Un Championnat du Monde et des questions... Imprimer Envoyer
Samedi, 04 Juin 2011 18:45

LM_1992_DepartA l'avant-veille du Pesage des 79èmes 24 Heures du Mans, l'annonce conjointe ACO-FIA de la mise en place d'un Championnat du Monde d'Endurance dès l'année prochaine, a surpris. Certes, on savait de longue date que certains constructeurs poussaient pour cela mais on ne pensait pas que l'Intercontinental Le Mans Cup n'aurait qu'une année d'espérance de vie avant de laisser place à une appellation plus prestigieuse et plus reconnue. Au travers des propos de Frédéric Henry-Biabaud en mars dernier à Sebring, on sentait bien que le sujet couvait mais qu'il était encore un peu tôt. Le pas a donc été franchi bien plus rapidement que prévu et ce championnat comprendra un minimum de 6 courses. Les 24 Heures du Mans en feront partie, tout en restant la « propriété exclusive de l'ACO » comme le stipule fermement le communiqué du club sarthois. Sur le fond, cette annonce est une excellente chose pour la discipline. Préalablement à la conférence de Presse de l'ACO de jeudi prochain, elle soulève toutefois plusieurs interrogations que je vous propose de détailler.

1. Un Championnat du Monde d'Endurance permettra-t-il d'attirer de nouveaux constructeurs dans la discipline ?

Sans que nous ne puissions en avoir d'ores et déjà la certitude, c'était en tout cas une étape indispensable pour y parvenir. Si l'on prend le cas des constructeurs japonais, dont le retour est tant espéré parmi les fans d'endurance, il est évident que c'est une signe très fort pouvant les encourager et ce malgré la crise consécutive au Tsunami qui pénalise encore fortement la vie quotidienne des entreprises. On sait les dirigeants japonais culturellement très légalistes. Voir apparaître les labels FIA et Championnat du Monde ne peut que leur donner confiance. Sera-ce suffisant ? L'avenir nous le dira.

2. Cette annonce est-t-elle de nature à maintenir la présence des concurrents déjà engagés ?

Le Dr Ullrich côté Audi et Olivier Quesnel côté Peugeot ont toujours appelé de leurs voeux la renaissance d'un championnat international. Si le dirigeant allemand était moins impérieux concernant l'appellation à lui donner, le français a toujours stipulé que seul un Championnat du Monde pouvait être vendu à sa direction. C'est maintenant chose faite et l'on peut donc penser que les R18 et 908 (ou leurs descendantes) seront encore présentes durant plusieurs saisons. Et qu'elles le feront en jouant le jeu à fond et non en prétextant l'approche du Mans, pour jouer un jeu bizarre dans les Ardennes par exemple.

Reste à savoir ce que feront des concurrents tels qu'Aston Martin Racing, moins riche que Audi et Peugeot, ou Corvette, plus intéressé par le marché américain que mondial... Malheureusement, du fait de son engagement en DTM la saison prochaine, on peut d'ores et déjà penser que BMW ne sera pas officielllement de l'aventure lors de la première saison...

Et qu'en sera-t-il pour les équipes un peu moins huppées ? Car en attendant les éventuelles annonces de nouveaux constructeurs, il va bien falloir continuer de s'appuyer fermement sur les privés, à savoir les Oreca, Rebellion, OAK, Signatech, Level 5, Luxury, AF Corse, Krohn Racing (liste non exhaustive). Cette année, ces équipes apportent un complément de plateau absolument indispensable et de très bonne qualité, qui plus est. Lorsque l'on voit que l'écurie renaissante d'Henri Pescarolo n'a pas pu se permettre de participer à l'ILMC 2011 en raison des coûts, on peut se demander ce qu'il en sera pour plusieurs de ces écuries privées lorsqu'il faudra franchir l'étape supérieure qu'est la participation à un Championnat du Monde. Si comme pour l'IMC 2011, le promoteur apporte une aide financière ou logistique concernant les déplacements, si les frais d'inscription demeurent raisonnables alors la sauce pourra peut-être prendre. Sinon, les seules équipes d'usine n'y suffiront probablement pas...

3. L'apparition du label Championnat du Monde va-t-elle s'accompagner d'une profonde évolution en terme de promotion ?

Les communiqués distribués aussi bien par la FIA que par l'ACO étaient plutôt concis. La conférence de presse de l'ACO nous en apprendra probablement plus sur ce sujet. Mais force est de constater que l'arrivée de l'ILMC a déjà marqué un progrès de ce point de vue. Les courses sont proposées sur Eurosport ce qui ouvre la discipline à un public plus large que les chaînes ultra-spécialisées. Il reste évidemment à améliorer la fréquentation sur les circuits. Il n'y a pas de souci évidemment avec les trois premières courses de la saison ILMC 2011 : Sebring, Spa et Le Mans sont des événements établis de longue date et qui attirent le public même si il y a une nette différence entre l'affluence ardennaise et la sarthoise. Mais lorsque trois semaines après la foule record du Mans, on va se diriger vers la République de San Marino et l'autodromo d'Imola, on risque de retomber de bien haut. Il faudra savoir éviter rapidement les tribunes vides pour convaincre la FIA de maintenir le label Championnat du Monde...

