Equivalences 2011, suite & fin... Imprimer
Jeudi, 19 Mai 2011 19:40

Equivalences_LM_2011Comme ils l'avaient promis, les dirigeants de l'Automobile Club de l'Ouest viennent donc d'annoncer les modifications mises en place avant les 79èmes 24 Heures du Mans afin de rééquilibrer le niveau de performance des différentes motorisations admises. Pour cela, ils ont pris pour base de calcul les performances enregistrées au cours des deux épreuves déjà disputées soit Sebring et Spa, deux courses placées sous la domination des motorisations diesel même si celle-ci fut bien plus évidente en Belgique qu'en Floride. Les résultats de la Journée test ne semblent pas avoir été pris en compte, ce qui peut paraître logique du fait qu'il ne s'agissait que d'essais libres au cours desquels, rien n'oblige les concurrents à se livrer à fond. Reste toutefois à espérer, pour que les nouvelles équivalences soient valables, qu'ils l'aient bien fait lors des courses... Mais de cela, qui peut en être sûr ?

L'un des autres enseignements de ces deux courses furent que, dans le clan des « essence », les « gros » moteurs 2010 ne semblaient pas si désavantagés que cela face aux « petits » de 2011. Pour preuve, les vitesses de pointe enregistrées à Spa renvoient Pescarolo (Judd 2010), Rebellion (Toyota 2011) et OAK Racing (Judd 2011) dos à dos avec des valeurs extrêmement proches. Sur un tour en course, les deux Lola Rebellion s'étaient montrées plus rapide que la Pescarolo (d'une seconde pleine pour la n°12 face à la n°16) mais c'est l'inverse qui s'était produit au Mans, journée au cours de laquelle toutefois, Rebellion découvrait son nouveau kit aéro. Bref aucun avantage net ne semble s'être fait jour pour les motorisations 2011 ce qui va à l'encontre des souhaits de l'ACO.

Pour rééquilibrer tout son monde, l'ACO a décidé de jouer sur plusieurs facteurs qui jouent autant sur la rapidité de la voiture en piste ou sur celle, moins visible pour le grand public mais tout aussi importante, de la durée des arrêts aux stands. Comme cela avait été écrit à l'avance, ce sont les voitures les moins rapides qui ont été remises à niveau sur les leaders et non le contraire. Pour les amateurs de record du tour et de la perfo pure en piste, c'est une nouvelle réjouissante et l'on peut s'en féliciter. L'on peut aussi toutefois être surpris d'un tel choix lorsque l'on constate que les Audi et les Peugeot ont déjà, lors de la Journée Test, fracassé allègrement le sacro-saint mur des 3'30" au tour, valeur au-dessous de laquelle, l'ACO ne souhaite pas voir les voitures rouler (pour des raisons de sécurité aisément compréhensibles).

Les essence un poil plus vite en piste...

Commençons donc par les rééquilibrages jouant sur la vitesse en piste. Les OAK-Pescarolo Judd, Lola Toyota, Pescarolo Judd, Zytek et Lola Aston Martin se voient accordées des brides au diamètre plus généreux. Mais puisque décidément, rien n'est simple dans ce règlement 2011, les ingénieurs ont deux choix possibles ! Soit, ils décident de rester au poids mini de 900 kg et leurs autos obtiennent alors des brides plus grandes de 0,5 mm au diamètre soit 3% de surface en plus (et peu ou prou, 3% de puissance supplémentaire, soit ils décident de descendre à 890 kg (soit 1% de poids en moins) et les brides ne sont alors augmentées que de 0,3 mm soit 2% de surface en plus. Vous avez suivi ?

On peut penser que les équipes utilisant un moteur 2011, à la cylindrée plus petite, prendront le choix des grosses brides et de rester à 900 kg. Ce surplus de puissance compensera en partie le manque de couple chronique des petits moteurs. Pour ce qui concerne les voitures équipées d'un moteur 2010, le choix de descendre à 890 kg (si la voiture le permet) pourrait être judicieux en rendant la voiture un peu plus réactive et en diminuant marginalement les distances de freinage. Dans tous les cas, n'attendez pas que ces 3% de puissance supplémentaire permettent aux « essences » de diminuer leurs temps au tour de 3%, loin de là (ce qui correspondrait approximativement à un différentiel de 6 secondes). Cela permettra simplement aux équipes d'avoir un compromis aérodynamique très légèrement plus proche de celui des « diesels » : un poil de vitesse de pointe en plus et une poil plus d'appui. Mais dans tous les cas, cela ne devrait pas leur offrir mieux qu'une à deux secondes de bénéfice au tour. Pas de quoi troubler les Audi et les Peugeot lors du débat télévisé des premiers tours... Dans le clan des diesel, aucune modification des brides n'est apportée. Seule la 908 HDi FAP du team Oreca se voit débarassée de 15 kilogs pour la rapprocher des performances des diesels 2011. Voilà une nouvelle que l'on doit prendre avec le sourire du côté de Signes !

