V6 HPD : un rééquilibrage fondé ou pas ? Imprimer Envoyer
Lundi, 02 Mai 2011 20:01

2011_Sebring_Lola_055Après les deux premières courses de la saison (Sebring et Le Castellet), l'ACO a décidé de modifier le tableau des brides d'air d'admission en LMP2 au profit du V6 turbo 2,8 litres mis au point durant l'hiver par HPD (Honda Performance Development). Les équivalences et rééquilibrages réglementaires font beaucoup parler dans la catégorie reine depuis de longues années spécifiquement. Depuis l'arrivée des moteurs diesels dans la compétition pour être précis. Mais en LMP2, on n'avait jamais véritablement connu de tels problèmes. Il faut un début à tout... Lorsque j'ai effectué un tour de paddock au cours de la Journée Test, je n'ai trouvé personne, hormis Philippe Sinault, pour s'exprimer sur le sujet de manière officielle. Probablement afin de ne pas faire de vagues auprès du pouvoir sportif. Ceci est le signe qu'il y a pourtant un malaise suite à cette augmentation du diamètre des brides du moteur HPD (passées de 28,3 mm à 29,1 mm de diamètre soit une augmentation de la surface de passage d'air de 5%).

Alors pourquoi ce rééquilibrage ? Dès les essais des 12 Heures de Sebring, les pilotes Level 5 se sont plaints du manque de vitesse de pointe de leur auto. Joao Barbosa me confiait même que sa Lola était presque la voiture la plus lente du plateau en ligne droite, quasi aussi lente que les GTC... Certes, cela est problématique. La course du HTTT a confirmé que les HPD manquaient de vitesse de pointe. 270 km/h contre 283 à la Zytek du Greaves Motorsport ou 280 à la meilleure Oreca 03, celle du Boutsen Energy Racing. Cela s'est traduit par un déficit de trois secondes sur le meilleur tour en course, voire quatre lors des essais. Problème il y a donc bien. Sauf que...

Manque de puissance ?

Comparaison_HPD_NissanSauf qu'en analysant de près les chronos de Sebring, le problème est beaucoup moins évident. Tout du moins si l'on compare le spyder Lola du team Level 5 à la Oreca 03 Nissan du team Signatech. Le coupé de Level 5 aura en effet été plus lent que le spyder tout au long de la semaine. Sur un tracé tel que celui de Sebring, cela peut se comprendre d'autant que le Coupé devait utiliser la climatisation, consommatrice de chevaux... Concentrons-nous donc sur la comparaison entre la Lola n°055 et la Oreca n°26 puisque aucune HPD ARX-01e LMP2 n'était présente en Floride.

Et commençons par le meilleur tour en course : 1'54"922 pour la Oreca (Franck Mailleux au volant) contre 1'55"019 pour la Lola (Ryan Hunter-Reay) soit moins d'un dixième de seconde de différence entre les deux voitures à l'avantage de la française. Il n'y a là rien d'infamant. Mais le meilleur tour en course n'est pas forcément représentatif du rythme réel d'une voiture en course. J'ai donc épluché les chronos tour par tour en excluant les tours de rentrée et de sortie des stands, les tours sous safety-car ou ceux marqués par un problème technique survenu sur la voiture, bref en ne prenant en compte que les tours réguliers... Et le résultat est assez surprenant. Si l'on fait la moyenne des 50 meilleurs tours de chaque auto, l'avantage reste à la Oreca 03 Nissan mais pour trois centièmes de seconde seulement ! 1'57"078 contre 1'57"108. Si l'on étend cela aux 100 meilleurs tours, la Lola prend l'avantage en 1'57"826 contre 1'58"038. Voilà qui commence déjà à soulever quelques questions. Sur les 150 meilleurs tours (soit la moitié de la course en P2 !) l'écart se creuse encore à l'avantage de la B11/40 : 1'58"392 contre 1'58"762 soit 37 centièmes... Pourtant, nous avons tous vu la même course. La Oreca 03 a bel et bien dominé le début de course et s'est enfuie en tête avant de connaître les problèmes de commande de boite qui l'ont fait passer derrière les deux Lola du Level 5. Alors ?