4. Quel calendrier pour les premières saisons ?

Là encore, le communiqué est laconique. Il précise toutefois que le calendrier de l'ILMC sera le socle du futur Championnat. Amérique, Europe et Asie devraient donc être au programme. Pour assurer un certain succès à la série, il faudra certainement dans un premier temps, s'appuyer effectivement sur les épreuves connues de longue date. Il faudra également éviter de se déplacer dans des pays ou le sport auto est une nouveauté n'attirant le monde que lorsque la F1 se déplace. Prenons l'exemple d'Abu Dabi. Si la Formule Reine parvient à attirer la foule, c'est loin d'être le cas pour les autres disciplines. Au début de cette saison 2011, le V8 Supercars Australien s'y est rendu pour la seconde année consécutive. Et ce fut très loin d'être un succès malgré le spectacle toujours assuré offert par cette formule et un promoteur qui connait la musique. Des tribunes vides n'étant télévisuellement pas vendeuses, autant éviter les destinations exotiques. Et pour ce qui concerne la manche chinoise, on peut réellement se demander si ce circuit est digne d'un Championnat du Monde.

5. Comment va se passer la cohabitation entre ce Championnat et les séries existantes ?

Patrick Peter a déjà annoncé qu'en 2012, Le Mans Series et ILMC auraient pris des routes divergentes, le cas européen semble donc réglé. Mais pour ce qui concerne l'ALMS, actuellement au creux de la vague au niveau Protos, on peut se poser la question de la cohabitation avec le Championnat du Monde. La FIA va-t-elle accepté de voir une ou plusieurs épreuves de son Championnat partager l'affiche avec celles d'un promoteur privé américain ? De plus, si l'on regarde de plus près le cas de Sebring, on peut fortement douter que ce tracé soit aux normes FIA. Peut-on imaginer une manche du Championnat du Monde se déroulant sur un tracé qui ne respecte pas ses normes de sécurité ?

6. Quelle durée adopteront les courses du Championnat du Monde ?

Tout d'abord, commençons par remettre les choses en place. Certains parlent de la renaissance du Championnat du Monde d'Endurance (terme exact utilisé par le communiqué FIA : World Endurance Championship). Or le Championnat, même lors de ses grandes années ne portait pas ce nom. On parlait plutôt de Championnat du Monde des Marques, puis des Sport-Protototypes et enfin des Voitures de Sport lors de son enterrement en 1992. Ce qui est donc fondamental dans la nouvelle appellation est la présence du mot « Endurance », preuve que cette notion sera au cœur des courses. Reste bien évidemment à ne pas dévier de cette ligne avec les années et l'éventuelle pression des télés. Evitons de retomber dans les travers qui ont amené la déchéance (voulue ?) du Championnat du Monde au début des nineties... Sachons également échapper au piège de l'époque qui voulait que toutes les épreuves se disputent sur la même durée. Lorsque l'on se souvient que le président Balestre avait sérieusement émis l'idée que la course mancelle puisse se disputer, comme les autres, sur quatre heures, cela a de quoi faire frémir. La diversité n'engendre pas la morosité et des séries à succès telles que la NASCAR ou le V8 Supercars le prouvent en adoptant des durées variables pour leurs épreuves. Faisons de même en endurance et conservons à Sebring, Le Mans ou Silverstone leur durée spécifique et traditionnelle...

7. Quelle catégorie en GT ?

Dans le cadre du même conseil fédéral annonçant la mise en place de ce Championnat du Monde, la FIA annonçait également la poursuite du Championnat du Monde GT via une nouvelle catégorie mixant les GT1 2011, GT2 2009 et GT3 2011 placées au même niveau via une balance des performances. L'ACO suivra-t-elle ce train ou seules les GT2 (devenues GTE) seront-elles de nouveau admises ?

8. Un Championnat fermé ou ouvert ?

On se souvient que ce qui a énormément nui aux 24 Heures du Mans au début des 90's était l'obligation faite aux concurrents de prendre part à la totalité du Championnat pour pouvoir courir en Sarthe. Cela privait les moins argentés de la plus grande course de l'année car ils ne pouvaient pas s'engager à l'année. Mais plus grave, cela a fini par réduire en trois année, le plateau de moitié dans la plus longue course de l'année ! 55 voitures en 1989 alors que l'épreuve se disputait hors-championnat, 49 en 1990, 38 en 1991 et seulement 28 en 1992 (plateau de triste mémoire). Indiscutablement, pour le bien des épreuves elles-mêmes, le championnat ne devra pas être fermé sur lui-même mais au contraire, ouvert au cas par cas, à des concurrents sérieux désirant disputer leur course nationale par exemple.

9. Championnat du Monde et convivialité, est-ce compatible ?

Même si les spectateurs se plaignent régulièrement d'un recul certain de ce point de vue, il n'en reste pas moins vrai que Le Mans autant que les manches de l'ILMC conservent une certaine part de convivialité et de proximité entre le public et les champions. Le Pesage, la parade des pilotes, des paddocks ouverts en ILMC en sont la preuve. Il faudra être bien vigilant à maintenir ce lien dans le cadre du Championnat du Monde et ne pas imiter l'autre grand championnat de la FIA de ce point de vue...

On sait que les dirigeants de l'ACO n'ont pas oublié le douloureux épisode de 1992, la fin du Championnat du Monde de l'époque et le temps qu'il a fallu pour bâtir de nouveau une endurance en mesure de briller. Jean Todt, le président de la FIA ne peut pas l'avoir oublié non plus. En tant que directeur de Peugeot Talbot Sport, il avait eu une influence énorme sur les processus engagés à l'époque menant à la mise à terre du championnat. Il semble être engagé sur une voie pacifique depuis qu'il a pris les rênes de la Fédération. Acceptons-en l'augure et souhaitons que ce Championnat du Monde d'Endurance apporte autant qu'on puisse le souhaiter à la discipline. Mais restons sur nos gardes...

Laurent Chauveau