Il est évident qu'une décision réglementaire si tardive n'aurait pas pu s'accompagner de variations bien plus importantes de la puissance moteur. Il faut déjà, pour ces équipes (toutes des privées en essence, rappelons-le...) valider en très peu de temps ces modifications du point de vue de la cartographie. Il sera bien plus difficile de valider la fiabilité de moteurs qui n'ont encore jamais tourné avec ces brides. Alors leur offrir 10% de puissance en plus (par exemple) eut été les envoyer au casse-pipe.

...et nettement moins longtemps aux stands !

C'est la raison pour laquelle, l'ACO a joué également sur le diamètre des brides de remplissage de carburant, paramètre facilement et rapidement modifiable, et qui n'influe pas sur la fiabilité de la voiture. En clair, les voitures à moteurs essence vont désormais ravitailler beaucoup plus vite que les diesels. En 2010, tout le monde ravitaillait en laissant passer le carburant à travers une bride mesurant 28mm de diamètre. Désormais, les essence le feront à travers une bride agrandie de 10mm (soit 38mm et une augmentation impressionnante de 84% !) Quant aux diesels, ils devront se contenter de 25mm soit 20% de moins qu'en 2010. Le différentiel est donc énorme et même en tenant compte du fait que le réservoir des diesel contient 10 litres de carburant de moins que les essence (65 litres contre 75) l'ACO parle d'un différentiel de 22 secondes par ravitaillement soit l'équivalent de 2 secondes au tour pour un relais de 11 tours ! C'est effectivement une mesure bien plus drastique que celle adoptée pour la modification de la puissance.

Toutefois, elle appelle des commentaires. Tout d'abord, ce chiffre de 22 secondes se base-t-il sur la capacité totale théorique du réservoir ou tient-il compte du fait qu'une voiture ne rentre jamais aux stands avec un réservoir parfaitement vide sous peine de gros risque de panne sèche ? Si c'est le premier cas qui a été retenu, la différence que nous constaterons en pratique ne sera plus tout à fait aussi grande.

Ensuite, ce raccourcissement important de la durée de ravitaillement en carburant pour les essences (chiffrons là à un gain de 16 secondes environ et une perte de 6 secondes pour les diesels) ne va-t-il pas avoir une conséquence lors d'un arrêt avec changement de pilote ? Dans ce cas, il se pourrait en effet, que le changement de pilote, toujours assez long notamment dans un proto fermé, prenne plus de temps que le ravitaillement accompagné du changement des quatre pneumatiques (alors que souvent, il se fait en temps masqué). Ce qui signifierait que lors d'un arrêt sur trois voire quatre, l'avantage de 22 secondes ne serait que théorique et en partie annihilé par le changement de pilote. Bref, messieurs, à vous de vous entraîner au mieux pour ne pas perdre tout ou partie de cet avantage...

Enfin, gagner du temps lors d'un ravitaillement est très bien si l'on n'en perd pas en repassant plus souvent par les stands. Les voitures essence vont voir leur puissance augmenter comme nous l'avons vu précédemment. Mais l'un des corollaires de l'augmentation de puissance est également une augmentation de la consommation... Si de ce fait, une voiture n'est plus capable de faire 11 tours mais seulement 10, l'avantage des 22 secondes partira en fumée tous les 110 tours... soit bien plus d'une minute sur 24 heures... Là, c'est à vous messieurs les ingénieurs d'optimiser au mieux vos moteurs afin de ne pas perdre un tour d'autonomie par relais... Et c'est également aux pilotes de s'adapter, un peu comme dans les années 80, afin d'assurer des relais aussi longs que possible ! Mais il n'aurait pas été illogique non plus d'accorder une légère augmentation de la capacité du réservoir de carburant afin de compenser l'augmentation de puissance...

Bref, ce règlement, compliqué à souhait, fait certes un pas non négligeable en direction des LMP1 essence mais il nous amène encore plus de questions que nous n'en avions déjà... Seule la course elle-même sera en mesure de nous dire si il n'y a bien désormais plus que 2% de différence de performance globale sur 24 Heures. En performance pure sur un tour, il est clair que ce n'est pas le cas et l'ACO l'annonce clairement. C'est aux stands que tout se jouera, cette année encore plus que jamais. Pour la facilité de lecture de la course, ce n'est pas là une situation idéale. Comment Henri Pescarolo, Bart Hayden ou François Sicard iront-ils expliquer à leurs partenaires que la différence flagrante constatée en piste ne sera pas si importante que cela au bout des deux tours de cadran ? Pas facile de convaincre un sponsor à investir en se prenant 5 ou 7 secondes à chaque tour même si l'on en regagne aux « puits »... A l'avenir, il sera beaucoup plus sain de mettre tout le monde sur un pied d'égalité en piste et aux stands. C'est sur la route que l'on souhaite tous voir la baston, pas à la sortie de la pit-lane. Mais 2011 est une année d'apprentissage quant à ces multiples équivalences alors acceptons la solution retenue en souhaitant qu'elle soit aussi efficace qu'envisagée par ses créateurs.

Laurent Chauveau