En fait, on peut constater que l'immense majorité des 50 meilleurs tours de la Lola HPD est effectuée lors du dernier tiers de course (80% pour être précis soit 40 tours sur les 50). 70% des 100 meilleurs tours ont également été effectués lors des 100 dernières boucles de cette auto (qui en a couvert 300 en 12 heures très exactement) Tout cela tend à prouver que la Lola a surtout profité de la fin de course pour commencer à « allumer ». Alors certes, on peut penser que cela est logique étant donné que la piste s'améliore au fil de l'épreuve avec le dépôt de gomme. Toutefois, cet aspect vaut pour les deux voitures, et il est quelque peu contre-balancé par le fait qu'on a jamais vu, ces dernières années, le tracé floridien aussi poussiéreux, le sable étant porté par le vent. Le dernier tiers de course de Sebring est surtout marqué par la baisse de la température ambiante, puisqu'il se déroule de 18H30 à 22H30 (Le magnifique coucher de soleil traditionnel de Sebring commence très exactement à 18H30 justement...) Si le soleil floridien est déjà très généreux au mois de mars en journée, les nuits, par contre, restent relativement fraîches (ce qui rend le voyage encore plus agréable...). Si l'on ne tient compte que de Sebring, on peut donc penser que le moteur HPD ne manquait pas réellement de chevaux mais qu'il lui a fallu attendre la nuit pour les laisser s'exprimer...

Alors pourquoi une telle différence entre Sebring et le HTTT. Tout d'abord, une évidence. Le tracé varois fait la part belle à la vitesse de pointe avec la longue ligne droite du Mistral (1,8 km) et celle des stands qui est également assez longue. Sebring offre également de belles lignes droites surtout entre le Turn 16 et le 17 puis entre le 17 et le 1 mais elles ne sont pas aussi longues. Et surtout, le reste du tracé est constitué de virages assez lents donc il faut un set-up avec des appuis relativement élevés. Donc un manque de puissance sera d'autant plus mis en évidence au Castellet. Mais les chiffres de Sebring peuvent laisser croire que le moteur ne manque pas tant que cela de chevaux. Alors ? Alors, on peut en revenir au problème de la température. Il faisait beau et chaud aussi au Castellet, les tee-shirts étaient de sortie. Certes le pic de température n'a pas atteint les 35°C de Sebring (22°C sous abri à Toulon ce jour là soit un peu plus au soleil, certainement un bon 25°C) mais la course s'est déroulée entièrement de jour, se terminant à 18 heures avant que les températures ne chutent réellement.

Une affaire de tempé ?

A la vue de ces données, on peut éventuellement penser que le moteur HPD souffre avant tout d'un problème de refroidissement, non d'un manque de puissance. Ce n'est évidemment là qu'une idée. Les ingénieurs HPD m'ayant opposé un strict « no comment », on ne peut dépasser le stade de l'hypothèse. Mais elle reste possible et plausible. Les ingénieurs seraient dans l'obligation de brider le V6 en attendant que l'astre solaire ne se cache...

