud, la Russie et une seconde course en Chine seraient des destinations appréciées. »

Les courses seront bel et bien des courses d'endurance. Pas de courses raccourcies pour satisfaire les télés ?

« Non, au minimum, les courses devront durer 6 heures. C'est bel et bien un championnat d'endurance. Et ce doit aussi être un championnat qui met réellement en valeur les valeurs technologiques. Sinon, ce n'est pas la peine de se lancer. »

Je me fais l'avocat du diable mais ne risquez-vous pas de vous heurter aux télés prétendant que l'endurance, c'est impossible à couvrir ?

« Ce qui est absolument nécessaire, c'est d'assurer une couverture télé qui ne se contente pas de montrer la course sur la piste. Même pour moi, parfois, une course d'endurance peut être ennuyeuse et je préfère aller boire une bière. Il faut donc savoir alterner le Live avec des reportages dans les coulisses pour montrer ce que le téléspectateur n'a pas l'habitude de voir. Il y a tellement de choses intéressantes à faire, qui couperont le rythme un peu linéaire de la retransmission. C'est ce que nous avons fait hier encore avec un constructeur en parlant à des représentants d'une chaîne de télé. Nous leur disions, attardez-vous sur ce qu'il se passe derrière la scène. Et c'est vrai aussi pour les journalistes de presse écrite. »

Pour faire tout cela, vous allez avoir besoin de plus de moyens...

« Oui, c'est évident et cela passera par la recherche de nouveaux partenaires du Championnat qu'il nous faudra convaincre en leur démontrant qu'ils peuvent avoir un intérêt à investir en Endurance plutôt que dans le football, par exemple. C'est une rude tâche mais je pense que notre première nécessité, pour atteindre ce but, était de pouvoir leur offrir un label FIA, qui les rassure sur notre crédibilité. La première pierre est posée maintenant, ce label, nous l'avons... »

Patrick Peter continue de dire que les meetings Le Mans Series feront leur propre chemin en 2012. Est-ce que ça ne risque pas d'être difficile pour vous, par conséquent, de ne pas réunir une grille de départ suffisamment importante sur certaines courses ?

« Il est en effet possible que nous fassions des évènements séparés mais nous devons nous assurer que nos grilles de départ seront suffisantes. Et il faut nous assurer aussi que nos business models sont toujours pertinents avec une telle démarche. Vous savez, ce n'est pas parce que les championnats auront leur vie propre que nous ne travaillerons plus ensemble. »

Les réponses apportés par Frédéric Henry-Biabaud peuvent donner un vrai début de confiance dans ce championnat. Les bases semblent saines et le personnage ne fait pas le faux-semblant... Il sait ou se situent les vrais problèmes et ne se cache pas pour les affronter. Il ne reste plus qu'à disposer des véritables moyens pour les résoudre. Mais cet entretien, ainsi que la position de la FIA, peuvent commencer à balayer les doutes qu'ont fait naître et persister dans les esprits, les lourds évènements du passé...

Laurent Chauveau