Toujours est-il qu'un fois de plus, le fait de faire un tel ajustement pose question. Qu'il y ait des rééquilibrages en GT ou en Tourisme, peut se comprendre. On oppose là des véhicules issus de la série qui n'ont pas été créés avec le même cahier des charges et qui n'offrent donc pas forcément les mêmes aptitudes pour la compétition. Dans un certaine mesure, des ajustements sont donc acceptables. Cela l'est beaucoup moins en catégorie prototype ou les ingénieurs partent d'une feuille blanche. Le problème vient du fait que ces moteurs LMP2 2011 sont justement issus de la série et peuvent donc souffrir eux aussi de l'architecture de base. Donc, une nouvelle fois, un léger rééquilibrage pourrait être compréhensible. Mais (et c'est un gros mais) de telles mesures sont et seront toujours sujettes à caution. Dans le différentiel actuel constaté entre le moteur Nissan V8 atmosphérique et le HPV V6 turbo, quelle part peut-être attribuée à l'architecture de base ? Quelle part à la qualité de l'adaptation effectuée par le préparateur ? Et quelle part à tout autre facteur que nous ne connaitrions pas ? Excluons au passage la possibilité que l'équivalence turbo-atmo soit mal faite. Elle est en vigueur de longue date et l'on n'a jamais entendu personne s'en plaindre même lorsque les Audi R8 TFSI archi-dominaient les 24 Heures du Mans. On peut donc penser qu'elle est maîtrisée. (En voilà au moins une qui ne fait pas polémique...)

2011_JT_LM_HPD_36On opère là un réajustement à quelques semaines de la course la plus importante de l'année. Voilà qui est risqué. La Journée Test a depuis livré son verdict. Le team RML se plaint toujours d'un manque de puissance malgré le rééquilibrage ! Certes, la vitesse de pointe est désormais tout à fait au niveau de la concurrence (304,2 km/h pour la ARX-01e, 302,2 pour la B11/40 contre 305,7 à la Zytek) mais cela se fait au détriment de l'appui et les chronos dans les secteurs 1 et 3 sont loin de la concurrence. Alors combien faudrait-il donner au V8 HPD pour qu'il devienne enfin compétitif ? Cela serait-il raisonnable ? Assurément non. Car imaginons que d'ici juin, les ingénieurs mettent le doigt sur leur problème, ils retrouveraient la puissance perdue et bénéficieraient en plus des 5% d'avantage qui leur a été donné. Et la plus grande course de l'année aurait pu tourner en leur faveur... On imagine les réactions...

Ne plus céder à la tentation...

Dans le passé, l'ACO était réputée pour l'extrème rigueur avec laquelle elle appliquait ses règlements. Une rigueur parfois jugée exagérée. Depuis quelques années, cette rigueur n'est plus de mise. Les organisateurs se sont adaptés à la course moderne et inspirés de ce qui se pratiquait ailleurs en saupoudrant ici et là des petits ajustements réglementaires. C'est un changement de philosophie radical. Mais est-il pertinent en Prototypes ? Doit-on donner un coup de pouce au plus faible parce qu'il a mal travaillé sur une base réglementaire connue de longue date ? Le prof de maths donnait-il un avantage à l'élève qui ne connaissait pas ses théorèmes pour lui éviter le ridicule face à l'élève-modèle ? Evidemment non. A l'avenir, il faut, à toute force, repousser la tentation des réajustements. Ils ne peuvent que jeter la suspicion et créer des jalousies. Fondées ou non. Le crédit des organisateurs passe par là, l'intérêt d'éventuels nouveaux constructeurs également...

Laurent Chauveau

2011_Sebring_Lola_33PS : Avoir épluché ainsi à fond les chronos de Sebring pour les deux Level 5 et la Signatech m'a permis de mettre en évidence d'autres faits intéressants. Tout d'abord, Ryan Hunter-Reay est l'indiscutable sprinter de la n°055. Sur les 50 meilleurs tours de son auto, 48 sont à porter à son crédit ! Et 86 sur les 100 meilleurs... Sur la n°33, Christophe Bouchut et Joao Barbosa affichent un niveau de performance semblable, se partageant assez équitablement les 50 meilleurs tours avec un léger avantage au portugais mais il avait l'avantage de rouler au moment ou la température était la plus basse. Scott Tucker est nettement en retrait et n'aurait pas piloté la n°055 alors qu'il est bien monté sur le podium. Erreur du transpondeur ? Chez Signatech, Franck Mailleux et Soheil Ayari sont également sur un tempo équivalent. Tandis que le rookie, Lucas Ordonez n'a pas à rougir du tout en ayant signé 4 des 50 meilleurs tours de la Oreca 03...